Les montres habillées de saphir sont nées il y a près de 40 ans
La communauté horlogère ne cesse d’explorer de nouveaux chemins. Toutefois cette exploration lui provoque une «amnésie» qui l’empêche de se souvenir que d’autres ont parcouru la route, et bien longtemps avant eux!
Pour rencontrer le succès dans leurs affaires les marques d’horlogerie ont compris qu’il était indispensable de surprendre, d’interloquer et de provoquer clients, amateurs, collectionneurs et même leurs concurrents. Pour y arriver, il est donc indispensable d’avoir l’esprit grand ouvert et de ne fermer la porte à aucune suggestion, pour autant qu’elle soit réalisable. Mais comme la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a, l’horlogerie technique ne peut réinventer la mesure du temps. Des décennies durant, elle a donc décliné les combinaisons de complications et toutes les manières d’obtenir une chronométrie la meilleure possible. Dame, lorsque l’on propose des montres qui peuvent coûter un million d’euros, il faut que leur chronométrie soit parfaite ou presque.
Un œil à travers le saphir
Comme pratiquement tout a été fait dans la conception des mouvements, y compris de les construire dans de nouvelles matières, les horlogers se sont donc tournés vers l’habillage. Les matières les plus précieuses, les artisans les plus doués, les pierres les plus belles ont donc été mis à contribution. Et bien sûr dans cette approche, la boîte qui contient le mouvement a aussi été passée au crible.
Et puis, on a vu apparaître soudain, il y a trois ou quatre ans, des montres dont tout l’habillage était réalisé en saphir. Les heureux détenteurs, très riches, de ces «merveilles» transparentes pouvaient en effet admirer les évolutions des rouages, ressorts et autres marteaux sans aucune barrière. Et, bien sûr, tout cela a été placé sous le signe d’un fantastique développement technique absolument inédit. Et chacun des horlogers qui ont offert ces garde-temps de s’arroger une sorte de première mondiale. Eh bien ils ont tout faux puisque, en 1980 déjà, un horloger nommé Vincent Calabrese avait réalisé, pour Corum, une pièce entièrement en saphir qui s’appela la «Golden Bridge.»
Vincent Calabrese Régulus flying tourbillon
Faire ses preuves
Vincent Calabrese est arrivé en Suisse alors qu’il était un tout jeune homme. Venant de Naples, il voulait trouver un travail. C’est ainsi qu’il rencontra l’horlogerie. Autodidacte de génie, le jeune homme fit une progression assez rapide dans le métier. Après quelques années dans les montagnes neuchâteloises, il s’en alla à Crans-sur-Sierre, en Valais où on lui avait confié la direction et la gestion de la boutique de montres la plus prestigieuse de la station et de toute la région valaisanne. A l’époque, celle-ci était fréquentée par une clientèle italienne très riche. Vincent Calabrese, en plus de conseiller les clients, ne cessait de peaufiner son art lorsqu’il trouvait un peu de temps pour se mettre à l’établi. Sans formation de base, il a tout appris à travers la littérature technique et surtout la mise en pratique de ses déductions. C’est ainsi que, petit à petit, ses clients venaient le voir pour lui demander de leur créer une montre spécialement pour eux. Il se souvient:
«Alors que je travaillais à Crans depuis un certain temps, en 1975, j’ai pris la décision de me tester, soit de construire «ma» pièce d’école. En effet si tous les horlogers qui ont suivi une école en sortent avec une pièce qu’ils ont réalisée, ce n’était pas mon cas et je voulais montrer que je pouvais aussi le faire. Mais je ne voulais pas faire simple une montre banale. J’ai alors imaginé de créer une pièce qui étonnerait par deux aspects, l’un au plan de la technique du mouvement, l’autre de l’habillage. Cela précisé, j’ai mis deux ans à résoudre le problème d’installer le mouvement dans une boîte entièrement transparente en cachant le remontoir et les pièces de la remise à l’heure, et cela sans devoir recourir à des clés. J’ai donc mené ma réflexion et j’en ai déduit que la seule solution était de cacher le remontoir sous le barillet car dans une boîte saphir je n’avais pas de cadran pour le cacher et «pas de cercueil pour l’enterrer.»
