Richard Mille Connected watches

Richard Mille parle des montres connectées

Comme la montre est passée de la table à la poche et de la poche au poignet, le téléphone est en passe, dans une certaine mesure, d’avoir le même parcours, près d’un siècle plus tard.

Par Vincent Daveau
Contributeur

Objet fantasmé depuis l’invention de la science fiction, l’instrument de communication ou plutôt le relais connecté de nouvelle génération à porter au poignet, est dans le collimateur des marques horlogères depuis quelques mois. Car la plupart d’entre elles voient d’un mauvais œil d’avoir à partager avec un intrus -un objet servant à un nouveau mode d’interaction avec son environnement-, un emplacement privilégié que les montres étaient parvenues à s’approprier, sans imaginer qu’un jour elles pourraient avoir à se battre pour le conserver.

Le calme avant la tempête

Voilà deux ans que les uns et les autres annoncent son arrivée imminente et sans presque crier gare, elle arrive. Pour les uns elle est un point de rupture, le début d’une sorte d’Armagédon horloger. Pour les autres elle ne changera rien au marché car les marques bien établies ne peuvent pas être déstabilisées par un produit qui n’est fondamentalement pas une montre. Pour Richard Mille, présent au concours d’élégance de Chantilly dont il était le principal sponsor, les marques comme la sienne ne craignent rien face à ses produits de nouvelle génération. La preuve: il portait ce jour au poignet une montre à plus de 300 000 euros et à l’autre la Samsung de quelques sous associée à son téléphone portable. Trop fier de prouver l’innocuité de ces instruments, il en vantait les mérites en soulignant qu’il faut appuyer sur un bouton pour avoir l’heure. Les connaisseurs auront fait le lien entre ces produits actuels et les premières montres à quartz à diode. Moins de 2 ans après leur lancement, la révolution du LCD faisait s’effondrer en quelques mois le marché traditionnel qui pourtant, se portait auparavant fort bien.

Richard Mille at Chantilly Arts & Elegance Mr. Richard Mille portait au poignet une montre à plus de 300 000 euros et à l’autre la Samsung de quelques sous associée à son téléphone portable

Quand sonne le glas

La génération d’aujourd’hui est connectée à instragram, à tweeter, à Facebook. Mieux qu’un ami réel un ami virtuel. La communication se conçoit à l’échelle planétaire et les montres de luxe ne représentent qu’une part pratiquement insignifiante du marché de l’horlogerie réelle. Mais que pèse cette part du marché si le reste du métier s’effondre faute de consommateurs? Personne ne se pose finalement trop la question de savoir ce que coûte une montre quand il faut soutenir des fournisseurs qui ne peuvent envisager produire pour le seul compte d’une marque, même hors de prix. Le marché est la somme d’une interdépendance dont les entreprises ne mesurent finalement pas la portée tant elles sont certaines de ne rien craindre. Comme une explosion est la somme d’une réaction en chaîne, le marché des montres est tributaire d’une vision commune. Il suffit d’un grain de sable, du battement d’ailes d’un papillon -et pas nécessairement de celle du Morphos d’Hautlence by Eric Cantona-, pour que le système qui actuellement grince, ne finisse par se bloquer d’avoir trouvé un adversaire à sa taille. Car la force de ce nouvel acteur est d’incarner toutes les valeurs chères à la jeune génération qui, dans 10 ans, ne jurera que par les montres de « papa ». Et ceux qui sont entre deux générations feront comme à chaque fois, ils adhéreront au courant le plus fort pour ne pas sembler dépassés. Car, il faut le dire, pour un certain nombre de consommateurs, l’acquisition d’une montre de qualité se révèle un acte conformistes, un geste d’intégration social. A la première marque d’un assagissement du marché, ils iront voir si l’herbe est plus verte ailleurs, quitte à porter un instrument connecté multifonction. Pour autant, est-il nécessaire de crier au loup quand même on ne l’entend pas hurler dans la nuit?

