M. Boulanger, S. Forsey and P. Dufour

La transmission des savoirs selon Greubel Forsey et Dufour

Avec le projet «Le Garde Temps, Naissance d’une montre», Greubel Forsey et Philippe Dufour sauvegardent les techniques horlogères ancestrales.

Par René Giroud

Depuis la nuit des temps, les artistes et artisans ont non seulement toujours veillé à se surpasser dans leur art, mais également à transmettre leurs connaissances aux plus jeunes générations. En effet, si la démarche de création représente un moyen d’expression unique pour l’artiste, elle s’accompagne d’une volonté de transmettre et perpétuer le savoir-faire acquis. Cela ne s’applique pas uniquement à l’art, mais aussi mais à tout domaine nécessitant une connaissance particulière. Ainsi, Socrate prit pour disciple Platon, Andrea del Verrochio avait pour élève Léonard de Vinci tandis Joseph Haydn entrepris d’enrichir l’éducation musicale de Ludwig van Beethoven.

Timekeeper draw Starting with a sketch

Les exemples ne manquent pas et, s’il faut chercher une explication à ce phénomène, elle tient dans la nature éphémère de l’être humain. En ayant conscience de son bref passage sur terre, l’homme souhaite souvent laisser une trace de son passage autant qu’il désire tout savoir des connaissances de ces prédécesseurs. C’est pour cette raison qu’élève et maître se recherchent et lorsque des talents similaires se rencontrent, la relation d’apprentissage se crée.

Modernité et tradition
 

En cherchant à mesurer l’écoulement du temps, les horlogers ont conçus des merveilles de mécanique et de précision. Moyen d’expression de leur talent créatif, les garde-temps qui voient le jour depuis plus de 500 ans sont parfois de véritables œuvres d’art et les techniques qui ont permis de les réaliser résultent de savoir-faire exceptionnels. Pourtant, dans un souci de performance, mais aussi de rentabilité commercial, les horlogers se sont, au fil des ans, tournés vers des méthodes industrielles et des machines ont remplacé la main humaine pour certains aspects de ces créations. Si cette évolution est naturelle, elle entraine aussi une disparition des techniques ancestrales utilisées par les maîtres horlogers d’antan ainsi que des outils nécessaires à leurs élaborations.

Michel Boulanger, the student at work Michel Boulanger, the "student" at work

Cet état de fait inquiète depuis plusieurs années de nombreux acteurs de l’horlogerie. Ainsi, de nombreuses marques font par exemple régulièrement appel à des artisans pour garder intact le savoir-faire des métiers d’arts. Mais cela n’est qu’une portion infime des connaissances sur le point d’être perdues. C’est en dressant ce constat que Philippe Dufour, Robert Greubel et Stephen Forsey ont réfléchi à un moyen de conserver ces traditions horlogères ancestrales et qu’ils ont créé le projet «Le Garde Temps, Naissance d’une montre».

En effet, ils ont décidé pour ce projet de répertorier le plus de techniques traditionnelles utilisées dans la conception d’un garde-temps, puis de les enseigner à un élève afin qu’à son tour, il puisse les transmettre. Pour ce faire, leur choix s’est porté sur Michel Boulanger, un horloger et professeur d’horlogerie français qui, durant la période que durera le projet, a accepté de mettre entre parenthèses sa carrière pour redevenir élève. Grâce à leurs enseignements, l’élève sera en mesure de réaliser un garde-temps entièrement à la main, validant ainsi la maîtrise des connaissances reçues. De fait, ils ont choisi de réaliser une montre-bracelet à remontage manuel avec complications tourbillon affichant les heures, les minutes et les secondes.

Old machine A forgotten tool

Une démarche unique
 

Sur bien des points, ce projet sort de l’ordinaire. Premièrement, il s’agit d’une démarche concrètement désintéressée puisqu’il va de fait qu’en utilisant des techniques traditionnelles pour concevoir un garde-temps à l’heure où les machines permettent de faciliter le travail, le temps et les coûts nécessaires à l’opération ne seront sans aucun doute pas prévus pour générer des profits. Deuxièmement, car il ne s’agit pas de l’action isolée d’une seule marque, mais bien de trois horlogers qui souhaitent transmettre leur savoir à une génération ayant soif d’apprendre. Enfin, parce qu’en choisissant Michel Boulanger pour emmagasiner ce savoir-faire, ce projet ne s’inscrit pas dans une démarche ponctuelle, mais dans une optique de transmission. En effet, une fois les techniques parfaitement maîtrisées, l’élève redeviendra maître et pourra à son tour partager l’expérience qu’il aura vécue

Un parcours semé d’embûches
 

Si actuellement le projet en est à ses premières étapes, il est déjà possible d’en mesurer l’ampleur. Car dès les premiers croquis, les acteurs du projet ont pu s’apercevoir des difficultés qu’entraine la réalisation d’un garde-temps à la main.

