La Légende de Thomas Mercer, grand chronométrier anglais, part 1
Au nombre des maîtres horlogers que les aventures entrepreneuriales contemporaines font revivre, le chronométrier anglais Thomas Mercer lègue une histoire d’une richesse absolue. Un passé de référence…
Le temps, comme toute forme d’étalonnage, a une dimension politique. Tout Etat se doit en effet de le calibrer, de le certifier puis de le fournir. A l’époque, Il était donc normal que les horlogers, c’est à dire ceux qui le maîtrisaient et qui en cultivaient les savoirs, disposassent dans la société d’un statut privilégié.
Thomas Mercer, une vocation précoce
L’Angleterre, qui eut une bonne longueur d’avance quant aux origines de l’horlogerie, put compter dans sa course à la précision, sur des cerveaux érudits, des personnalités d’exception. Thomas Mercer était l’un d’eux. Il fait partie de ces sommités qui, par leurs compétences, participèrent au rayonnement mondial de la Grande Bretagne.
Né à St Helens en 1822, une ville du Lancashire, la région horlogère d’alors, Thomas Mercer rejoint très jeune les ateliers de son grand-père, un fabricant de mécanismes horlogers. En 1854, il arrive à Londres et décroche son premier job chez John Fletcher, un fabricant réputé de chronomètres de marine. Au terme d’une séparation amicale, il fonde en 1858 la société qui porte son nom. A Londres, il ouvre son premier atelier à Clerkenwell, au 161 Goswell Road.
Des tests de précision royaux, au service de l’Amirauté
Dès 1822, année de la naissance de Thomas Mercer, l’Observatoire royal de Greenwich sera le garant des sévères tests de précision et de la certification auxquels sont soumis les chronomètres dont la marine royale a besoin. Avec son horloge marine 536, non seulement Thomas Mercer est sélectionné en 1860 pour y participer, mais il obtient la 11ème place. Une performance qu’il améliorera lorsque sa pièce 543 se placera à la 4ème place et sera achetée par l’Amirauté pour équiper le mythique HMS Swallow, sorti des chantiers navals de Deptford Dockyarden en 1703.
Thomas Mercer reçut la médaille d'or en 1867 à l'Expostion Universelle de Paris
A cette époque, pouvoir disposer pour un horloger sur les cadrans de ses chronomètres de l’appellation «Maker to the Admiralty» - «Fabriquant agréé par l’Amirauté» - représentait un ultime argument commercial susceptible d’augmenter considérablement les perpectives économiques. Le célèbre Observatoire anglais accordera encore trois fois la 2ème place aux chronomètres de marine Thomas Mercer: en 1881, avec son chronomètre deux-jours 2696, en 1887 et en 1888. En 1874 même, sur les cinq premières pièces testées, quatre portaient la signature du maître.
Hélas, Thomas Mercer ne goûtera pas de son vivant à l’ivresse de la première place puisque c’est en 1911, soit onze années après sa mort, que son fils Frank (1882-1970) parviendra à décrocher le titre suprême. Marchant sur les traces de son père, le descendant Mercer transforme l’honorable signature en véritable marque disposant de sa propre manufacture, la plus grande jamais dédiée à la fabrication des chronomètres de marine. Elle entrera en service en 1912 à St Albans, Eywood Road.
Frank Mercer était officier de l'Artillerie Royale pendant la Première Guerre Mondiale
Le nom Mercer lié aux conquêtes en mer et dans les airs
Toujours fournisseur attitré de la marine royale, la légende Mercer perdure. Elle se nourrit même d’anecdotes qui démontrent l’intimité du lien entre la marque et l’histoire anglaise. Comme ce télégramme en provenance de l’Amirauté, envoyé durant la Première Guerre mondiale, à Frank Mercer alors incorporé en Egypte comme officier au sein d’un corps de l’Artillerie royale. On lui demande de revenir au plus vite en Angleterre afin de, effort de guerre oblige, superviser l’industrie des chronomètres de marines. Les normes sont élevées, la demande pressante. La fabrique Thomas Mercer, sous la gouverne de Frank, parvient à augmenter la production de 200 à 500 unités par an.
Des conquêtes maritimes aux premiers exploits aéronautiques
En 1914, dans le cadre d’une mission d’exploration cautionnée par l'Amirauté, le navigateur Ernest Shackleton tente pour la première fois de l’histoire la traversée de l’Antarctique. La mission a été baptisée «Imperial Trans-Antarctic Expedition». Au cours de l'aventure, son bateau - Endurance - est fait prisonnier des glaces et finit par sombrer dans la mer de Weddell. Au moyen d’un remorquage à bord de trois canots de sauvetage, l’explorateur échoue sur l'île Elephant, un territoire montagneux appartenant aux îles Shetland du Sud, à la pointe nord-ouest du continent.
