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La fable de l’expérience client dans le luxe

Toutes les marques tendent à développer leur expérience client de nos jours. Cela définit qui elles sont autant que leurs produits. Mais la réalité est-elle à la hauteur du concept?

Par Benjamin Teisseire
Contributeur

Passionné d’horlogerie, de stratégie marketing et de luxe, j’ai décidé de mener une étude inédite, à titre personnel, pour mettre en perspective le concept d’expérience client et la réalité de la distribution en magasin. Au cours de l’année dernière, j’ai fait le client mystère dans près de 25 magasins de luxe. De la boutique horlogère mono-marque (marques de grands groupes de luxe ou indépendantes), à la boutique multi-marques, du grands magasins au flagship de la mode.

L’expérience client passe par la communication publicitaire, dans les média sociaux ainsi que dans les magasins, qui reste l’un des principaux «points de contact» pour les marques de luxe. C’est un excellent concept qui crée la relation entre la marque et ses clients et qui, mise en place avec succès, garantit l’engagement du client envers la marque et sa loyauté à long terme. Simple et direct, n’est-ce pas?

Blancpain boutique 5th avenue New York Boutique Blancpain sur la 5e Avenue àNew York

La vision marketing et la réalité

Dans les faits, la réalité est légèrement différente entre ce que les marketers imaginent et ce que les clients expérimentent. Pour me faire mon opinion, j’ai donc mené mes nombreuses expériences de client mystère dans de multiples boutiques de luxe à Paris et Genève, deux grandes destinations de shopping de luxe. Pour des raisons évidentes, je ne nommerai personne. Mon but n’est pas de montrer du doigt mais d’attirer l’attention sur l’expérience que les marques pensent générée et la réalité. J’ai simplement agi comme le passionné que je suis, avide d’entendre ce que les marques avaient à me dire et d’apprendre plus sur leurs produits et leurs valeurs. Du pain béni pour tout bon vendeur. Voici mes résultats.

Une grosse marge de progression

D’après mon expérience, seul un magasin sur six (16,6%) offre un réel service  d’excellence. Plus de 40% (41,6) offre un bon service mais qui ne me semble pas être une véritable expérience client de luxe. 21% est en-dessous de ce que l’on peut attendre d’une marque de luxe. Les 21% restants sont inacceptables, pour rester courtois. Si d’aucun des CEO des marques visitées avaient vu certaines des «expériences» proposées, il y aurait sans doute de grosses remises en question en cours.

TAG Heuer flagship boutique at Les Champs Elysées, Paris Boutique TAG Heuer sur Les Champs Elysées, Paris

Un magnifique environnement

Tous les magasins de marques de luxe sont beaux, situés dans les meilleurs endroits pour vous faire sentir «spécial», prêts à dégainer votre carte Gold, Platinum ou Centurion. Jusque là, tout va bien. Des architectes de renom et des décorateurs d’intérieur se sont surpassés pour créer des atmosphères élégantes, feutrées avec une touche de classe. Les marques ont surenchéri en imaginant des vitrines toujours plus artistiques pour mettre en scène leurs produits. Des départements entiers de ces entreprises s’en occupent et font un excellent travail. Mais quand est la dernière fois qu’une vitrine à fait vendre une montre à €50.000 ou plus ? Le chemin vers la vente passe forcément par une interaction humaine (en tout cas tant que l’e-commerce ne représente que 7% des ventes des ventes du luxe, Bain & Company, Worldwide Luxury Goods report 2015)…et c’est là que se fait la différence entre une excellente expérience, une standard et une tout bonnement détestable. Dans tous les magasins, vous êtes accueillis avec égard (même à Paris!). Un vendeur vous approche et vous propose son aide. Dans les magasins de montres en tout cas. Ici commence l’interaction avec la marque.

