EPHJ-EPMT-SMT: Ces prix qui peuvent tuer!
Les sous-traitants, co-traitants devrais-je dire tant ils supportent les hauts et les bas du secteur, sont parfois victimes de ‘tentatives d’assassinat économique’! Attention danger, gare par exemple au piège du prix plancher!
A Palexpo Genève, du 14 au 17 juin 2016, plus de 850 co-traitants seront réunis au sein du plus important salon professionnel annuel de Suisse, l’EPHJ-EPMT-SMT, fondé il y a 15 ans par André Colard et Olivier Saenger. Si tous ne sont pas entièrement dédiés à l’horlogerie, ils y ont tous un intérêt. Ce billet d’humeur leur est dédié.
L’ère des bénédictions
L’horlogerie a du bol, vraiment. Elle est une branche qui, malgré toutes les logiques contraires alentours, ne peut pas se délocaliser. Elle est ancrée dans le terroir suisse au point que le job réalisé à Thonex vaut bien plus que celui réalisé à Annemasse. Il en va de même pour Plan-Les-Ouates et Saint-Julien, Meyrin et le Pays de Gex, Le Locle et Morteau ou Besançon, Le Sentier ou Les Rousses.
Plus de 850 co-traitants seront réunis au sein du plus important salon professionnel annuel de Suisse
Cette particularité si atypique dans l’univers de la globalisation, fait que, même si les financiers ont fait pousser les grandes manufactures au plus proche des frontières limitrophes, afin de capter un maximum de mains d’oeuvre frontalières, les emplois sont sauvés, et avec eux, des décennies de savoir-faire. Car, malgré l’implacable réalité qui veut que de ce côté-ci du village global, la main d’oeuvre est plutôt plus chère - comme le coût de la vie d’ailleurs - les déficits de marges sont sans cesse compensés par une demande mondiale qui ne réclame, quand elle finit par en avoir les moyens, que du swiss made. Et les profits suivent…
Cet état de grâce est une bénédiction. Il ne vient ni d’une volonté marketing planificatrice, ni d’un calcul visionnaire. Il appelle au respect de valeurs reçues sans mérite, des valeurs qui dépassent clairement la dimension monétaire. Il faut donc tout mettre en oeuvre pour que les groupes financiers et leurs logiques pro actionnaires ne puissent pas, en appliquant à l’horlogerie leurs recettes, scier la branche sur laquelle l’entier du secteur repose, voire grignoter dangereusement ne serait-ce que ses feuillages. Ils n’ont de cesse pourtant d’essayer!
Rachats en série, tout n’est pas à vendre!
Ces dernières décennies, les groupes financiers sont d’abord passés par l’achat des marques. Puis, ils se sont lancés dans une course à la verticalisation, une sorte d’expansion intra-muros, à savoir le rachat de certains fournisseurs. Ici un sous-traitant à haute réputation, là un atelier bourré de compétences, les exemples sont légion.
«Les grands défis de l’horlogerie», table ronde à l’Espace N77, le 2 juin 2015 avec Xavier Comtesse, Philippe Dufour, Joël A. Grandjean, Jean-Daniel Pasche
Or, le fournisseur sous-traitant qui devient achetable le doit à une somme de valeurs qui, dans le fond, ne se pas à vendre. Par exemple, l’excellence. L’excellence qui ne se fait pas en un jour. Elle est quête progressive, elle est parfois issue de la volonté de servir un client plus exigeant, elle est surtout un état d’esprit... Mieux, l’excellence est aussi la résultante d’expérimentations qui ne portent pas uniquement sur le haut de gamme. Allez expliquer à des actionnaires du luxe que vous expérimentez ou que vous tâtonnez, que vous travaillez aussi pour le milieu ou le bas de gamme…!
Ceci dit, c’est pour cette excellence-là que le groupe financier, paradoxal dans sa vision court terme, est prêt à mettre le prix.
Sans se rendre compte qu’après quelques années, à force de n’oeuvrer que pour lui ou pour les marques qui composent son portefeuille, le co-traitant acheté à prix d’or perdra inéluctablement une partie des savoirs qu’il a mis des dizaines d’années à acquérir.
Traque au rabais assassin
Par sa particularité liée à sa circonscription territoriale, l’horlogerie empêche les financiers purs et durs d’aller faire trop d’emplettes à l’étranger. Tant mieux! Reste que rien de les retient de se livrer à leur course au profit maximal à l’intérieur des frontières. Et parfois, leurs pratiques sont regrettables, car dommageables pour l’ensemble de la branche. Elles peuvent endommager de manière irrémédiable l’ADN même du secteur. La technique du prix plancher en est une. Certes, la négociation des tarifs reste de bonne guerre, dans tout échange commercial. Elle peut même contraindre certains à sortir de leurs zones de confort et à innover dans des procédés et des techniques aptes à améliorer leur rentabilité.
Horloger au travail pendant l'EPHJ en 2015
Toutefois, la traque au rabais, pure et dure, érigée en manière de faire et pratiquée de main de maître par une poignée d’«acheteurs professionnels» arrachés à d’autres secteurs, est vile.
S’approcher d’un co-traitant, lui confier une juteuse commande puis n’avoir avec lui pour seul langage que le prix plancher, c’est orchestrer la négation pure et simple de la sève dont on tire son opulence. A long terme, c’est l’herbe que l’on se coupe sous les pieds.
Pour rester indépendant aujourd’hui, le co-traitant ne doit pas seulement cultiver des savoir-faire qui séduisent les grands, il doit aussi sortir de l’ombre, s’exposer, communiquer, bref, exister! Le moment venu, cette posture nouvelle (n’est-il pas le fruit d’une longue tradition de discrétion?), lui permettra de tenir tête, au mieux de ne pas trop courber l’échine. Il doit aussi être suffisamment fort - tout au moins être en mesure de le faire croire - afin de ne pas accepter trop de commandes en provenance d’un seul client. Car, si ces commandes devenaient trop régulières, voire de plus en plus volumineuses (souvent une tactique), sa structure n’aurait d’autre choix que de passer aux mains de son client. Surtout si celui-ci menace de tout arrêter d’un coup, la technique est connue… Cette indépendance a un prix: la co-traitance se doit de rester au service de clients de tous bords, afin de préserver sa diversité de compétences. Elle se doit d’être suffisamment forte pour ne pas céder à la «tentative d’assassinat économique» qui se cache derrière la politique du prix plancher.