Interview: Karl-Friedrich Scheufele sur le lancement de Ferdinand Berthoud
Co-président de Chopard, Karl-Friedrich Scheufele s’éprend d’un horloger de légende, Ferdinand Berthoud. Mu par une passion grandissante pour ce natif des environs proches de Fleurier, il en fait en 2015 une marque.
On sait Karl-Friedrich Scheufele épris de chronométrie et d’histoire horlogère. Comme artisan de la construction de la Manufacture à Fleurier, au Val de Travers dans le canton de Neuchâtel, il a orchestré la naissance d’une famille de calibres mécaniques, les L.U.C, en référence à Louis-Ulysse Chopard. Des mouvements qui équipent le segment le plus élevé des montres Chopard.
C’est également à cet entrepreneur passionné que l’on doit l’ouverture d’une galerie muséale, gorgée de Traces du Temps et baptisée L.U.Ceum. Tout un programme, puisqu’il s’agit de la contraction de L.U.C et de Lyceum, le mot latin qui désigne le lieu d’apprentissage. Enfin, c’est lui qui entraîne ses équipes de la Manufacture dans la folle aventure du Concours de Chronométrie ou qui s’exerce à la tri-certification et à l’application du Poinçon de Fleurier dont il est l’un des co-fondateurs. Une passion intègre qui aujourd’hui succombe face à l’incroyable trajectoire de Ferdinand Berthoud (1727-1807), un natif de Plancemont-sur-Couvet, devenu maître-horloger à Paris en 1753 puis chercheur.
Le calibre FB-T.FC anime les chronomètres Ferdinand Berthoud
Relancer Berthoud? Racontez-nous la Genèse de l’idée.
Au début des années 2000 j’ai agrandi et complété la collection du L.U.Ceum. Ce lieu dispose d’espaces dédiés à différents thèmes: la précision, la chronométrie, les horloges de marine… C’est là que j’ai découvert Berthoud que je ne connaissais pas et qui a fait carrière en France. Non seulement c’était un grand horloger, mais également un natif de Plancemont qui se trouve à 5 minutes de Fleurier. Il a éveillé ma curiosité, je me suis documenté, j’ai lu des livres le concernant. Nous avons acquis une pièce, puis une deuxième pièce. Ce n’était pas chose facile puisque ce sont des pièces très rares.
C’est un nom célèbre…
Très célèbre dans l’horlogerie, oui. C’est étrange que personne n’ait pensé à relancer ce nom qui dispose d’une notoriété du même ordre que celui de certains ténors dans la branche, comme Bréguet par exemple. Alors, j’ai fait des recherches qui m’ont amené à rencontrer un fournisseur, qui plus est travaillant déjà pour Chopard. Il avait déposé le nom Berthoud et se tâtait quant à son éventuelle relance, sans pour autant savoir vraiment comment, en tous les cas sans la volonté je pense de se lancer dans le développement d’un mouvement. Je me suis dit, je dois faire en sorte qu’un mouvement Berthoud voit le jour et pas seulement une montre portant son nom avec un mouvement quelconque dedans.
Karl-Friedrich Scheufele, président de la Chronométrie Ferdinand Berthoud
Un projet riche et complet…!
J’étais vraiment décidé à me lancer dans un vrai projet, avec un mouvement Berthoud dédié et une philosophie bien définie.
N’était-ce pas trop difficile de retrouver des traces historiques et suffisamment d’informations pour que puisse renaître une marque?
Disons que c’était avant tout quelque chose de passionnant. Difficile, certes, mais ce qui est difficile est d’autant plus passionnant. Et je me suis vraiment passionné pour ce sujet, comme d’ailleurs plusieurs collaborateurs ici. Petit à petit, nous avons écarté les voies que nous ne voulions pas prendre, nous avons défini de mieux en mieux le périmètre, la philosophie, jusqu’au moment où le lancement d’un vrai projet était prêt. En 2006, nous avons acquis le nom mais sans trop savoir à ce moment-là, ce que nous allions en faire. Ce n’est que 5 à 6 ans plus tard environ, que tout a commencé à prendre forme.
