Heuer Carrera Mikrograph vs Montblanc Timewalker

Montblanc Timewalker Chronograph 100 vs TAG Heuer Carrera Mikrograph 1/100: en quête de précision

Retour sur un duel placé sous le signe de la haute fréquence opposant deux maisons dont le chronographe est la principale spécialité…

Par Vincent Daveau
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La chanson le dit: certaines histoires finissent mal. Dans le cas présent, la maîtrise du centième de seconde à l’aide de garde-temps purement mécaniques est pratiquement une utopie faite pour séduire les amateurs d’horlogerie en manque de sensations fortes et méconnaissant les règles élémentaires de la physique. Retour sur un duel opposant deux maisons dont le chronographe est la principale spécialité et qui, pour des raisons commerciales, entendent dominer l’univers des hautes fréquences afin de garantir leur légitimité dans le secteur de la précision de haute volée.

La compétition est saine quand l’énergie mise en œuvre pour vaincre a une chance de grandir les protagonistes. Dans le cas de la précision dans la mesure des temps courts, l’histoire a démontré que les horlogers avaient saisi très tôt que les garde-temps mécaniques étaient dans l’incapacité de passer le cap du 1/10ième de seconde sans faillir.

TAG Heuer Carrera Mikrograph 1/100 second La TAG Heuer Carrera Mikrograph 1/100 de seconde

Evidemment, en 1916, alors que l’Europe était à feu et à sang, les forces armées étaient en quête d’instruments fiables et robustes capable de mesurer avec précision la distance de tirs de barrage, la vitesse de vol des premiers avions. En guerre et dans des conditions rudes,  les premiers systèmes électriques mis au point par les horlogers pour mesurer des performances avec une incroyable précision, se révélaient inopérants. Le bon chronographe à main retrouvait alors toute son utilité. En proposer un capable de mesurer le centième de seconde prenait alors tout son sens.  En 1916 la maison Heuer présentait le Mikrograph, un chronographe à main capable de mesurer le 1/100ième de seconde. Mais la même année, la manufacture Minerva présentait également un instrument destiné au même usage et, bien entendu, capable de mesurer le 1/100ième de seconde. On dit que les bonnes idées germent souvent au même moment à des endroits différents. Une certitude, les deux marques s’affrontaient déjà il y a près d’un siècle pour quelques fractions de seconde. Mais cette bataille de l’infiniment précis a un sens car cette précision justement est ce qui porte l’horlogerie. Et en manquer quand on se revendique être un spécialiste de la mesure des temps courts, revient à avouer un certain niveau d’incompétence.

Jouer un jeu dangereux

On ne fait pas les choses pour épater la galerie, mais pour faire avancer la science.

Seulement, le principe de communication à outrance l’emporte aujourd’hui sur la réalité du message à donner. Ainsi, faire rêver sans concrétisation est devenu une option crédible en termes de marchandising. Par conséquent, le but de certaines montres est de faire pénétrer un message subliminal fort et d’inscrire dans le cerveau reptilien des adeptes de garde-temps d’exception que ces produits sont la résultante de la recherche fondamentale et destinés à apporter des améliorations en matière de «mass market.» Alors qu’en réalité, ces mêmes produits sont de pures créations marketing destinées à distiller un discours précis mal relayé par la mécanique peinant à dépasser ses limites imposées par la physique et en particulier par le principe de la gravité universelle. Baser sa vision du futur et la communication d’une marque sur une équation erronée est, en somme, un non-sens car la mécanique ne peut pas tout faire, et les opérations destinées à faire dire à la matière des choses incompatibles avec les principes de base de la physique, un mensonge. Seulement les marques ont tort de mentir aux consommateurs dont le désir est de croire aux belles histoires. Et s’il y a de la magie à voir fonctionner avec précision et sur une longue durée une montre, la triche commence quand on tente de faire croire qu’une mécanique par définition pratiquement incapable de dépasser les limites atteintes il y a un siècle peut aujourd’hui les dépasser par l’opération du Saint Esprit.

