René Kamm tire sa révérence, la revanche des bouseux!
René Kamm, le CEO de MCH, le groupe côté en bourse propriétaire de Baselworld, «démissionne d'un commun accord». L'ère de l'arrogance serait-elle enfin révolue du côté de Bâle? Et si un ‘horloger’ prenait sa place?
Pardonnez Messieurs les grands de la finance et de MCH, mais l'horlogerie n'est pas une branche comme une autre. Ses acteurs parlent français pour la plupart et, à part quelques Genevois, ils viennent des montagnes ou de quelques bourgades de seconde zone telles que Bienne. L’horlogerie est régie par des codes qui lui sont particuliers et qui vous ont semble-t-il échappé.
Des premières fissures à l'hémorragie chronique
Un exemple? Chaque marque horlogère ou groupe n'a pas la chance de posséder un outil de fabrication complet, qu'il soit artisanal ou industriel. Aussi, le monde de la sous-traitance horlogère est à l'excellence horlogère ce que les produits du terroir sont aux grands chefs cuisiniers. Vous viendrait-il à l'idée, lors d'un salon dédié à la gastronomie regroupant plusieurs chefs de très haut niveau mondialement connus, d'éloigner les producteurs de produits frais dans une ville voisine de plus d'une centaine de kilomètres, juste parce qu'il faut faire de la place à des restaurants asiatiques ou fast-foods?
Non? Pourtant, c'est ce que MCH a tenté de faire en 2001 à l'ensemble des sous-traitants de l'horlogerie. Ceux-là même qui faisaient un effort financier surhumain pour être en mesure de se trouver dans le sillage de leurs clients, les marques prestigieuses. Oh, l'organisateur a vite fait machine arrière. Oh, cela ne partait certainement pas d'un mauvais sentiment puisque, d'un pur point de vue d'organisateur privé momentanément de mètres carrés pour cause de travaux d'aménagement - la bonne cause - il apparaît plus logique de regrouper les marques entre elles, fussent-elles en provenance de Hong Kong, plutôt que de laisser en place des acteurs dont la clientèle ne se recrute pas chez les visiteurs du Salon mais chez les exposants.
Figurez-vous Messieurs de la finance, c'est justement ça l'arrogance. Ne pas avoir compris qu'en laissant cette idée saugrenue germer dans vos cerveaux et en osant la formuler vous avez asséné votre premier coup de hache dans la coque de votre propre navire, un bateau séculaire, extraordinaire. La première grande cassure par laquelle l'eau est entrée: ils furent 92 à l'EPHJ en 2002, ils sont aujourd'hui plus de 800. Du manque à gagner dont vous êtes seuls responsables et qui s'accentue encore en 2018 avec la naissance à Genève du salon des pierres précieuses et de la joaillerie, GemGenève. Puls de 100 exposants qui ne seront jamais à Bâle.
Les arrogances et les meilleurs
En 1991, encore avant, il y avait eu Genève et ses désirs de tapis rouges, alias l'acte de sécession d'une poignée de marques dérangées par les odeurs de saucisses et les salades de cervelas au gruyère. Gavées aussi des surfacturations alentours, celles de ces hôtels appliquant des tarifs spéciaux pour l'horlogerie. Alors le SIHH est né à Genève, un peu snob, un peu arrogant aussi mais pas de la même manière. Grâce à lui, Bâle allait installer des moquettes bleues à quelques endroits, instaurer ici et là des sushi trains et monter un peu en gamme côté accueil et luxe. Imperceptiblement, une première fissure craquelait la coque du grand navire Foire de Bâle. Et toujours, comme réaction et comme posture, cette forme de dédain qui sied aux géants qui ne savent pas encore qu'ils ont des pieds d'argile. MCH, du haut de sa capitalisation boursière, est un géant.
