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Vintagemania – Tudor, la voie fructueuse de la « réinterprétation »

Officiellement, chez Tudor, on ne parle pas tant de vintage, on préfère dire « rétro-chic ». On n’y « réédite » pas de modèles anciens mais on les « réinterprète ». C’est cette voie de la « réinterprétation » de sa propre histoire qu’a empruntée Tudor dès 2010, avec le succès que l’on sait. Décryptage.

Par Pierre Maillard
Rédacteur en Chef Europastar

Tudor, créée en 1926 par Hans Wilsdorf pour offrir, selon ses propres mots, « une montre à prix plus modeste que les montres Rolex mais qui offrirait les mêmes standard de fiabilité », après avoir connu de nombreuses heures de gloire, végétait quelque peu depuis plus d’une décennie à l’ombre de Rolex et avait quasiment disparu des radars médiatiques. Or en quelques courtes années, Tudor est parvenue à revenir au premier plan de façon fulgurante, et ce essentiellement grâce à une très habile stratégie de « réinterprétation » de ses modèles historiques les plus marquants. Certes, la collection actuelle de Tudor ne se limite pas à sa ligne Heritage qui abrite ces réinterprétations de montres vintage, mais celles-ci ont clairement joué les premiers rôles dans ce processus de retour en pleine lumière, rapidement couronné d’un Grand Prix de l’Horlogerie de Genève, en 2013, dans la catégorie précisément nommée « Revival ».

Hans Wilsdorf

Ce « revival » commence en 2010 quand la nouvelle équipe mise en place introduit un premier modèle, le Tudor Heritage Chrono. Il s’inspire directement d’une pièce de 1970, pourtant jamais distribuée ni vendue, la Référence 7033, restée à l’état de prototype existant en trois versions dont une avec lunette tournante pouvant faire usage de GMT ou de double chronométrage et équipée d’un Valjoux 7734. Ressortant la pièce du tiroir où elle dormait depuis 40 ans, les designers de la maison s’inspirent directement de son cadran bicolore et de ses deux compteurs excentrés à 3h et à 9h, avec leur forme trapézoïdale typique de cette époque. Ils suppriment le verre cyclope caractéristique de Rolex – une façon de s’en distinguer – et apportent à la pièce toute une série de raffinements formels et ergonomiques, au niveau du boîtier, des cornes, de la protection de la couronne, des poussoirs… Et ils l’adjoignent, outre son bracelet métal repensé, d’un bracelet textile type Nato de haute qualité artisanale. Ce bracelet textile exclusif va faire véritable tache d’huile, inspirer de nombreuses marques, spécialistes du vintage et autres revendeurs et lancer l’incroyable engouement pour les Nato que l’on retrouve désormais partout.

TUDOR Oysterdate Ref. 7033 (1970)

Présenté donc en 2010, le Tudor Heritage Chrono marque profondément tous les passionnés de la montre vintage, une tribu en pleine expansion et en évolution graduelle les amenant à s’intéresser aussi à d’autres marques que les seules grandes stars des ventes aux enchères, les Patek Philippe ou Rolex. Dès les débuts des années 2000, les collectionneurs se sont en effet intéressés aux montres sportives de Rolex dont ils ont fait monter la cote parfois de façon spectaculaire. Le terrain est donc préparé et quand Tudor sort du bois, la cote de ses anciennes montres, jusqu’alors négligées, prend aussitôt l’ascenseur. Un ascenseur qui poursuit sa montée, comme le démontre le prix assez faramineux obtenu récemment par une montre de plongée Tudor qui a atteint les CHF 18'000.-.

TUDOR Heritage Chrono Ref. 70330 (2010)

Institutionnalisation de la réinterprétation

Dès lors, convaincus de coïncider étroitement avec « l’air du temps », Tudor institutionnalise en quelque sorte sa voie de la réinterprétation et se décide à sortir une nouvelle Heritage par an. En 2011 c’est ainsi au tour de l’Advisor de sortir de son tiroir. Seule montre-réveil du duopole Tudor-Rolex, l’Advisor originelle remonte à 1957 et arborait à l’époque un diamètre de 34 mm ! Les designers vont l’élargir de 8 mm pour atteindre les 42 mm, vont la doter d’une carrure titane pour en améliorer le son et vont adjoindre au réveil un stop net de façon à éviter le grésillement allant en s’atténuant du réveil traditionnel. Pour ce faire, ils ajoutent un module exclusif à Tudor sur une base ETA 2892.

