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Vintage & Enchères

Ventes aux enchères, y a-t-il une vie en dehors de Patek Philippe? – Part 1

Dans les ventes des grandes maison de ventes aux enchères horlogères, il y a ceux qui cartonnent. Patek Philippe en tête, suivie de Rolex et de quelques marques qui se disputent la troisième marche du podium. Pour les autres…

Par Joel Grandjean
Rédacteur en Chef

Difficile de passer à côté des nombreuses Patek Philippe qui refont surface au fil des pages en papier glacé des catalogues de ventes aux enchères et qui ne cessent de collectionner les records les plus époustoufflants. 

Le règne sans partage de Patek Philippe

La marque caracole en tête depuis l’arrivée il y a une presqu’une trentaine d’années d’Antiquorum qui, ayant détecté les potentiels de ce marché, s’est mis à lui offrir ses propres events. Des ventes aux enchères dédiées, uniquement réservées à l’horlogerie. Depuis, les plus grandes enseignes du genre ont suivi, Sotheby’s, Christie’s et enfin Philips. Elles ont toutes créé des départements spécialisés et engagé des experts patentés. Elles ont engendré des commisseurs priseurs devenus parfois super stars: on se souvient d’un Simon de Pury, élégant et raffiné, qui su transformer les sessions en véritable show.

Aurel Bacs.

Une place occupée ces dernières années par un Aurel Bacs qui, non content d’afficher une présence galvanisante, dispose d’un réseau international et d’un flair de fin limier. 

Du côté des marques disposant d’une histoire, Breitling, Omega, Panerai, Ulysse Nardin, F.-P. Journe, Vacheron Constantin ou Jaeger LeCoultre, toutes rêvent de monter aussi sur le podium des noms les plus performants dans l’univers des ventes aux enchères, de faire leur entrée dans les salles surchauffées par les harangues source d’enchérissements. Tantôt, une vente thématique leur offre un zoom inestimable, tantôt une vente caritative, en raison d’une générosité complice ou coup de cœur, leur permet de fixer dans le marbre le prix d’un modèle unique 

La montre Jaeger-LeCoultre Reveso du Général MacArthur vendu par Antiquorum.

Sur le net, une galaxie de viennent-ensuite

Etonnamment, en marge de ces enseignes qui se comptent sur les doigts d’une seule main et dont Patek Philippe incarne l’index qui montre la voie, il existe une galaxie de marques qui se vendent hors de la main-mise des principaux acteurs de ces ventes. Des disparues, ou presque, des pièces qui échappent aux appétits des grands collectionneurs puisque leur accessibilité les confinent à d’autres réseaux de ventes, principalement sur internet.

Une montre très rare de Panerai vendue par Christie's.

Ainsi, sur eBay et sur les sites qui s’en sont inspirés, on trouve un nombre vertigineux de montres dont la charge historique et patrimoniale pourrait bien, pour autant qu’on parvienne à l’évaluer, rivaliser avec les vedettes médiatiquement adoubées. Il serait d’ailleurs intéressant qu’une étude puisse un jour additionner tous ces potentiels éparpillés aux quatre coins de la toile et, après en avoir estimé la valeur, les comparer avec les bilans financiers des trois à quatre ténors des ventes aux enchères.

Une montre Rolex Daytona très rare vendue par Antiquorum.

Quoiqu’il en soit, à bien observer cet univers où le clic décide de l’achat et où la confiance qui se doit d’entourer tout acte de vente a été validée par les utilisateurs eux-mêmes, il se pourrait bien que se dessinent demain les prochains noms sur la liste des marques les plus demandées. 

Gigantesques vide-greniers virtuels

L’avantage sur la Toile, c’est que tout collectionneur peut trouver, quelle que soit l’étendue de sa surface financière, de quoi assouvir ses pulsions d’acquisitions horlogères. Certains s’y constituent même de magnifiques collections à partir de modèles dont la valeur peut ne pas dépasser celle d’une Swatch, tout en offrant l’immense attrait d’avoir parfois le même âge que celui de leur acquéreur, de disposer d’une dimension historique et d’appartenir à un patrimoine dont le haut de l’iceberg, en vitrine mondiale, titille sans cesse de nouvelles vocations.

La montre iconique Swatch créée en 1983. ©Gerber Museum

Allant d’une centaine de francs à quelques milliers, ces modèles passent de poignets en poignets au fur et à mesure que ceux qui les acquièrent s’enhardissent dans leur parcours initatique de collectionneur de seconde zone. Attention, certains d’entre eux rivalisent d’ingéniosité dans leurs recherches. Ils parviennent ainsi à donner à l’objet accessible de leur désir une chair historique qui en augmente la valeur.

Conseils d'achat

Dès lors, le premier conseil à leur donner pourrait être d’acquérir coûte que coûte les deux imposants volumes des «Swiss Timepiece Makers de 1775-1995» écrits par l’historienne américaine Kathleen H. Pritchard, récompensée en 2000 par le prix Gaïa, une distinction créée par le Musée International d’Horlogerie de la Chaux-de-Fonds et son Institut l’Homme et le Temps. Deux livres introuvables hélas seulement en anglais, aux tirages épuisés, qui recensent néanmoins au sortir d’un gigantesque travail de répertoriage, l’immensité des marques et enseignes composant le passé horloger de la Suisse. Ses pages seront un bon début, une porte ouverte sur le rêve et la connaissance.