Montblanc Timewalker Chronograph 100 La Montblanc Timewalker Chronograph 100

Oser braver les éléments en premier

 Il y a presque un siècle, la mise au point d’un chronographe précis au 1/100ième de seconde était un exploit et les instruments capables de vérifier la précision de pareils garde-temps étaient, dans les faits, pratiquement inexistants. Impossible donc de vérifier la différence entre la mesure relevée et celle de référence obtenue aujourd’hui avec des instruments purement électroniques pilotés par des barreaux de quartz, de préférence thermo-régulés. Mais l’horloger aime particulièrement les défis et, en janvier 2011, TAG Heuer présentait le chronographe Carrera Mikrgraph 1/100ième de seconde. Héritier du calibre 360 dont le calibre était modulaire, ce chrono doté d’un mouvement comprend tout de même 396 composants et deux balanciers vibrant à des régimes différents avait fait l’effet d’une bombe à sa sortie car Jean-Christophe Babin, en homme de communication averti, avait su trouver les mots justes pour en faire une machine d’exception à une époque où la concurrence n’était pas encore tout à fait armée pour répondre à ces concepts innovants, attirant particulièrement les médias et quelques collectionneurs lassés du caractère vieillot des produits traditionnels. Ce calibre certifié COSC et intégralement développé à l’interne a définitivement intronisé le principe du Dual Control System dans l’univers de TAG Heuer.

Mais rien n’a été laissé au hasard et chaque détail a été soigné pour impressionner les amateurs ayant à cœur de posséder un modèle contemporain ayant su garder du passé le meilleur comme, par exemple, l’incontournable roue à colonne intégrée sans laquelle un chronographe ne saurait être une pièce digne de ce nom.

Deux cœurs valent mieux qu’un

Dans cette construction, le calibre mécanique comprend deux groupes de régulation. Le premier est destiné à afficher l’heure vibre à 4 hertz soit 28 800 alternances par heure, tandis que le balancier destiné à mesurer les temps courts avec le plus de précision possible oscille à 360 000 alternances par heure (50 hertz). Le choix de TAG Heuer de s’en remettre à deux organes différents vibrant à des vitesses différentes est original. Au moment de son lancement, le seul concurrent affiché était François-Paul Journe et la solution retenue en 2008, lorsqu’il a lancé son Centigraphe Souverain a été de s’en remettre à un seul balancier oscillant en permanence. La véritable concurrence pour TAG Heuer est arrivée en 2012 avec la présentation par Montblanc du chronographe TimeWriter II proposé par un jeune horloger du nom de Bartomeu Gomila intégré au sein de l’équipe de la Fondation Minerva. L’affaire, à l’époque, n’avait pas fait grand bruit même si les instruments proposés par les deux maisons semblaient avoir quelques points communs. Evidemment, le calibre Montblanc recourait lui aussi à deux balanciers vibrant à des vitesses différentes.

The TAG Heuer Carrera Mikrograph 1/100 second caseback L'arrière du boîtier de la TAG Heuer Carrera Mikrograph 1/100 seconde

Mais le mode d’affichage et la fonction apparaissant dans un secteur à 12 heures permettant d’afficher le 1/1000ième de seconde devait faire suffisamment se distinguer les deux garde-temps pour que les médias ne s’emparent pas de l’affaire. Quoi qu’il en soit, cette pièce était de toute évidence une sorte de déclaration de guerre, et il était clair, à cette date que TAG Heuer allait avoir Montblanc comme concurrente car cette dernière maison, récemment arrivée dans l’univers horloger, entendait bien occuper une place de choix dans l’univers du chronographe.

Jouer sur le même terrain

Avec la présentation cette année du nouveau TimeWalker Chronograph 100, il semble qu’entre Montblanc son créateur et TAG Heuer, la guerre soit déclarée dans le secteur des chronographes à haute fréquence. On sait que Stéphane Linder, le CEO de TAG Heuer est passé chez Montblanc lors du SIHH et il est possible de conjecturer que les deux patrons ont discuté des points communs et des divergences existant entre les deux créations dont le centième de seconde est le but à atteindre.

Que les choses soient dites, dans l’absolu, les deux instruments ont un vrai air de famille et en même temps, en y regardant de plus près, ils n’ont pas grand chose en commun sinon de tenter l’une et l’autre d’afficher des temps à la précision du 1/100ième des seconde.

On l’aura compris à lire les communications en parallèle des deux marques: l’une comme l’autre revendiquent l’invention du 1/100ième de seconde dans le passé et toutes les deux ont présentées un chronomètre à main vibrant à 360 000 alternances par heure en 1916. Elles sont donc, l’une comme l’autre parfaitement légitimes pour continuer de défricher ce secteur horloger car elles peuvent se prévaloir de l’antériorité historique. L’option retenue par Montblanc de deux balanciers et de deux barillets intégrés dans un calibre de chronographe est plus osée car la marque n’était pas sans savoir l’emploi fait par TAG Heuer de cette méthode de fabrication. D’autres possibilités mécaniques s’offraient à la manufacture de Villeret, mais elles n’ont pas été retenues. Si Montblanc a opté pour des matériaux d’avant-garde pour le Timewalker Chronograph 100, TAG Heuer était resté plus traditionnelle pour la mise en avant de son chronographe puisque la marque de la Chaux-de-Fonds l’avait lancée en or rose.