Thomas Mercer a équipé le premier avion à traverser l'Atlantique
Afin de porter secours à un groupe de scientifiques bloqués sur l’île, il se lance dans un voyage que les historiens et passionnés considèrent comme étant encore à ce jour le plus incroyable périple à bord d’une petite embarcation. Aucune vie humaine ne sera à déplorer. La distance parcourue pour atteindre les côtes de Georgie du Sud est d’environ 1500 km et l’embarcation qui est le canot de sauvetage jugé le plus sûr, à savoir une baleinière nommée James Caird, ne mesure que sept mètres. Nous sommes en plein hiver et sept mois durant, le navigateur et son équipage se fieront à leur chronomètre Thomas Mercer pour calculer la longitude en mer.
En 1919, le nom Thomas Mercer est associé à une autre épopée, aéronautique celle-là, la première traversée de l’Atlantique sans escale. A bord de l’avion, deux pilotes, John Alcock et Arthur Brown. A la tête des forces de l’air, Sir Winston Churchill en personne. Le record officiel de 16 heures et de 12 minutes sera établi par un instrument de mesure du temps Thomas Mercer.
Thomas Mercer restaure le Marine Chronometer de Harrison
Au service de légendes
Une aventure d’ordre culturel marque également le passé de Thomas Mercer. En 1922, la marque s’investit gracieusement dans la restauration des horloges les plus mythiques de toute l’histoire horlogère: les HM1 et HM3 de John Harrison, ces Horological Machines qui lui permirent de remporter le prix offert par la Monarchie au 18ème siècle à qui résoudrait la problématique de la longitude en mer. Un acte citoyen de pure maîtrise chronométrique.
Tout au long de la première partie du 20ème siècle, la marque Thomas Mercer saura maintenir un lien très fort avec le destin de l’une des figures les plus emblématiques de l’Histoire anglaise - Sir Winston Churchill - qui est à la fois à la tête des forces aériennes britannique lors de la première traversée transatlantique sans escale et à la t^te de l’Amirauté lors de l’expédition impériale Trans-Antarctique. Lorsqu’il reçoit en 1944 un avion réservé à son usage personnel, un Skymaster C-54 qu’il surnomme «mon yacht aérien» , il le fait transformer par des designers de manière à ce qu’il véhicule un style typiquement british. Au nombre des mille et un détails raffinés, dans la chambre à coucher volante, une horloge Thomas Mercer spécialement créée pour lui, dotée d’un altimètre et d’un thermomètre.
Instruments de l'avion privé de Sir Winston Churchill
Une autre réalisation prestigieuse reste le Yacht royal HMY Britannia à bord duquel la marque Thomas Mercer donne le temps. Réalisé par la Reine et le Duc d’Edimbourg, son intérieur est confié à un fameux designer britannique, Sir Hugh Casson, dont le style et le raffinement ont le mérite de résister aux modes. Lancé en avril 1953, cette vénérable ambassade flottante fera son dernier voyage à l’occasion de la restitution de Hong Kong à la Chine.
Comme à l’époque des grandes conquêtes, l’aventurier Sir Francis Chichester ajoute sa pierre à la légende en entrant dans l’histoire de la voile comme le premier et le plus rapide navigateur solitaire. Il rallie la Guinée Bissau aux côtes nicaraguayennes, soit 4’000 miles, en seulement 20 jours avec à son bord, un chronomètre Thomas Mercer.
Le Gipsy Moth IV, le bateau utililés par Sir Francis Chichester lors du tour du monde en solitaire et le Challenge Trans-Atlantique
Racines historiques
Construire une légende ne se fait pas en un jour. Les publicitaires d’aujourd’hui le savent. Eux qui, pour que l’ADN de leurs clients s’enrichissent d’un soupçon de maritime, d’une touche d’aviation et d’un zeste d’exploits extrêmes, n’hésitent pas à investir des sommes folles. Et voici que, pour ceux qui ont décidé de relancer le nom de Thomas Mercer, tout y est déjà. Et il n’y a rien d’inventé ou de tiré par les cheveux. Les ponctuations historiques évoquées dans cette première partie sont toutes ancrées solidement dans l’histoire horlogère ainsi que de celle d’un horloger d’exception. A suivre…