Le personnel de vente EST la marque

Tout ce que fait et dit un vendeur/vendeuse EST la marque. D’où l’importance d’avoir du personnel formé de manière appropriée. Dans les bons cas, la personne a posé des questions pour comprendre ce que je recherchais, à qui la montre était destinée, pour quelle occasion, quel type de produits m’intéressait. Dans les meilleurs cas, le/la vendeur/euse m’a demandé si je connaissais la marque, m’a donné de précieuses informations sur son histoire et/ou sur les modèles, sa création, sa philosophie, sur les mouvements, les cadrans et toutes les spécificités techniques. Les meilleurs ont su répondre à des questions plus pointues sur les complications, les chiffres de production, les techniques de finitions et de décorations, le nombre de composants…sans avoir à demander à personne, ouvrir leur manuel ou, pire, mentir ou me donner des informations erronées. J’ai ainsi appris qu’une marque indépendante que j’adore produit 30.000 pièces par an (alors qu’elle en crée à peine 2.000!), que certaines marques du groupe Swatch ou Richemont étaient indépendantes, que l’émail grand feu est un vernis très résistant. Dans les pires cas ? «Quel est votre budget ?» fut l’une des questions les plus directes que l’on me posa à deux reprises…Autant pour l’expérience client de luxe!

Selling watches Le personnel de vente EST la marque

Le moment de vérité

Voulez-vous vous asseoir et voir certains de nos modèles plus en détails? Oui, avec plaisir. Découvrons ces joyaux, touchons-les, écoutons-les, sentons leurs battements et cliquetis tout en souplesse. Admirons les finitions exquises de leurs mouvements, le travail délicat de leurs «métiers d’art». Quand il est bien mené, c’est le moment où les émotions liées à la marque se révèlent, où le «pitch» est dépassé par la réalité et moi, le client, reste bouche bée, les yeux écarquillés devant la magnificence de la réalisation des maîtres horlogers maison. Ou pas!

Dans les meilleurs scénarios, je fus offert un rafraichissement ou un café, puis on me présenta toutes les garde-temps souhaités. Sur un plateau propre, avec des gants propres, une loupe propre, des montres propres et un conseiller avisé. Mais ce ne fut pas toujours le cas! J’ai manipulé des montres magnifiques sans gant, couvertes de traces de doigts avec des loupes qui avaient dues servir à presser une purée Robuchon à midi. Et j’exagère à peine! Pour être honnête, mes meilleures expériences ont été dans des boutiques en nom propre et j’ai été cruellement déçu chez certains des plus grands revendeurs multi marques. Je conviens qu’il est plus facile de se concentrer sur une seule marque…mais n’est-ce pas la raison d’être du multi marques ?

Madison Time New York Madison Time New York

Cerise sur le gâteau : de nombreuses fois (29%!), une réduction de 20% me fut proposée sans que je la sollicite. Je conçois que les temps sont durs, mais quel message cela envoie-t-il à propos de la marque? Soit les affaires sont désastreuses, soit les marges sont tellement importantes que nous facturons habituellement des prix exorbitants…D’après les réajustements actuels des stratégies de prix, la dernière supposition est peut-être un indice.

Le futur

Avec l’importance croissante du digital, les marques et les détaillants doivent repenser leurs modèles. Les changements purement cosmétiques n’auront que peu d’impact. Une vision omni canal doit intégrer le design du magasin du futur et les modes de fonctionnement du personnel. Le digital doit améliorer l’expérience client: il peut fournir des informations en temps réel sur les produits et leurs disponibilités; il peut dispenser tout le story-telling nécessaire directement au client; il peut offrir des possibilités immédiates de personnalisation. Mais l’enseignement ultime est que les magasins doivent avoir du personnel qualifié, capable de transmettre correctement les valeurs de la marque, de générer des émotions auprès des prospects et les impliquer envers la marque. Même dans le monde digital dans lequel nous vivons, la relation humaine reste la clé pour vendre du luxe et créer une véritable expérience client de luxe.

Merci à Salva Magaz pour la première image. Plus d'infos sur son travail: www.magaz.com

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