TUDOR Advisor Ref. 7626 (1957)

Cette nouvelle Heritage suscite l’intérêt de bien d’autres marques pour cette démarche de réinterprétation systématique du passé. Les prix très contenus et maîtrisés auxquels ces nouvelles Heritage Tudor sont proposées coïncide aussi avec le fameux « air du temps » qui s’oriente progressivement à la retenue – économie oblige mais aussi en réaction face à la montée en gamme généralisée. D’ailleurs, à la même époque, on observe des phénomènes semblables dans d’autres branches, comme l’automobile, par exemple, devenue elle aussi friande de modèles « réinterprétés », à l’image de la Fiat 500 ou de la Mini.

Mais la véritable rupture dans la perception de la pertinence de la démarche de Tudor intervient en 2012 avec l’Heritage Black Bay, qui revisite les 60 ans de l’histoire des montres de plongée de Tudor, démarrée en 1954. 

TUDOR Oyster Submariner Ref. 7923 (1954)

Cette montre, rapidement devenue un des best-sellers de la marque, a pour particularité de ne pas être une « simple » réinterprétation d’un modèle unique mais de s’inspirer d’une série de montres de plongée du passé de Tudor. Avec sa glace et son cadran bombé, ses biseaux sur les cornes, son absence de protection de la couronne, sa lunette crantée unidirectionnelle et ses très identitaires aiguilles « Snowflake » (apparues en 1969),  l’Heritage Black Bay procure ainsi une « sensation vintage » grâce à des éléments divers puisés dans différents modèles. Couronnée par le Grand Prix de l’Horlogerie de Genève en 2013, cette montre « revival » très réussie a aussi pour elle son prix défiant toute concurrence : CHF 2'950.- (avec mouvement ETA, ajouter désormais CHF 500.- avec le nouveau mouvement manufacture Tudor). Ce succès confirme dès lors la justesse de l’approche industrielle initiée par la maison.

TUDOR Heritage Black Bay (2014)

Poursuivant sur cette lancée, Tudor sort en 2013 l’Heritage Chrono Blue, inspiré d’un chronographe intégré à roue à colonnes de 1973. A nouveau, le design revisite l’ancien modèle, reprenant certains éléments identitaires, comme la couleur, bien évidemment, mais aussi l’historique compteur 45 minutes, mais remplaçant certains autres éléments, pour une meilleure lisibilité, à l’image des index à présent tri-dimensionnels et aux bords métalliques qui contiennent le Superluminova.

TUDOR Heritage Chrono Blue (2013)

S’en suivent en 2014 deux nouvelles réalisations. La Black Bay « Midnight Blue », cadran noir, lunette bleue, dont les couleurs font référence aux modèles créés par Tudor pour la Marine Nationale Française, « solidifie » encore un peu plus la démarche réinterprétative de Tudor. De par sa légitimité historique elle a pour effet collatéral de faire rapidement grimper la cote de ses montres anciennes à tel point qu’aujourd’hui le modèle original Tudor Marine Nationale, pourtant produit en grand nombre, est passé de CHF 5'000.- voire CHF 8'000.- à CHF 25'000.- ! L’autre modèle de 2014 est la Ranger, une réinterprétation d’un modèle de 1967, passé de 34 mm à 41 mm.

TUDOR Heritage Ranger (2014)

2015 verra une pause, car la marque est accaparée par la sortie de son nouveau mouvement manufacture, mais cette année, un nouveau modèle a attiré une très forte attention, la Black Bay Bronze. L’emploi de ce matériau (qui revient en force chez plusieurs marques) fort utilisé dans la marine est ici légitimé par les nombreuses collaborations de Tudor avec non seulement la Marine Nationale Française mais de nombreuses autres marines, telles que celles des USA et du Canada. Sa particularité essentielle est de se patiner avec le temps mais Tudor a développé un alliage de cuivre et d’aluminium spécifique dont la patine va se développer de façon homogène donnant à la montre non pas un aspect usé mais une certaine noblesse matérielle.

TUDOR Black Bay Bronze

Maîtriser une subtile alchimie

Comme on peut le constater à l’examen de cette voie de la « réinterprétation », le succès de Tudor provient sans doute d’une profonde compréhension de ce que les collectionneurs et les aficionados du vintage recherchent et diffusent au travers de leurs blogs, forums et autres échanges. Réinterpréter signifie maîtriser une subtile alchimie entre la conservation de certains détails-clés – parfois minimes comme, par exemple, le triangle rouge apparu en 1958 et reproduit sur la lunette de la nouvelle Black Bay Black – et l’amélioration ergonomique et fonctionnelle apportée par l’évolution des techniques de production et la maîtrise de l’industrialisation. 

TUDOR Heritage Black Bay Black

Sans doute cette « opération réinterprétation » doit aussi son succès aux personnes qui ont constitué l’équipe dédiée au « réveil » de Tudor, tous des collectionneurs et aficionados passionnés d’histoire horlogère – sans oublier un élément devenu aujourd’hui absolument déterminant : un rapport qualité/prix irrésistible.

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