Il y en eu tant, durant ces 20 années, d'actes manqués, de ces petites touches d'arrogance qui ont saupoudré l'actualité des exposants. Il y eut aussi de véritables insultes, des camouflets flagrants. Tandis qu'en 2008 ils sont plus de 2000, les exposants en 2016 ne sont plus que 1200. En 2017, coup de théâtre, comme si la coque du navire se fendait en deux, plus de la moitié décide en bloc de tourner les talons. Face aux médias, l'ex Directrice, Mme Sylvie Ritter flanquée de son CEO René Kamm aura cette formule affligeante plus inspirée par un égo bousculé que par un désir de conciliation: «Nous n'avons gardé que les meilleurs». Plutôt sympa pour les démissionnaires qui, durant des années fidèlement, se serrèrent la ceinture pour permettre à MCH de nourrir ses rêves de grandeur, ses appétits d'expansion ainsi que ses velléités immobilières. Ces petites bouches qui ont soufflé sans relâche dans la voilure de votre grand bateau.
«Capitaine par beau temps»
Telle est la formule employée en conférence de presse par René Kamm hier à Bâle, vendredi 3 août 2018, pour accompagner sa "démission d'un commun accord". Une démission qui survient après l’annonce du Swatch Group de retirer ses 18 marques de la partie en 2019. La formule est succulente, croustillante. Elle est surtout encore une fois de plus l'expression d'une arrogance qui, à ce niveau, ressemble plus à de la naïveté qu'à de l'absence de bonnes intentions. Donc il a navigué par beau temps, il en est encore persuadé, voire fier. Il ne semble à aucun moment soupçonner que les fonds marins se soient entrechoqués durant son règne, qu'ils y aient eu des slaloms incroyables entre des récifs non prévus, des courants contraires, des baleines en colère et... Non, pour lui, ces deux décennies furent consommées à ne voir que du beau temps, à scruter la ligne d'horizon, à écarter d'un souffle de porte-voix toute espèce de petite embarcation se trouvant sur son chemin. Et même, à se lancer en Suisse romande avec Lausannetec dans un plagiat monumental et raté du salon des fournisseurs, l'EPHJ-EPMT-SMT.
Qu'y a-t-il de si incompréhensible, Messieurs de la Finance, dans cette horlogerie qui, à Bâle, vous est tombée dessus sans que vous ne puissiez mesurer votre chance? Un peu d'histoire SVP. Il était une fois des paysans de montagnes qui, pour tuer le temps et arrondir leurs fin de mois, bricolaient dans la cuisine chauffée attenante à l'étable, des petites merveilles micromécaniques. Des montres...! Ces modestes, ces pauvres espéraient les vendre au sortir de l'hiver, dès les premières fontes des neiges. Alors, cherchant où les exposer, ils ont arrêté leur choix sur un salon grand public, celui de la Foire aux Echantillons à Bâle. Le seul qui, dans le calendrier, correspondait à la fin de l'hiver. Ils y ont donc pris leurs quartiers, s'y sont regroupés. Puis, leurs étals sont devenus stands à étages, puis ils sont devenus des marques de luxe, après avoir survécu aux crises et aux guerres. Puis ils on créé, dans cette ville germanophone à cheval entre trois frontières, le plus grand des héritages mondial en matière d'exposition horlogère.
Une personnalité horlogère, la perle rare?
Or, et c'est peut-être ce dédain omniprésent qui se mue en arrogance, les acteurs de ce secteur, à l'exception de quelque prestigieuse enseigne genevoise, sont romands et descendent des montagnes. Personne ici ne les a vus venir. Ce côté 'bouseux' fait que l'horlogerie à Bâle fut perçue comme une bonne grosse vache qui produit du bon lait et que ne semble jamais vouloir s'arrêter à en produire. Une vache qui ne rechigne pas, qui ne se plaint pas. Une vache qu'il faut traire, à tout prix. Sauf que, les bouseux ont osé se rebeller. Ils ont décidé que leur bétail pouvait aller paître ailleurs et qu'il leur fallait trouver de l'herbe fraîche.
Le grand bateau a pris l'eau, méchamment. Il flotte encore, même si l'une de ses voiles principales s'est envolée. Quant au "capitaine par beau temps", il sera remplacé. Et pourquoi pas par un vrai bouseux? Après tout, Messieurs les financiers, je vous promets qu'à la tête de votre principale source de revenus, le bons sens des bouseux et les progrès qu'ils ont fait pour bien se tenir en société, seraient d'excellents atouts. Je vous assure qu'ils ne font plus tâche dans les allées de Art Basel et qu'ils savent parler le langage de vos actionnaires. Bref, un horloger à votre tête. Voici ce qu'il vous faut.