Le pari Faustien : vers des montres mécaniques intelligentes ?

Le pari Faustien : vers des montres mécaniques intelligentes ?

La technologie est censée améliorer l’existant. La nouvelle révolution, celle de la connectivité digitale, est en marche. L’horlogerie n’échappe pas à ce phénomène et l’on assiste à une convergence entre l’univers horloger et la technologie. L’industrie peut-elle embrasser ce pari Faustien sans risquer d’y perdre son âme ?

Par Benjamin Teisseire
Contributeur

Les tentatives des marques se multiplient depuis plusieurs années pour rapprocher ces deux univers, horloger et technologique. L’engouement des jeunes générations semble alimenter cette nouvelle quête. Un exemple marquant est l’Alpiner X d’Alpina qui a battu tous les records dans le financement participatif sur Kickstarter avec 1.530.000 CHF collectés pour son lancement au début 2018 et un succès confirmé par les ventes de l’année.

 

Peter Stas, CEO de Frederique Constant et Alpina, explique cet enthousiasme : « Alpiner X offre la possibilité au consommateur final d’avoir de plus en plus de fonctions possibles pour interagir avec sa montre tout en gardant l’esprit de la montre Swiss Made avec ses aiguilles ».
 

Un réel défi

Voilà le vrai défi : intégrer la connectivité et conserver l’aspect mécanique qui reste le savoir-faire ultime de l’horlogerie suisse, sa réelle USP (Unique Selling Proposition). Douglas Finazzi, CEO de Conex Watches, apporte une réponse SwissMade mécanique à la montre connectée avec sa X-One. « Notre volonté est de créer une tradition du digital en mariant l’artisanal mécanique et l’électronique. Le garde-temps offre un affichage non traditionnel des informations digitales grâce à un compteur linéaire mécanique animé par des micro-moteurs parmi les plus petits au monde ».
 

Est-ce réellement un plus pour le consommateur final ? La réussite du financement de la X-One à plus de CHF 100.000 sur Kickstarter, ainsi que l’engouement lors de la présentation au CES de Las Vegas l’année dernière et les livraisons de cette année semblent montrer que l’intérêt existe. Jean-François Mojon de Chronode, motoriste helvétique de renom, qui a développé la partie mécanique de la X-One, approfondit le concept : « c’est avant tout une montre mécanique avec un mouvement traditionnel. La volonté était d’ajouter des fonctions connectées pertinentes et utiles comme un GMT et un quantième perpétuel avec la précision du digital mais une retranscription avec des rouages horlogers ».
 

Un nouveau segment horloger ?

Assiste-t-on à la naissance d’un nouveau segment hybride ? J-F Mojon tempère : « Il est trop tôt pour le dire, mais compte tenu du nombre de demandes des différentes marques qui nous contactent, nous voyons bien qu’elles souhaitent ‘tester’ le marché pour essayer de comprendre ce que cherche le consommateur, de déterminer les fonctions utiles au-delà du gadget ».

Le CEO d’Alpina est plus tranché : « Je vois une demande forte des jeunes générations et un gros potentiel dans le futur ».
 

Le risque pour l’horlogerie mécanique ?

Nos trois innovateurs se rejoignent sur ce point : « Il y aura toujours une place pour l’horlogerie mécanique, en particulier dans le haut-de-gamme, mais le digital est incontournable et une combinaison des deux mondes possible ». Peter Stas va plus loin : « Ignorer la naissance d’un nouveau segment hybride est une erreur selon moi. De nombreux modèles traditionnels risquent de devenir redondants, au moins pour le quartz ».
 

Force est de constater que même le haut-de-gamme commence à explorer cette piste. Ainsi Ressence, la plus belge des marques Swiss Made, a décidé d’utiliser les technologies disponibles pour améliorer l’expérience utilisateur de leurs garde-temps purement mécaniques. Benoit Mintiens, CEO de la marque, dévoile la philosophie qui a mené à sa Type 2 e-Crown : « Le but est de redonner confiance dans l’horlogerie mécanique, pour que la montre traditionnelle reste pertinente dans son époque. La nouvelle génération est digitale, nous devons prendre cela en compte ». Il surenchérit : « Nous recherchons l’ergonomie au sens le plus large possible. Ressence offre un garde-temps totalement autonome qui se remonte soit manuellement, soit par énergie cinétique qui recharge un générateur relié à une batterie, soit par énergie solaire. Un confort et une facilité d’utilisation inédits. Ajoutez à cela la précision inégalable d’une mise à l’heure digitale automatique et vous avez l’horlogerie du 21ème siècle ». Mais ne perd-on pas ce lien émotionnel profond recherché dans l’horlogerie mécanique ? « Cette ergonomie nouvelle va créer une relation forte avec l’objet et, comme avec les garde-temps traditionnels, plus on apprend à la connaître et plus on va l’aimer ».
 

Quid de l’émotion ?

On aborde ici la vraie question qui est de savoir si la convergence technologique ne risque pas au contraire de fragiliser l’horlogerie mécanique et sa capacité à faire rêver. L’avènement du quartz dans les années 70’ fut une révolution technologique majeure qui faillit anéantir l’industrie de l’horlogerie mécanique. La révolution de la connectivité est aujourd’hui inéluctable.
 

Peter Stas y voit un parallèle flagrant. « Le quartz a révolutionné la fonction de précision de la montre. La connectivité bouleverse aujourd’hui le rapport global à l’objet. Ajouter des nouvelles fonctionnalités à l’objet horloger le rend tellement plus intéressant pour le consommateur ! ».
 

Au final, c’est bien cette propension à créer un lien émotionnel avec un objet mécanique à qui l’être humain transmet la vie par sa force seule qui donne leur âme à ces belles mécaniques. C’est aussi cela qui a sauvé l’horlogerie de la crise du quartz. Si la convergence arrive à donner un double sens à l’objet, si elle offre une réelle amélioration de l’expérience utilisateur tout en conservant son attachement irrationnel, le pari sera peut-être réussi. L’avenir le dira.

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