Horlogerie anglaise: Brexit temporel

L’horlogerie anglaise n’a pas débuté, comme par enchantement, en 1714, à une date où, suite au naufrage d’un certain nombre de vaisseaux de la Couronne, le Parlement Anglais devait inciter le gouvernement et la Reine Anne à promulguer un acte instituant un prix de 20’000 Livres Sterling à qui trouverait un moyen reproductible de calculer la longitude en mer. Il existait déjà à Londres des horlogers brillants et des hommes de science dont le plus connu dans le métier reste George Graham, un homme dont l’histoire retiendra que néen 1675 à Gratwick (Cumberland), il fut l’élève d’Henry Aske (lui-même formé par Edward Norris) et de Thomas Tompion (actif de 1671 à 1713 et inventeur de l’échappement à cylindre). Horloger brillant, George Graham retravailla l’échappement à cylindre à l’expiration des dépôts de brevets de Booth, Houghton et Tompion, et le modifia en 1725 pour lui donner sa forme presque actuelle.

John Arnold

Première génération de célébrités expatriées

Homme de culture et d’échange, George Graham partagea ses découvertes avec des horlogers du continent comme Julien Le Roy à qui il envoya une pièce de sa construction équipée d’un échappement à cylindre en 1728. Mais c’est Ellicott, horloger britannique dont le nom apparaît aujourd’hui au fronton d’ateliers installés àla Chaux-de-Fond en Suisse, que revient la paternitéde ce type d’échappement sous sa forme aboutie.

Quant à George Graham, horloger, astronome avisé et auditeur à la Royal Society à partir de 1720, son nom est aujourd’hui celui d’une marque suisse revendiquant un patrimoine horloger britannique. A ce titre et pour commémorer à sa façon la mise au point du premier instrument destiné à mesurer les fractions de temps, cette entité propose comme produit phare, un chronographe au dessin puissant et au mode de mise en marche unique en son genre.

Arnold Chronometer Escapement split seconds

Faire oublier son statut d’étranger

Parmi les noms de nouveau d’actualité et datant de la grande époque de la chronométrie de marine, il faut compter celui de Larcum Kendall, exhumé par une société présente pour la première fois lors de Baselworld 2015.

Cette entité revendique également le titre de chronométrier et d’horloger de la marine avec une fabrication de pièces produites non pas en terres britanniques comme on pourrait l’imaginer, mais dans les montagnes du Jura suisse. Pourtant, en 1769, cet horloger réalisait pour le compte du Bureau des Longitudes, la montre K1 que devait emporter le Capitaine Cook. Cette pièce était la fidèle reproduction de la montre de marine H4 (1765) créée par John Harrison.

John Arnold et Louis Breguet chrononomètre avec tourbillon (1808)

Larcum Kendall aura-t-il fait la connaissance de Ferdinand Berthoud à Londres lorsque ce dernier s’y trouvait (1763)? S’il n’a pas croisé ce Suisse alors installé à Paris et Français de cœur - qui prit même fait et cause pour la Révolution - cet artiste a sans doute rencontré John Arnold (1736-1799) alors à l’aube de sa carrière de chronométrier à Londres où ce-dernier s’installe en 1762, à Devereux Court, Strand). Quant au nom de John Arnold, il a été relancé il y a près d’une vingtaine d’années sous le patronyme sociétal d’Arnold & Son: une maison anglaise de cœur, mais jurassienne d’adoption. Il en va de même pour la maison Thomas Mercer, fondée à Londres en 1858 par l’horloger éponyme et relancée dans le courant de l’année 2012, en Suisse.

Le nom derrière Big Ben

Il eut étépossible de rendre hommage àcet habile fabricant de chronomètre dont le nom est apposéaux cadrans d’instruments originaux inspirés de ses œuvres d’époque en localisant la production horlogère en Grande Bretagne. Ce choix, la maison Dent connue pour avoir réalisé l’horloge de Big Ben, l’a fait. Elle fut établie à Londres par Edward J. Dent en 1814 et spécialisée dans la fabrication d’horloges et de chronomètres de marine. En 2016 encore, cette maison propose depuis 2008 une ligne de montres-bracelets éditées en séries limitées et assemblées en Angleterre sur la base de calibres signés Dent.

Arnold and Son Eight Day Royal Navy

Héritage de George Daniels

Un autre nom, une référence celui-là, est celui de George Daniels. Horloger anglais aujourd’hui disparu, il a très largement contribué dès les années 1980 jusqu’àla décennie 90, par son sens de la pédagogie et son talent àcompiler les informations horlogères, àcréer des vocations parmi lesquelles se retrouvent la plupart des horlogers indépendants, y compris ceux d’origine anglaise comme Peter Speake-Marin ou même Stephen Forsey.

Aujourd’hui, ces artistes dont les noms sont devenus de véritables marques, honorent sa mémoire car George Daniels a été, par son attachement àsauver les coups de mains et en créer de nouveaux, àla fois un inventeur prolifique et un gardien des traditions qu’il a su partager.

Arnold & Son Nebula

Fervent citoyen du monde, mais patriote et très attaché à l’œuvre des Maîtres ayant exercé en Angleterre, il aurait sans doute vu le Brexit qui divise le pays comme une régression dans la mondialisation des échanges. Soit dit en passant, son œuvre est immortelle tant il a fait des émules qui, conscients de l’importance de créer de la diversité, ne travaillent pas tous en Suisse. Ainsi, l’horloger Roger W. Smith marche en disciple sur ses traces de cet homme admirable et prolifique. Il réalise ses montres au cœur de l’île de Man, cette même île sur laquelle George Daniels avait installé ses ateliers de création.