Montblanc Calibre 25 MB M66-25 Montblanc Calibre 25 MB M66-25

Oser des différences majeures

On l’aura compris, une analyse sommaire des dossiers de ces chronos laisse penser qu’il y a une vraie ressemblance entre ces deux modèles sortis à trois ans d’écart.Seulement, en regardant en détail, on note que les deux instruments sont fondamentalement très différents avec des avantages pour l’un dans certains domaines et des inconvénients pour l’autre dans d’autres secteurs.

La TimeWalker Chronograph 100 est une pièce cent pour cent à remontage manuel alors que la Carrera Mikrograph 1/100ième de seconde est dotée d’un mécanisme intégré permettant le remontage automatique pour la partie montre. Autre grosse différence: le mode de remise à zéro des aiguilles de chronographe. Dans le cas présent, le TimeWalker a un large avantage avec son mécanisme breveté composé d’une commande innovante fondée sur la présence d’une roue à colonne associée à une bascule de fouet destinée à effectuer un va et vient rapide permettant à l’enclenchement de la fonction chronographe de lancer le balancier pour qu’il oscille immédiatement au rythme de 360 000 alternances par heure. La question demeure tout de même de savoir si ce lanceur est assez puissant pour donner immédiatement la bonne vitesse d’oscillation au balancier. Une certitude: ce lanceur n’apparaît pas dans l’éclaté du Carrera Mikrograph de TAG Heuer et il n’est jamais évoqué dans le dossier de presse pas plus que par Guy Semon, le responsable de la division de haute horlogerie de TAG Heuer, auquel a été souvent posé la question de savoir comment un balancier passant de l’arrêt à sa vitesse de croisière sans accélération préalable ou sans osciller avant la prise de mesure, pouvait espérer fournir des relevés précis au 1/100ième de seconde.

Dans un cas comme dans l’autre, la précision sera toute relative par rapport à un chronographe à quartz piloté par une cellule ou un transpondeur, car l’humain est incapable de prendre des mesures instantanées et les meilleurs temps de réaction sont pour les sportifs de l’ordre de 146 ms (si le seuil des 100 ms est dépassé comme temps de réaction, les services des sports des J.O considèrent qu’il s’agit d’un faux départ). Alors pourquoi donc pinailler avec les quelques millisecondes perdues par l’accélération du balancier puisque personne ne pourra faire une mesure juste en pressant tout bêtement sur les poussoirs de l’un ou de l’autre de ces deux instruments ? La démarche est intellectuelle. Et ce n’est pas parce que l’humain est faillible que la mécanique censée l’assister pour améliorer ses performances en terme de mesure doit l’être également. On notera, pour finir, que le TimeWalker Chronograph 100 bénéficie d’un autre avantage: celui de l’arrêt du chronographe. Le fouet sert également à stopper net le balancier dans son élan, arrêtant immédiatement le cheminement des aiguilles destinées à afficher les temps chronométrés. Et parce que chaque détail compte, la remise à zéro de cette aiguille est réalisée avec grâce à l’aide d’un limaçon qui lui permet de revenir à sa place en laissant à l’œil la chance de voir son parcours.

TAG Heuer Carrera Mikrograph calibre TAG Heuer Carrera Mikrograph calibre

Aux vues des propositions faites par les marques les plus en pointe en matière de précision mécanique, la quête de cette dernière reste d’actualité car ces deux chronographes que l’on peut très largement considérer comme ayant un petit air de famille sur certains points mécaniques, ne parviennent pas mieux l’un que l’autre à rivaliser avec des garde-temps à quartz dédiés et froidement infaillibles. Alors évidemment, François-Paul Journe soulignait comme Thierry Junod, le Managing Director de la division horlogère de Montblanc, qu’il n’était pas question pour des instruments mécaniques de tenter d’approcher l’asymptote ou même de vouloir concurrencer le quartz, mais de faire la démonstration du talent des horlogers à travers leurs approches de l’excellence. Et on laissera à chacun le soin de juger si celles-ci sont habiles ou malhabiles. Elles ont comme qualité d’offrir aux horlogers d’aller plus loin et d’offrir encore aux passionnés des années de compétition. Car, assurément, il reste en matière de régulation et d’affichages des temps courts, bien des choses à expérimenter pour faire encore gagner à la mécanique pure quelques précieuses fractions de secondes… A suivre!

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