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Silicium ou pas?

Opinion étayée d'un horloger sur l’avancée du silicium

En 2018, de plus en plus de marques recourent au silicium. Bref parcours de l’histoire et de l'avenir de ce matériau de plus en plus incontournable.

Par Jérôme Meier
Contributeur invité

En tant qu'horloger au bénéfice d’une formation traditionnelle principalement orientée vers le patrimoine et les montres d'époque, je dois avouer que l'utilisation de matériaux de haute technologie tels que le silicium dans un mouvement de montre ressemble un peu à de la science-fiction.

Quand je me remémore de la difficulté (mais surtout de la satisfaction) d'ajuster les fonctions d'un échappement, formant ma première courbe terminale sur un spiral en acier bleui ou même huilant les palettes d'une ancre de calibre ultra-mince, je me suis rendu compte qu’il est désormais possible de nos jours d'assembler tous ces composants avec presque aucun ajustement. C'est désormais une réalité ...
 

L'évolution du silicium

Avant de passer en revue l'évolution du silicium ces dernières années, revenons sur les raisons pour lesquelles ce matériau, très utilisé dans l'industrie des semi-conducteurs,  suscite depuis vingt ans  autant d’attention dans l'industrie horlogère. Précision de taille, cet article traite uniquement du silicium utilisé dans le mouvement (notamment l'échappement) et non sur les extérieurs de la montre.
 

Le silicium est beaucoup plus léger que l'acier ou le laiton (traditionnellement utilisé pour la plupart des composants de mouvement). Ce matériau est amagnétique, résistant à la corrosion et à l'usure, flexible et ne nécessite généralement aucune lubrification. De plus, ses procédés de fabrication permettent la production de composants de forme très complexes.

En plus d'être fragile et délicat à manipuler, le silicium semble être le matériau idéal non seulement pour améliorer l'échappement traditionnel, mais aussi pour développer des systèmes totalement nouveaux, qui présentent des alternatives sérieuses à l'échappement à ancre de fabrication suisse. 
 

Bref historique du silicium

Au début des années 2000, avec l'aide de laboratoires et d'instituts de haute technologie spécialisés, quelques entreprises horlogères ont commencé à rechercher de nouvelles solutions aux problèmes séculaires de l'horlogerie: débit, magnétisme, lubrification, fiabilité, durabilité. En 2001, Ulysse Nardin a ouvert la voie en réalisant la première montre mécanique, la Freak, dont l'échappement Dual Direct était partiellement en silicium. C’est désormais chose courante dans l’industrie horlogère.
 

Peu de temps après, en 2005, Patek Phillippe présentait sous le concept Patek Philippe Advanced Research, sa première roue d'échappement Silinvar dans le calendrier annuel de référence 5250. Une révolution pour cette entreprise familiale considérée comme l'un des fabricants de montres traditionnelles.
 

D'autres marques ont progressivement suivi la tendance en introduisant des composants en silicium (roues d'échappement, ancres et spiraux) dans leurs échappements classiques. Des noms illustres comme Breguet, Jaeger LeCoultre, Rolex, Blancpain, Jaquet Droz, Harry Winston, Tudor et Laurent Ferrier, entre autres, ont présenté leurs propres mouvements équipés de cette nouvelle technologie.

Certains ont amélioré leurs calibres existants avec du silicium. A l’instar d’Omega qui a équipé l'échappement coaxial avec son spiral Si 14 en 2008, tandis que d'autres ont créé des procédés entièrement nouveaux (comme Girard Perregaux, qui a développé son remarquable échappement Constant en 2008, officiellement lancé en 2012).
 


 

Pour la vente aux enchères caritatives Only Watch 2011, Maurice Lacroix a créé un chef-d'œuvre unique Roue Carrée Seconde dans lequel la roue carrée et la roue en forme de feuille de trèfle ont été fabriquées à partir de silicium.

