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Silicium ou pas?

Spiraux en silicium, l’irréversible révolution

Pourquoi certains acteurs de la production horlogère continuent de croire que la recrudescence du spiral en silicium dans les montres mécaniques suisses va à l’encontre des valeurs horlogères d’origines. Le débat continue.

Par Joël A. Grandjean
Contributeur

Ce matériau est froid, c’est du verre. Il est friable aussi. Il ne se laisse pas régler par la main de l’homme, il casse. Il a beau répondre aux problématiques séculaires des horlogers telle que l’auto lubrification ou la répétabilité en matière de précision, il n’en demeure pas moins le fruit d’une compétence de chimiste et de physicien, pas d’horloger. Or, l’ensemble de l’horlogerie traditionnelle, et notamment les raisons qui font que cette horlogerie se situe géographiquement dans les terroirs d’Helvétie, est basé sur la quête d’une précision qui s’acquiert grâce au réglage minutieux d’un spiral qui a été fabriqué dans un alliage particulier, capable de mémoire.
 

First experiments and Ulysse Nardin

S’attaquer au Graal? Dans l’histoire horlogère récente, on attribuerait au Prix Gaïa Anthony Randall la fabrication artisanale et inspirée de spiraux en verre. Il s’agit d’un horloger anglais issu du technicum de La Chaux-de-Fonds et élève du génial Jean-Claude Nicolet alias «le dernier des grands orlogeurs». Puis, c’est au sein du Musée International d’horlogerie de La Chaux-de-Fonds alors dirigé par son Conservateur, le savant Ludwig Oechslin, que Philippe Pellaton du département de restauration se livre entre février et mars 2002 à quelques premiers essais portant sur 25 spiraux en silicium. Les mouvements sont des Unitas 6445, 18½, 18'000 A/h, angle de levée 49°. Son rapport conclut que «les résultats sont suffisamment éloquents pour ne pas insister avec un échantillon plus étendu.»
 

En 2001 déjà, Ludwig Oechslin, également horloger, inventeur et astronome, s’alliait avec la marque Ulysse Nardin pour signer la première utilisation d’un spiral en silicium dans l’horlogerie. Mais la recherche avait besoin de moyens. C’est donc trois sociétés qui décidèrent de la financer, Patek Philippe, le Swatch Group et Rolex. Ces géantes s’embarquèrent, au fil d’une quête dont l’utilité n’était alors pas garantie, dans un programme mené par les chercheurs du CSEM, le Centre Suisse d’Eletronique et de Microtechnique à Neuchâtel. Chacun gardera jalousement le secret des résultats communément obtenus tout en ayant le droit de les exploiter.
 

Patek Philippe, par l’entremise de son département «Patek Philippe Advanced Research», fit preuve d’une certaine audace en se lançant la première dans la révolution silicium. D’abord depuis 2005 par l’arrivée d’une roue en Silinvar ne nécessitant pas de lubrification, puis en 2006 par l’introduction du Spiromax, le spiral. Enfin en 2008 c’est au tour du Pulsomax, l’échappement, de créer la surprise. En 2011, pour compléter l’ensemble, c’est enfin au GyromaxSi®, le balancier, de faire son apparition. Une cohérence planifiée en matière de développement de fabrication de composants qui tend à optimiser le rendement des montres sans en modifier structurellement le fonctionnement. Le Swatch Group, quant à lui et sans faire de bruit, l’introduit peu à peu, d’abord chez Omega dans ses mouvements Co-Axial voire même dans une Tissot qui remporte le Concours de Chronométrie.
 

Côté Rolex, il faut attendre la Foire de Bâle de 2014, soit 12 ans après, pour que la marque à la couronne s’embarque dans cette révolution, via l’introduction d’un spiral en silicium dans une de ses collections de modèles féminins. Cet «honneur aux dames» fait sourire tant certains y voient autant une manœuvre de diversion face à la réticence du marché qu’une manière d’orchestrer discrètement un test grandeur nature. Cette année-là donc, pour la première fois, c’est l’Oyster Perpetual Datejust Pearlmaster de 34 mm sertie, qui accueille le calibre 2236 doté du nouveau spiral Syloxi en silicium. Cette innovation est auréolée de 5 brevets, dont 4 propres à Rolex et un portant sur la matière elle-même, partagé avec Patek Philippe et le Swatch Group. Certifié COSC, ce calibre allait ensuite équiper d’autres montres.
 

Le questionnement des opinion leaders

Contrairement à ce qui se passe dans d’autres secteurs, la technologie de pointe n’a pas le même sens dans l’univers horloger, puisque la clef de la résurrection du mécanique, c’est la tradition et surtout, c’est omniprésence du compromis historique, celui que tant de générations ont fini par instaurer voire valider. L’ennemi de l’horlogerie mécanique fut le quartz.
 

Or il y a quelques similitudes troublantes entre le quartz et le silicium: c’est le composant principal des microprocesseurs qui font fonctionner nos systèmes informatiques, notamment les Casio G-Shock. De plus, le processus de fabrication d’une montre à quartz est, à l’instar des assortiments silicium, hautement standardisé. Toutefois, l’ironie veut que le silicium, bien réglé, soit redoutablement précis, pour preuve, le concours de Chronométrie 2011 qui a vu la victoire de Technotime, Chopard et Tissot, des modèles équipés de spiraux silicium. Or, l’autre technologie qui fournit une précision redoutable avec un cœur de silice, c’est bien sûr le quartz!
 

Pour les puristes, la meilleure illustration du facteur tradition et d’une bienfacture mécanique ininterrompue reste Patek Philippe. Ont-ils donc vraiment envie de voir un matériel de pointe s’immiscer dans une montre de tradition, fût-elle la référence 5550P Advanced Research? Bref, au sein de cette niche quelque peu atypique d’insiders, le silicium pose la question métaphysique de la date d’arrêt de l’horlogerie mécanique pure et dure: est-ce que le silicium est légitime dans une montre de construction traditionnelle? Sur la toile, le débat a permis aux marques détentrices de cette nouvelle technologie d’éviter les faux pas.
 

Il est bon de se souvenir que le magazine Watchonista avait sur ce sujet ouvert un espace référence et recueilli l’avis d’influenceurs. Voici pour mémoire cet échantillonage d’avis initiés: Ariel Adams (ablogtowatch), Frank Geelen (Monochrome), Robert-Jan Broer (Fratellowatches), Jason Pitsch (Professional Watches) ou Angus Davies (Escapment). Celui enfin éclairé d’un grand capitaine de l’industrie horlogère, Jean-Daniel Dubois, l’un des sauveurs de l’horlogerie mécanique aux côtés de Nicolas Hayek père. Il est l’actuel Directeur général de Vaucher Manufacture à Fleurier.

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Par Jérôme MeierContributeur invité
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