The polishing of a pinion The polishing of a pinion without machines

En effet, en partant d’une feuille blanche pour son garde-temps, Michel Boulanger s’est imposé la création de chaque élément qui le compose, le calcul de chaque paramètre, les essais nécessaires à la validation de chaque concept. Néanmoins, cet apprentissage par la pratique lui permettra sans aucun doute d’appréhender pleinement l’expérience et, qui sait, donnera peut être envie à d’autres horlogers de contribuer à la sauvegarde des techniques horlogères d’antan à leur manière.

Les participants du projet
 

Michel Boulanger est né à Jouy, à 100 km au sud-ouest de Paris. C’est en suivant les traces de son père qu’il entre dans le domaine de l’horlogerie où, une fois achevées ses études horlogères, il en ressort en tant que maître horloger. Il a également complété le cours sur les montres compliquées donné par le WOSTEP. Ensuite, il se spécialise dans la restauration d’horloges et de montres d’époque avant d’approfondir son expérience sur les garde-temps modernes au sein de Renaud & Papi. Enseignant en horlogerie à Paris, Michel Boulanger constituait l’élève idéal pour le projet «Le Garde Temps, Naissance d’une montre».

Michel Boulanger with Phili Dufour controlling a pinion Michel Boulanger and Philippe Dufour controlling a pinion

Philippe Dufour naît, vit et travaille à la Vallée de Joux. Il débute l’école d’horlogerie lorsqu’il est âgé de 15 ans. Une fois son diplôme en poche, il fait ses armes au sein de Jaeger-LeCoultre puis travaille à la General Watch Co. (GWC), ce qui l’amène à voyager aussi bien en Allemagne et en Angleterre que dans les Iles Vierges américaines. Lorsqu’il revient en Suisse, il œuvre successivement pour Gérald Genta et Audemars Piguet, pour qui il réalisera plus tard cinq montres de poche à Grande Sonnerie. Néanmoins, sa passion pour les méthodes horlogères ancestrales le pousse à devenir restaurateur de montres anciennes. Cette activité lui permet d’acquérir non seulement une expérience hors du commun, mais aussi l’envie de réaliser ses propres garde-temps. C’est ainsi qu’en 1992, il présente la montre-bracelet Grande Sonnerie, une première mondiale. Elle est suivie en 1996 d’une montre avec double échappement Dualitiy puis en 2000, du modèle Simplicity.

Stephen Forsey Stephen Forsey

Robert Greubel & Stephen Forsey. Né en Alsace, Robert Greubel se passionne pour l’horlogerie dès son plus jeune âge, en observant le travail de son père horloger. Passionné par les mouvements compliqués, il emménage en Suisse en 1987 et collabore au projet de grande complication d’IWC. Dès 1990, il devient prototypiste chez Renaud & Papi, puis devient co-directeur et partenaire. Stephen Forsey est né à St. Albans en Angleterre. Comme Robert Greubel, il hérite son attrait de la mécanique de son père. En 1987, il se spécialise dans la restauration d’horloges anciennes, devient responsable du département de restauration des montres chez Asprey à Londres, puis complète sa formation au WOSTEP. En 1992, il s’installe en Suisse afin de travailler sur les mouvements les plus compliqués au sein de Renaud & Papi. Il y fait la connaissance de Robert Greubel. En 2001, tous deux fondent CompliTime puis dès 2004, s’associent à nouveau pour créer Greubel Forsey. 

Robert Greubel Robert Greubel

droit d'auteur des photos: Le Garde Temps - La Naissance d'une montre. Tous droits réservés.

Et recevez chaque semaine une sélection personnalisée d'articles.

Rolls-Royce et Greubel Forsey?

Par Simon de BurtonContributeur
De nos jours, les collaborations entre marques horlogères et constructeurs automobiles haut de gamme sont monnaie courante – Jaeger-LeCoultre et...