Des recherches plus approfondies ont conduit au développement de plusieurs améliorations, notamment le silicium revêtu de diamant qui confère une plus grande résistance à l'usure et prolonge la durée de vie des composants. Une amélioration significative qui a combé d’aise les manufactures comme IWC, Ulysse Nardin et Vacheron Constantin. Cette dernière est entrée dans l'ère du silicium en 2015 en équipant la montre compliquée jamais produite (référence 57260) d'une roue d'échappement et d'un levier en silicium avec des palettes en diamant. Comme quoi, on ne peut jamais rien exclure…
 

Développements récents

Théoriquement, les marques annoncent leurs nouveautés en janvier au SIHH (et les salons plus ou moins sur le même créneau autour de Genève) ou en mars pour Baselworld. En janvier 2017, Panerai s'est concentrée sur les matériaux de haute technologie en dévoilant la LAB-ID Luminor 1950 Carbotech 3 Days, une montre sans lubrifiant garantie cinquante ans. La montre, création d'un programme complet de technologie de pointe de Panerai, repose sur des matériaux autolubrifiants secs comme le silicium revêtu de carbone (DLC). Dans le même esprit, Ulysse Nardin, qui a cru au silicium depuis le début des années 2000, a présenté plusieurs évolutions du modèle Freak, pour dévoiler au SIHH 2017 l'InnoVision 2 et ses dernières innovations technologiques. L'échappement Dual Constant (évolution de l'échappement Dual Direct de 2001 et de l'échappement Ulysse Anchor avec ses palettes «volantes» de 2014) a été mis à jour avec une technique de liaison silicium inédite en plus d'un balancier en silicium avec éléments de masse des pales fournissant un moment d'inertie élevé et une sensibilité aux changements d'amplitude entre les positions horizontales et verticales.
 

En mars 2017, Patek Philippe a lancé la cinquième montre en édition limitée du programme Advanced Research. Pour le vingtième anniversaire de l'Aquanaut, cette référence 5650G Travel Time était, en plus d'un mécanisme de réglage innovant pour le deuxième fuseau horaire, équipée de la version mise à jour du spiral Spiromax et de sa courbe terminale intérieure.
 

D'autres fabricants ont tendance à présenter leurs nouveaux modèles quelques semaines avant ou juste après le SIHH. C'est ce que Zenith a effectué en septembre 2017, quelques mois après la nomination de Julien Tornare en tant que PDG de la société Le Locle, en lançant la Zenith Defy-Lab. Dans ce garde-temps, il n'y a aucun équilibre conventionnel, pas de spiral et pas d'ancre. Le système traditionnel d'absorption des chocs est inexistant. En lieu et place se trouve un élément en silicium monobloc qui combine à la fois les fonctions de l'échappement et du système oscillant. Le mouvement à haute fréquence bat à 108 000 vph (15 Hz), et dispose d’une réserve de marche de 60 heures. Il affiche une variation maximale de seulement ± 0,5 seconde en 48 heures.
 

Maintenant que le SIHH a bouclé ses portes, force est de constater que le silicium est de moins en moins une exception pour devenir une réalité dans le monde horloger. Baselworld va certainement confirmer cette tendance, mais il semble que cette technologie tend à s'étendre à l'ensemble des marques, de la production de garde-temps prestigieux à ceux d'entrée de gamme.

Patek Philippe, dont ses principaux calibres sont équipés d'un spiral en silicium, a également équipé certaines de ses Grandes Complications du même spiral Spiromax (exemple, le Minute Repeater-Perpetual Calendar, référence 5374, en platine vendue pour plus de 600’000 $). A l’autre bout de la chaîne, Tissot a équipé sa Ballade Powermatic 80 COSC d'un spiral en silicium. Son prix est d’environ 1 000 dollars. Au SIHH, l'une des montres à base de silicium les plus abordables était la Baumatic de Baume & Mercier pour moins de 3 000 $. Les deux groupes, Swatch Group et Richemont, ont décidé de partager le fruit de leurs recherches à toutes leurs gammes de produits.
 

Conclusion

Le but de cet article n'était pas de présenter une liste exhaustive des marques qui utilisent le silicium dans leurs produits. Il s'agit plutôt de souligner l'intérêt croissant pour ce matériau de haute technologie qui semble être la solution aux principaux problèmes de l'industrie. Cependant, le silicium n'a pas le soutien unanime des horlogers qui s'inquiètent de la manière dont ce matériau évoluera à l'avenir et se demandent comment les prochaines générations pourront réparer ou refaire les pièces en silicium.
 

D’aucuns estiment qu'il sera très difficile de brandir l’étendard du savoir-faire suisse en utilisant une technologie que d'autres pays avancés maîtrisent certainement aussi bien.

Bien sûr, plus d'un horloger restera prudent dans la manière d’utiliser le silicium dans ses pièces. 

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