Le Musée International d'Horlogerie à La Chaux-de-Fonds. ©MIH

L’autre conseil sera, avant de se livrer à de trop gros investissements, d’acquérir une connaissance des pratiques liées aux achats sur internet.

Autrement dit, d’être capable de se frayer un chemin au travers de photos de qualité disparate, des bonnes mœurs commerciales, des lectures entre les lignes des notices explicatives et des justes évaluations des frais de port. Il ne faudrait pas que le coût d’un envoi occupe un trop grand pourcentage de la facture finale d’achat!

Horlogers réparateurs recherchés

Enfin, acheter en l’état sous-entend qu’il faudra peu à peu se constituer son propre réseau de réparateurs. Et c’est aussi valable pour ceux qui courent les bourses horlogères, qui chinent chez les antiquaires ou qui s’égarent dans les vides-greniers. La problématique de la restauration, si elle a été résolue par les grandes maisons de vente aux enchères, demeure le talon d’Achille des collectionneurs de second plan, pouvant transformer le placement raisonnable en modèle trop cher pour ce qu’il est. «Car une montre ancienne, surtout si elle a été portée, s’use. Tous ses pivots, ses ressorts et ses roues, qui se sont frottés des années durant, auront tendance à s’éroder, à s’ovaliser, à perdre de leur matière originelle, rendant les jeux possibles ou les réglages impossibles», met en garde Ollivier Broto, expert et chroniqueur horloger, souvent consulté pour ses évaluations. 

Ce tableau de Lucien Grounauer montre des horlogers dans leurs établis installés dans le Jura neuchâtelois. ©MIH

«Si pour des montres modernes – moins de vingt ans - liées à la production de marques encore existantes, on pourra encore passer par la fabrique, cela devient plus critique pour une marque disparue. Il faudra impérativement se rabattre sur un petit atelier d’horlogerie, voire sur un horloger à la retraite, susceptible non seulement de disposer du savoir-faire mais également de stocks d’anciennes pièces», avertit Ollivier Broto. Et le prix horaire peut varier entre CHF 80.00 à CHF 150.00. Il ajoute: «Si les pièces à remplacer n’existent plus, comme les pivots, les roues ou les ressorts, l’horloger devra les refaire. Cela prend du temps et implique du restaurateur une sacrée dextérité, car trouver des pivoteurs ou des régleurs se fait de plus en plus rare.» 

Penser à tout, même à la sueur!

Le coût d’une réparation implique de l’acquéreur qu’il décortique avec plus d’attention le contexte historique de l’objet convoité, son degré d’usure, la manière dont il a été entretenu. On pourra suivre l’historique de l’entretien grâce aux petites gravures laissées souvent sur le fond de la boîte par les horlogers qui y pratiquèrent une intervention. Provenaient-ils de Suisse ou d’ailleurs, de pays où les pièces détachées, plus difficiles à trouver, contraignaient certains à user de bricolages parfois douteux?

Une très rare montre phases de lune de Patek Philippe vendue par Sotheby's.

Idéalement, la demande d’un devis s’imposerait. Sauf que parfois, la démarche s’avère coûteuse et que la valeur de la pièce ne la justifie pas.

Parmi les autres critères à prendre en compte, il en est un qui fait sourire. La transpiration! Du point de vue du bon sens horloger, cette considération n’a rien de drôle puisque la sueur, très oxydante, demeure l’un des ennemis les plus hostiles aux belles mécaniques. L’acheteur se doit donc, au chapitre des précautions préliminaires, se préoccuper du profil du porteur précédent de la montre, de son métier ainsi que de la lattitude de son lieu de résidence.

Passion moteur

Heureusement, malgré tous ces écueils et malgré les meilleurs conseils prodigués, il arrive souvent, et c’est tant mieux, que le collectionneur n’écoute que son instinct passionnel: un plaisir authentique et une fascination respectable qui trouvent, dans la montre dénichée devenue objet d’obsession comme dans le suspens lié à son acquisition, d’irraisonnables jouissances.

La "Bourse d'horlogerie" au MIH. ©MIH

Rien ne peut en effet, en dehors des voies de la facilité qui consistent à privilégier l’achat d’une pièce en bon état, remplacer la beauté retrouvée d’un cadran vintage, le merveilleux satinage de l’âge – prière d’éviter dans ce cas-là la remise en état –, la découverte des prouesses techniques qui permettent à cette montre rescapée du passé de battre encore fidèlement au rythme de la mesure du temps. On en verra même se contenter d’un garde-temps hors d’état de marche, pourvu qu’il puisse enjoliver leur butin… 

Et si à terme, il vous arrive de croiser l’un de ces nouveaux venus dans l’une des salles des maisons de vente aux enchères, c’est qu’il aura peut-être terminé avec succès sa phase d’apprentissage. C’est certainement qu’il s’apprête à tenter sa chance dans la cour des grands…

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