Le chronomètre Ferdinand Berthoud FB-1 en or blanc et or rose
Quels sont vos projets à moyen terme?
Berthoud restera une marque de niche donc certainement très exclusive avec une distribution très restreinte, avec une projection qui sera toujours à mon avis, d’après ce que j’ai prévu aujourd’hui, de l’ordre des 150 pièces par année. Des montres telles que celle-ci qui a été baptisée FB1. Qui dit 1 sous-entend qu’il y aura 2? En tous les cas, l’aventure n’a rien d’un «one shot». C’est réellement le début d’une série de modèles intéressants qui sera suivie j’imagine par des modèles plus abordables. Quoiqu’il en soit, nous serons sans concession. L’histoire de Berthoud est riche, il y a beaucoup d’éléments qui nous inspirent. Et puis, l’appétit vient en mangeant…!
Plus abordable? N’avez-vous pas peur d’entrer en conflit avec L.U.C?
L.U.C par définition dispose d’une autre approche, plus classique. Là, on est hors contexte, hors…: nous avons quand même un peu mis de côté les principes traditionnels de construction d’un mouvement! Nous nous sommes réellement inspirés d’un mouvement très ancien, nous l’avons réinterprété, miniaturisé. Cela n’a rien à voir avec un mouvement L.U.C qui recherche plus la modernité, la rationalité, évidemment aussi la précision. Mais là nous avons volontairement opté pour une fréquence réduite avec un choix à 3 Hertz. Tandis qu’avec L.U.C, nous expérimentons du 8 Hertz. Nous nous trouvons donc clairement dans deux mondes différents. Les clients qui achètent L.U.C ne sont pas nécessairement ceux qui voudront acquérir une Berthoud. Toutefois, un collectionneur de belles montres aura peut-être les deux dans sa collection. Avec Berthoud et ses petites quantités de production, je ne pense pas qu’on puisse entrer en compétition avec L.U.C.
Chronomètre Ferdinand Berthoud FB 1
Actuellement, la marque Berthoud se trouve encore sous le toit de la Manufacture Chopard. Est-ce provisoire?
A Fleurier, au fil des ans, nous avons agrandi au point que nous sommes passés, au départ, d’un demi étage du bâtiment dans lequel nous nous trouvons au bâtiment tout entier. De plus, nous avons Fleurier Ebauches qui se trouve à quelques pas d’ici.
Quasiment en face…
Berthoud occupe aujourd’hui un tiers du grenier de la Manufacture. J’espère que la marque pourra déménager dans ses propres locaux, ce serait une suite logique. En tous les cas, c’est un souhait. Nous avons d’ailleurs acquis un bâtiment au centre de Fleurier il y a deux ans et nous ne savons pas encore quoi en faire. C’est un bien voué à la restauration. Il est encore dans son jus, et n’a même pas de chauffage central. Tout y est à faire. Ce sont des projets qui me passionnent.
La fusée-chaîne du Chronomètre Ferdinand Berthoud FB 1
Question indiscrète. A qui effectuerez-vous la première livraison Berthoud?
La première livraison sera pour le premier partenaire qui nous a fait confiance, la maison Dubail à Paris. Après, je ne suis pas encore en mesure de vous répondre parce que nous allons travailler avec sept à huit points de vente dans le monde. Rien à voir avec la distribution classique de Chopard. Nous sommes d’ailleurs aussi en pourparler avec des maisons qui représenteront Berthoud et qui, pour le moment, ne travaillent pas avec Chopard. Comme William & Son à Londres par exemple.
Serez-vous à Baselworld 2016?
Nous n’y serons pas. Il n’y aura pas d’espace Berthoud dans le stand Chopard Genève. J’espère peut-être qu’en 2017, si nous allons à Bâle, cela sera avec un stand Berthoud qui aura sa propre identité et dont la taille correspondra à l’entreprise.
Ferez-vous un jour un chronomètre de marine. Est-ce que pour vous cela ferait sens?
Evidemment, ça me plairait. C’est certain que ça me plairait. Ce serait un projet qui collerait parfaitement avec Berthoud. Qui sait?