L’avenir est en marche

Richard Mille a raison de dire qu’il est possible de porter une montre de luxe au poignet et un outil de quelques sous à l’autre. C’est vrai, d’autant qu’il reconnaît cet instrument peu ergonomique particulièrement pratique. Mais on est loin des habitudes du consommateur traditionnel. Richard est un créateur de tendances, un visionnaire et un entrepreneur prêchant pour sa chapelle. Il le dit lui-même: « Je n’ai peur de rien. Je ne suis pas bloqué avec des concepts « à la con ». Il n’y a pas de guerre entre les deux univers et Tu pourras bientôt avoir la montre pour la semaine et celle avec le week end comme tu auras sans doute la voiture électrique pour la ville et celle à moteur thermique pour la route. Cependant, comme Nicolas Hayek portait 8 ou 10 montres réparties à ses deux poignets, tout le monde n’en fera jamais autant. Un horloger se doit à son public et défendre sa cause. La défendre c’est aussi la savoir fragile et alerter les uns et les autres sur les attitudes à avoir face à une nouvelle façon de concevoir le mode de porter et la façon de regarder le temps qui passe. Assurément, au moment où Apple annoncera l’arrivée de la I-watch qui pourrait être un produit de design comme sait en faire Marc Newson, il y aura un avant et un après l’horlogerie d’après le quartz traditionnel. Nous sommes dans la V3 de l’horlogerie de poignet, un point c’est tout. Il faudra apprendre à vivre avec un nouvel acteur qui peut avoir un impact sur le marché horloger traditionnel comme ne pas en avoir du tout… Rien n’est joué!

The Apple Watch "Nous sommes dans la V3 de l'horlogerie de poignet"

Faire le choix de sa voie

Cependant, Richard Mille est convaincu de la persistance de l’horlogerie traditionnelle, des marques de niche et de la sienne, même une fois les instruments de communication de nouvelle génération bien établis. C’est fort possible, et pour nous autres qui vivons de ce métier, fort souhaitable. Seulement, la question se pose de savoir si, comme Richard Mille, tout le monde aura le goût de passer une montre mécanique à un poignet et un outil connecté à l’autre. De l’avis de comportementalistes, le fait de passer un objet encerclant le poignet à chaque bras est une marque de sujétionque les occidentaux pratiquent fort peu. Cela ne s’est jamais produit, mais avant l’arrivée des montres-bracelets, il semblait inconcevable de passer sa montre au poignet à moins d’avoir une raison valable de le faire. Rien ne dit donc que les mœurs ne changeront pas. Mais il faut un temps d’adaptation pour ce faire et il est aujourd’hui impossible de savoir si les maisons horlogères traditionnelles, même supportées par de grands groupes financiers, seront capables de passer le cap de ces instruments dont le talon d’Achille est le taux d’obsolescence programmé. Mais les Geeks le disent avec justesse: les montres mécaniques ont le même problème, mais perceptible sous un angle différent. Leur obsolescence est, elle aussi programmée. Cependant, elle n’est pas liée à la technologie qui n’a pratiquement pas évolué en presque 500 ans, mais aux mutations de la mode.

Alors, oui assurément, les marques traditionnelles passeront le cap, comme elles ont toujours su se sortir de toutes les crises. Mais, une fois passé ce tsunami que l’on devine puissant et capable d’impacter un moment les actifs d’aujourd’hui, les choses ne seront plus les mêmes, irrémédiablement et il faudra sans doute apprendre à concevoir le métier et la communication qui va avec de façon différente. C’est grâce à la clairvoyance et la remise en cause des plus importants acteurs du marché que le métier a su rebondir. La montre mécanique est par essence un produit devenu obsolète dans un monde qui va à la vitesse de la fibre optique et des communications non filaires. C’est parce qu’il est obsolète qu’il a toutes les chances de sortir de cette nouvelle crise qui l’attend, renforcé et vivifié.

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