Rebellion timepieces Magnum 540 Tourbillon Sapphire
Plusieurs brevets
Et Vincent Calabrese d’expliquer qu’il a trouvé l’idée de cacher le remontoir dans un barillet creux. Cela bien sûr a donné lieu à des dépôts de brevets, ce qui a été fait en 1977. Il pouvait donc aller présenter sa pièce dans des endroits publics et, en 1977, il a gagné le premier prix du salon international des inventeurs de Genève. Et pour pouvoir garder la poésie et la beauté de la montre, Vincent Calabrese a créé le fameux mouvement baguette, suspendu dans la boîte, que l’on connaît. Il n’en fallait pas plus pour susciter l’intérêt de la branche. C’est ainsi que son inventeur s’est approché de Patek Philippe et de ETA qui n’en ont pas voulu. Finalement, en 1980, il présentait la Golden Bridge pour la marque Corum.
Mille possibilités
Les principes techniques et décoratifs étant maîtrisés, Vincent Calabrese pouvait dès lors proposer des montres avec boîte saphir réalisées spécialement pour tel ou tel client. Il rappelle qu’au début, la forme de la montre était carrée. Toutefois, en 1984, il a construit un squelette et une pièce avec une boîte pivotante qui contenait un mouvement plus petit qu’une pièce de 50 centimes. En 1985, pour commémorer le baptême de l’académie des créateurs indépendants, dont il fut l’un des fondateurs, il présenta un tourbillon dans une boîte saphir, une autre première mondiale. Puis, il s’est attablé à développer des tourbillons volants, des mouvements en forme des initiales du porteur, bref, les montres saphir de Vincent Calabrese ont essaimé dans le monde entier et des clients asiatiques lui demandent encore aujourd’hui s’il peut leur faire une pièce.
Rebellion Timepieces Magnum 540 Tourbillon Sapphire
Après avoir rendu à César ce qui lui appartient ou plutôt avoir remis le génie de Vincent Calabrese à la place qu’il mérite, soit tout en haut du firmament des meilleurs créateurs de montres, il est agréable de voir les efforts qui sont faits en matière de montres saphir. En voici quelques exemplaires. Du côté de la marque indépendante Rebellion a présenté, en janvier à Genève, la 540 Magnum Tourbillon dotée, dit la marque, de la boîte en saphir la plus folle jamais réalisée. Et de poursuivre: «Il aura fallu 47’600 minutes de fraisage diamant, soit 99 jours ouvrables, pour parvenir à extraire de blocs saphir spécifiquement taillés, les 8 éléments composant la boîte. Un challenge qui transcende la magie de la transparence.»
Tout part d’un pari fou, lancé sur le ton de la défiance et de la passion. Certains maîtres horlogers sont carrément masochistes. David Candaux, en relevant le défi improbable lancé par Rebellion, à savoir réaliser en saphir une construction boîtière imaginée par le designer Eric Giroud déjà ultra complexe lorsqu’elle est issue de l’acier, de l’or, du titane ou du carbone, ne sait pas encore à quoi s’attendre. Avec la foi des pionniers, comprise entre insouciance du danger et des envies de ne pas décevoir, il réussit un exploit de l’ordre de la première mondiale.
Hublot MP05 Laferrari Sapphire
Dans les 47’600 minutes qui s’avèreront nécessaires pour le fraisage et le polissage de cette boîte sortant de l’ordinaire, ne sont pas comprises les heures et les heures dédiées à la conception et à la vérification de la faisabilité finale, étape après étape. Un travail de titan que seule la simulation ordinateur offerte par un programme 3D avancé et reprogrammé spécialement, permettra de valider. Ainsi, certaines attaches et points d’ancrage qui se dissimulent facilement dans des masses en acier, en or ou en titane, apparaissent soudain comme des verrues esthétiques lorsque le saphir et sa transparence autorisent tous les angles de vision. Il faudra donc réinventer, remodeler, de la tête de la plus petite vis à la paroi la moins accessible par les outils de l’homme, jusqu’au joint dévolu à l’étanchéité qui sera conjugué en silicone transparent! «Il a fallu user d’astuce afin de trouver coûte que coûte le moyen de ne pas changer l’esthétique tout en parvenant à assembler les éléments entre eux et concevoir des attaches invisibles» confesse David Candaux au sortir de l’aventure.
