Praise of Time

Eloge du temps lent

Dans le monde actuel, la culture du ‘toujours plus vite’ est omniprésente dans les modes de consommation : le nouveau remplace instantanément le précédent, devenu obsolète en quelques minutes.

Par Benjamin Teisseire
Contributeur

De la télé à internet, de la mode à la gastronomie, des réseaux sociaux jusqu’aux relations humaines, on ‘scrolle’, on ‘like’, on passe à autre chose. Ne serait-il pas bon de prendre plus de temps ? La lenteur ne serait-elle vecteur de sens profond ?
 

A lire lentement…

J’adore cuisiner. C’est un moment de relaxation pour moi. Sortir mes ingrédients, les préparer, éplucher, couper, faire revenir, réserver, lancer l’autre partie, mélanger, mixer, tout ça prend du temps et recentre mon attention sur du concret, de l’essentiel. Mon esprit se calme, s’apaise, se détend. Les contretemps de la journée s’envolent dans les odeurs d’ail, de ciboulette, de lardons. Puis je mélange le tout, fais revenir ou saisis. Je touille, je goûte, j’assaisonne. Puis je laisse mijoter. J’adore ce terme. « Mijoter ». Il y a quelque chose de doux, de confortable, de bienveillant. Et je sais que plus cela durera, plus mon plat sera réussi. Les saveurs délivrées pleinement et fondues entre elles. Et au final, lorsque nous partagerons ce repas avec ma compagne ou mes amis, nous nous délecterons et passerons un vrai moment d’échange, de plaisir. Comparez le plaisir délicat d’un gigot de 7 heures avec un dîner au micro-ondes !
 


La cuisine et le sexe sont en ce sens étroitement liés. Ce sont deux domaines où le temps lent est le seul rythme permettant d’accéder pleinement à la tendresse, à l’échange, à la communion, à l’amour. Le plaisir ne devient total que lorsque l’on y consacre le temps nécessaire.

Une défense vive du temps

Ce dernier bonifie, intensifie tout, pour peu que la matière première soit de qualité. Prenez les vieux alcools. Un très vieux rhum, un single malt de 30 ans ou plus, un cognac centenaire. On les déguste avec respect, lentement, avec amour. Et ils vous le rendent à merveille en laissant leurs arômes envoûter vos narines, imprégner vos papilles et marquer vos souvenirs. Je n’oublierai jamais ce vieux Rhum, de la réserve personnelle du maître des lieux, dégusté en fin de soirée dans un château du Friuli; ou ce Macallan de 50 ans but avec le maître distillateur dans leurs caves écossaises; ou encore cette eau-de-vie de Cognac de plus de 100 ans dégustée sur fût dans une cave sombre et fraîche. C’est le temps qui a permis à cette ampleur de se former, à cette puissance de se dessiner, à ce plaisir de se décupler. On est loin du Cuba Libre dans un gobelet en plastique.
 

Tout se bonifie avec l'âge

Il en est de même pour le vin. L’émotion procurée par un grand vin que l’on a amoureusement laissé vieillir en cave de longues années avant de le déguster est tellement plus intense que celle d’un petit rosé frais au bord de la mer - même s’il y a là aussi un plaisir réel, j’en conviens. Cette bouteille que l’on a achetée on ne sait même plus quand, mais que l’on n’a pas oubliée. Sur laquelle on jette un regard chaque fois que l’on passe à la cave en se disant « bientôt ». 
 


Puis un jour, on décide qu’il est temps. On réfléchit avec qui l’on va la partager, avec quoi on va l’associer, comment on va la servir, combien de temps l’ouvrir avant. Toute cette préparation mentale, cette attente patiente, cette projection vers ce moment à venir contribue à en créer le mémorable. Les caudalies - encore une unité de temps - font le reste. Je me souviens précisément de tous les plus grands vins que j’ai dégustés. Et tous mes sens participent alors aux souvenirs.
 


Cet Yquem 1959, doré profond comme un vieux cognac, qui persista pendant plus de 4 minutes après l’avoir avalé. Ce Krug 1971 si finement perlant qu’il était doux comme de la soie, avant d’enchanter par sa profondeur et sa longueur en bouche. Ce Musigny 1966, trouble comme une eau stagnante, mais qui nous explosa au nez comme un sous-bois après la pluie et ravît nos sens gustatifs. Je me rappelle de l’endroit, des convives, de l’ambiance, de tous les goûts et les odeurs. Seul le temps consacré permet cela. Celui d’attendre, celui de préparer, celui de déguster, celui de graver les mémoires.
 


Le temps fascine l’homme. Sûrement parce qu’il ne peut le maîtriser, l’homme a toujours voulu le mesurer, pensant ainsi l’apprivoiser. L’horlogerie en est la plus belle preuve avec sa quête permanente de la précision. À la minute près, à la seconde, au dixième, au centième. Aujourd’hui des horloges mesurent la femto seconde (le billiardième de seconde, le millionième de milliardième!). C’est prodigieux. Mais dans notre vie terrestre de tous les jours à quoi cela nous sert-il ? Une approche plus en phase avec le concept de prendre son temps est celle de la montre mono-aiguille avec des indexes toutes les 5 minutes comme Meistersinger. J’aime cette idée de répondre à la question récurrente « quelle heure est-il ? », « entre 1h25 et 1h30 ». Est-ce un retour en arrière ? Ou un bond en avant ?
 

Platon a dit : « Le temps est l’image mobile de l’éternité immobile ». Il n’y a qu’un pas alors vers l’idée que prendre le temps amplifie l’instant jusqu’à le rendre éternel. Ce temps pris, dédié en conscience à une tâche, à un instant fugace, à une sensation profonde est du temps gagné. Gagné sur la futilité, sur la frénésie, sur la folie même parfois de vouloir tout faire plus vite au risque de passer à côté de l’essentiel de la Vie. Prendre le temps est la seule manière de se l’approprier. Vivre chaque instant pleinement pour, avec un peu de chance, « faire de chaque jour, toute une éternité d’amour », comme le chantait Serge Reggiani.
 


* une caudalie est une unité de mesure qui exprime la durée d'expression en bouche des arômes du vin, elle se mesure après avoir avalé ou recraché le vin lors de sa dégustation. Une caudalie équivaut à une seconde ... Essayez-le!

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