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Histoire du Poinçon de Genève: une longue stagnation (1918-1990) – 2ème partie

Au cours du 20e siècle, c’est Patek Philippe qui assure pour l’essentiel la survie du Poinçon de Genève fondé en 1886 et qui avait connu des premières décennies difficiles.

Par Pierre-Yves Donzé
Historien

Pour mémoire les difficultés auxquelles l’Institution dut faire face durant les premières décennies suivant sa création étaient dues au faible nombre de montres soumises à son contrôle. Des montres essentiellement déposées par des horlogers indépendants et non des entreprises industrielles.

Les difficultés de l’entre-deux-guerres

Le passage des montres de poche aux montres-bracelets, de même que la cartellisation de l’industrie horlogère suisse (naissance du Statut horloger) ont un grand impact sur l’horlogerie genevoise. La plupart des petits fabricants genevois qui soumettaient leurs mouvements de montres au Poinçon les vendait ensuite à des fabricants de montres complètes établis ailleurs en Suisse, principalement à Bienne et à La Chaux-de-Fonds. Or, cette pratique devient peu à peu interdite au cours des années 1920 : les assembleurs de montres doivent se fournir auprès d’Ebauches SA. Aussi, à l’exception de quelques rares manufactures, comme Patek, Philippe & Cie et Vacheron & Constantin SA, la production locales de mouvements de montres s’effondre. Dans ces conditions, le nombre de candidats au Poinçon se réduit drastiquement.
 


Il faut aussi souligner que la commission d’administration du Bureau de contrôle poursuit une politique rigide dans sa définition de la montre genevoise. Par exemple, en mai 1921, elle refuse des mouvements soumis par la Fabrique d’ébauches et de montres du Petit Lancy. Bien que réalisées dans le canton de Genève, ces pièces ne suivent pas les prescriptions relatives à certains types de roues.
 

Le rôle salvateur de Patek, Philippe & Cie

Les années 1930 se présentent comme une décennie qui voit Patek, Philippe & Cie devenir le principal, puis quasiment l’unique client du Bureau de contrôle, si bien qu’il n’est pas exagéré de parler de privatisation de cette institution. La part de cette entreprise dans les contrôles de montres passe de moins de 5% du total avant 1924 à 30.8% en 1925, 34.1% en 1930, 48% en 1932 et plus de 80% depuis 1934. Elle atteint même 98.2% en 1940-1945. Patek, Philippe & Cie est précisément l’une des rares manufactures de la ville, soit une entreprise qui présente la capacité de développer ses propres mouvements et de les rendre compatibles aux critères techniques du Bureau.
 


L’autre grande manufacture de la ville, Vacheron & Constantin, ne participe qu’exceptionnellement aux activités du Bureau : elle n’y dépose que trois montres au total durant l’entre-deux-guerres (1932, 1937 et 1939), au désespoir de la commission administrative qui aimerait élargir le nombre de ses partenaires et collaborer avec les deux principales manufactures genevoises. En octobre 1924, elle déplorait déjà le manque d’intérêt de Vacheron & Constantin : « On comprend très bien qu’ils peuvent se passer du contrôle, que leur nom suffit mais qu’ils devraient faire le sacrifice d’un amour propre bien justifié, pour le bien de notre industrie genevoise. » La commission décide alors de rencontrer les dirigeants de cette entreprise « afin de les convaincre de faire un effort patriotique » mais cette réunion n’est pas suivie d’effets.

Après la Seconde Guerre mondiale

Le contexte industriel ne change pas fondamentalement entre 1945 et 1990, malgré la fin du Statut horloger durant la première partie des années 1960. Les entreprises capables et désireuses de suivre les critères sélectifs du Poinçon de Genève sont rares. Patek, Philippe & Cie reste le principal partenaire de l’institution (67.3% de l’ensemble des poinçons en 1950-1990), voire son unique contributeur après le retrait de Vacheron & Constantin. En 1990, Patek Philippe est même la seule entreprise à poursuivre sa collaboration avec cette institution et obtient 98.6% des poinçons.
 


La collaboration entre Patek et le Poinçon de Genève présente trois grandes phases. Premièrement, entre 1950 et 1970, on assiste à une formidable croissance des dépôts, qui correspond de toute évidence aussi bien à une croissance des affaires qu’à une stratégie de poinçonner la (quasi) totalité de la production. Le Poinçon de Genève devient un argument de vente. Au milieu des années 1960, la manufacture genevoise lance en effet une campagne de publicité dans laquelle elle affirme soumettre l’ensemble de ses mouvements au Bureau de contrôle, être la seule à le faire, et prétendre donc au titre de meilleure manufacture horlogère du monde.

Deuxièmement, les années 1972-1986 correspondent à une période de forte chute des poinçonnages, qui s’explique par les effets de la crise, mais aussi par le développement de l’électronique. Patek Philippe commence en effet à équiper certains de ses modèles en mouvements quartz. La forte chute, puis la stagnation du nombre de montres obtenant un « Poinçon de Genève » souligne ce changement.
 


Enfin, troisièmement, la seconde partie des années 1980 est une période de retour triomphant de la montre mécanique, qui se poursuit dans les décennies suivantes. Bien que le quartz reste utilisé, principalement pour les montres dames, les montres mécaniques retrouvent de l’importance et Patek Philippe renforce sa collaboration avec le Bureau de contrôle des montres.

Patek, Philippe & Cie est rejointe au milieu des années 1950 par sa rivale Vacheron & Constantin, qui représente environ le tiers des poinçons jusqu’au milieu des années 1980. Toutefois, les difficultés financières et industrielles rencontrées par cette entreprise au cours des années 1980 l’amènent en effet à abandonner son statut de manufacture et à s’approvisionner en mouvements à l’extérieur du canton, en particulier auprès d’ETA.
 

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