Quant aux outils, il a fallu les concevoir et les fabriquer, ou, dans le meilleur des cas, les adapter. Le saphir, s’il est transparent, n’en demeure pas moins particulièrement dur et friable.
Richard Mille RM 56-01 Sapphire Crystal Tourbillon
Du côté de chez Hublot
La marque pilotée par Ricardo Guadalupe, sous la férule de Jean-Claude Biver, patron du pôle horloger du groupe LVMH, ne pouvait rester en rade dans ce dossier saphir. Comme ses concurrents, elle annonce une pièce fantastique, revêtue de tous les atours de l’industrialisation la plus sophistiquée. Cela dit, elle apparaît après les modèles saphir de Richard Mille qui ont frappé l’opinion pour la première fois il y a trois ans. Cela étant, même si les aspects de première n’ont plus grande signification tant les process de fabrication sont pointus et à peu près incompréhensibles pour des non connaisseurs, il faut bien reconnaître que ces montres transparentes connaissent un succès formidable. Et même si peu seront vendues, en raison des prix qu’elles coûtent, elles vont attirer l’attention des amateurs sur les marques qui les ont produites et elles feront leur effet d’aspirateur sur les clients qui, à défaut de se payer une pièce à un million, casseront peut-être leur tirelire pour une montre de la même marque.
Richard Mille RM 56-01 Sapphire Crystal Tourbillon
Hublot donc y va aussi de ses explications et souligne que la marque inscrit une nouvelle fois son innovation et sa maîtrise des matériaux au chapitre des premières horlogères. C’est en transposant le savoir-faire qu’elle a développé avec l’usinage de matières très dures telles que le Magic Gold que Hublot façonne une série d’exception. 500 Big Bang Unico Sapphire taillées à même le saphir. Sans faire perdre au saphir son caractère unique et rare, elle le rend plus accessible. «Après l’art de la suggestion de ses mouvements squelettés, Hublot dévoile tout. Un boîtier transparent qui consacre l’âme de la montre – le mouvement Unico. Une transparence absolue poussée jusqu’au bracelet devenu invisible. Au-delà du symbolisme et des jeux de mots, la Big Bang se met à nu. Elle n’a rien à cacher. Elle a tout à (dé)-montrer» souligne Ricardo Guadalupe.
Le saphir, un matériau – extrêmement difficile à usiner – jusqu’ici réservé à des pièces uniques ou des collections très confidentielles. Après le projet ambitieux de la MP05 «LaFerrari» Sapphire, Hublot capitalise sur le défi qu’elle vient de relever et affirme sa maîtrise du façonnage du saphir pour l’interpréter dans une série de 500 pièces. Une première. Jamais jusqu’ici le saphir n’avait été taillé «à si grande échelle.» Une collection à la transparence absolue qui consacre l’architecture plébiscitée du modèle Big Bang et les performances du mouvement maison Unico.
Hublot Big Bang Unico Sapphire
Finitions, textures et matériaux fusionnent pour ne faire qu’un tout indivisible. La carrure, la lunette et le fond du boîtier de la Big Bang Unico Sapphire sont taillés dans des blocs de saphir. Un matériau presque aussi dur et résistant aux rayures que le diamant (9 sur l’échelle de Mohs vs 10 pour le diamant). Hublot s’est adjoint le savoir-faire du spécialiste suisse en la matière dans le cadre d’un partenariat exclusif. Seules quelques pièces formant la colonne vertébrale de la montre sont en titane: les vis, la couronne surmoulée de silicone, la boucle déployante. Son cadran squeletté en résine transparente dévoile tous les rouages du mouvement maison Unico HUB1242 et ses finitions. Venant parfaire sa silhouette éthérée, son bracelet transparent laisse apparaître la peau (en transparence).
On ajoutera qu’effectivement la démarche de Hublot est fort intéressante en raison du nombre de boîtes qu’elle a produites. Si les montres à boîte saphir se répandent dans le landernau horloger, cela reste à de tous petits niveaux en termes de quantités. Fabriquer 500 boîtes en saphir, c’est une autre démarche qui, à l’évidence, a nécessité une mise au point d’outils de production assez décoiffante.