SIHH 2015

Opinion: faut-il en finir avec la haute-horlogerie?

Oui! L’expression, bénéfique pour le secteur, a fait son temps. Lancée il y a environ 25 ans, comme le Salon International de la Haute Horlogerie (SIHH), elle se doit d’évoluer. Et si on parlait aujourd’hui d’horlogerie d’excellence?

Par Joel Grandjean
Rédacteur en Chef

L’expression haute horlogerie a été importée de l’univers de la haute-couture. Elle fleure bon une certaine conception d’un luxe ‘à la française’. Seulement voilà, le vocabulaire de la mode a aussi prévu le terme prêt-à-porter pour désigner ce qui n’appartient pas à la pointe de la pyramide du luxe. Et cette différenciation n’a rien de péjoratif. Hélas, cette notion de prêt à porter n’existe pas dans l’univers horloger, elle n’y a pas été importée. Autrement dit, qui dit haute horlogerie sous-entend qu’il y aurait une «basse» ou une «moyenne» horlogerie. Ainsi donc, cette terminologie est clairement réductrice. Elle initie un fossé qui, du point de vue de la corporation horlogère toute entière et de ses savoir-faire, est totalement injuste.

Haute Horlogerie

Se pose alors la question de la définition. A partir de quand, l’horlogerie devient-elle «haute»? Est-ce une question de prix, de complications, de nombre d’opérations manuelles, de séries limitées, de somme d’innovations? Il semble que cette question occupe les hautes sphères de la Fondation de la Haute Horlogerie, instance organisatrice du SIHH. Soit dit en passant, les critères énumérés ci-dessus offrent tous l’avantage d’être facilement utilisables en communication et de générer des visuels rutilants, des communiqués de presse élitistes ponctués de perles de verbiage facilement reproductibles dans les médias. Malheureusement, l’expression haute horlogerie a quelque chose de hautain, de dédaigneux. Elle se met à part, elle incite implicitement à ne focaliser que sur le haut du panier et à ne pas se mélanger aux autres horlogeries…

SIHH 2015

Anoblissement des métiers, racines de terroirs

Certes, cette invention terminologique a eu le mérite de participer à un phénomène qui ne semble pas avoir son pareil dans d’autres secteurs. Quelle autre branche a-t-elle en effet transformé en quarante ans ses petites mains en doigts d’or, ses usines en fabriques ou en manufactures, voire en grandes maisons? Quelle autre branche a-t-elle anobli systématiquement ses métiers? Quel autre secteur, à l’heure de la mondialisation, s’est-il payé le luxe de s’interdire toute délocalisation et  de survivre même aux pires errances des gourous du marketing souvent importés d’autres branches? L’horlogerie y peut-elle quelque chose si la demande mondiale désire qu’une montre soit suisse et qu’une opération faite par une main d’œuvre en partie française au Locle ou à La Chaux-de-Fonds, vaut plus chère que la même opération réalisée en France voisine, à Morteau ou Besançon; que le même geste exercé à Plan-Les-Ouates ou à Thônex dispose d’une valeur ajoutée qu’il n’aurait pas s’il était effectué de l’autre côté de la frontière, à Saint-Julien ou à Annemasse? A cette notion de terroir non issue d’un esprit visionnaire, la Suisse doit beaucoup...

Haute Horlogerie

L’arrivée dans le vocabulaire de l’expression haute horlogerie a donc été fort utile, puisqu’elle a participé à ce processus unique. Elle l’a cristallisé, elle l’a transmis aux élites, aux décideurs et à tous ceux dont les surfaces financières trouveraient inconvenant d’acquérir un produit qui ne serait pas «haut». Bref, parler de haute horlogerie a été nécessaire, ne serait-ce que pour titiller une saine concurrence au sein de marques plus enclines à ronronner qu’à se hisser vers le haut, à grand renfort de remises en question et de repositionnements.

Pour que le phénomène d’une horlogerie toujours plus forte continue, il est temps de refermer la page de la haute horlogerie et d’ouvrir le chapitre de l’horlogerie d’excellence ou de toute autre expression, si possible respectueuse elle aussi d’une frenchitude mondialement compréhensible. Car l’excellence horlogère peut être aussi d’obédience industrielle. Elle ne se cantonne pas aux activités manuelles et aux artisanats séculaires. Elle s’exprime aussi bien chez l’horloger qui, après avoir exploré à mains nues l’univers des complications les plus extrêmes, s’avère capable, par son esprit R&D trempé dans le génie et l’expérience, d’engendrer des procédés de fabrication qui garantissent une bienfacture répercutée sur un grand nombre d’unités.

Haute Horlogerie

Faut-il aussi en finir avec les métiers d’art?

Oui, également! Car cette deuxième appellation qui s’inscrit en ligne directe avec le concept de haute horlogerie, s’avère elle aussi réductrice. Elle rabaisse les autres métiers de l’horlogerie au rang de compétences inférieures. Or, un polisseur, avec ses doigts noircis par l’exercice de son talent, mérite aussi d’être reconnu comme un membre à part entière d’une grande famille née sous le signe des arts horlogers. D’autant qu’aucune machine ne peut encore rivaliser avec son coup de main. Idem pour le fraiseur poisseux de la goutte d’huile qui lui gicle au visage après avoir entâché sa blouse. Quant à l’artiste polymécanicien capable de programmer une CNC jusqu’à tutoyer de manière répétitive le micron, il sera un jour lui aussi sous les feux des projecteurs, si on se décide à parler désormais d’excellence. L’horlogerie dite de volume, celle qui produit des grandes séries, mérite donc aussi d’avoir voix au chapitre. Car elle fait également appel d’une certaine façon à des talents rares: ingénieurs, inventeurs, ouvriers de chaînes pointues, fabriquants et régleurs de machines outils, faiseurs d’outillages, fraiseurs, programmeurs, designers…

Haute Horlogerie

La haute horlogerie et ses métiers d’art ont vécu, remercions-les sincèrement et chaleureusement. Et si nous passions maintenant à autre chose?

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