Watchmaking with REACH

L’horlogerie devra apprendre à parler REACH

La nouvelle législation européenne sur les produits chimiques commence à produire ses effets en Suisse. Certaines marques ont déjà fait la chasse aux certificats de conformité, et les plus grands sous-traitants ont intégré des consortiums pour limiter les coûts.

Par Fabrice Eschmann
Journaliste spécialisé

2006, le nouveau règlement européen REACH est voté. Il a pour but la restriction progressive voire la suppression des substances les plus dangereuses. Toutes les molécules produites ou importées en Europe sont visées. De la même manière qu’elle éradiqua le radium dans les montres, l'industrie horlogère parviendra-t-elle à garantir que ses produits ne sont ni allergènes, ni toxiques ni cancérigènes? Certains industriels grincent des dents, les organisations de consommateurs affûtent leurs armes.

L’histoire fit grand bruit aux Etats-Unis début 2006. Un enfant de 4 ans y avait trouvé la mort après avoir accidentellement avalé un petit pendentif offert à l’achat d’une paire de chaussures. Les analyses révélèrent un empoisonnement au plomb, une substance très nocive, même à faible dose. Le bijou, fabriqué en Chine, avait été produit à 485'000 exemplaires entre 2004 et 2006, et distribué avec les chaussures aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe.

Toxic pendant with lead Le feu aux poudres? Un enfant de 4 ans est retrouvé mort après avoir accidentellement avalé ce pendentif, fabriqué  en Chine à 485'000 exemplaires entre 2004 et 2006 et offert en Europe et aux USA à l’achat d’une paire de chaussures: empoisonnement au plomb..

Hasard du calendrier ou pas, le nouveau règlement européen REACH (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) était voté en décembre de la même année. Il a pour but de progressivement restreindre ou supprimer l’utilisation des substances les plus dangereuses, et vise toutes les molécules produites ou importées en Europe. Une nouvelle législation dont certaines applications touchent de plein fouet l’horlogerie suisse et qui fait grincer des dents des industriels qui y voient surtout une barrière protectionniste et une source confortable de revenus pour l’Union.

Prévenir ou guérir?

L’Etre humain est capable de fabriquer et de manipuler plus de 46 millions de substances chimiques. Un chiffre impressionnant, qui grandit tous les jours: le Chemical Abstrats Service (CAS), division de l’American Chemical Society qui les répertorie toutes, en enregistre en effet 40'000 nouvelles par semaine. Or, étrangement, les connaissances sur l’impact de ces molécules sur la santé et la nature sont rares, voire inexistantes. Certaines d’entre elles sont pourtant toxiques, allergènes ou cancérigènes. Les informations quant à leur nocivité sont souvent archivées chez les fabricants sans aucune communication aux consommateurs. Une situation qui a fini par préoccuper l’Union européenne, qui a voulu savoir, selon le principe de précaution, combien d’entre elles entraient dans la composition des produits de grande consommation.

Les seuls domaines à ne pas être concernés par REACH sont la recherche, les produits radioactifs, les substances gérées par une autre législation plus restrictive (comme les carburants ou la pharma), les éléments intermédiaires entrant dans la composition de produits finis et les déchets. Tout le reste y est soumis.

Tracasseries industrielles en perspective

Le règlement REACH n’a pas pour unique ambition de remettre de l’ordre dans la multitude de directives européennes et nationales en parant à leurs carences. Son concept est également très novateur, lui assurant une efficacité certaine. Il s’articule ainsi autour de quatre axes législatifs: instaurer un suivi de la production des molécules; limiter sévèrement l’utilisation des substances «Extrêmement Préoccupantes» ou SVHC en anglais – comme les molécules cancérigènes par exemple; responsabiliser le fabricant ou l’importateur; et enfin, informer le client final.

Wrist allergy caused by a bracelet Poignet allergique au bracelet de montre. REACH: connaître l’impact des molécules suspectées toxiques, allergènes ou cancérigènes sur la santé et la nature

Les conséquences pour l’industrie horlogère suisse, pour qui l’Europe reste un marché très important, sont multiples et parfois inattendues. D’abord, les fabricants de substances chimiques sont dorénavant rendus responsables d’annoncer leur production auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Les molécules sont progressivement testées sur leurs effets toxicologiques et écotoxicologiques.

A ce jour, quelque 140'000 substances chimiques ont été déclarées par 65'000 sociétés dans le monde.

Effets collatéraux

Or, ce processus est en constante évolution, au gré des demandes d’industriels et des classifications. «Cela a une conséquence directe sur la gestion des stocks, qui devra se faire à court terme», prévenait Raphaël Schwarz, chimiste EPFL au Laboratoire Dubois à La Chaux-de-Fonds. En effet, un bracelet de montre «légal» en 2011 ne le sera peut-être plus en 2014, une molécule entrant dans sa composition ayant été bannie dans l’intervalle. Le cadmium va par exemple a fait son apparition dans une liste restrictive qui concernait la bijouterie. Un métal utilisé dans de nombreux alliages pour ses propriétés anticorrosives. Il entre dans la composition du revêtement or-cuivre-cadmium. Fini donc les stocks sur dix ans ou le recyclage d’anciens boîtiers!

Les petits fournisseurs risquent également de trinquer. Les marques étant dorénavant directement ou indirectement rendues responsables de leurs produits, elles vont non seulement devoir vérifier la compatibilité de leur propre production avec REACH, mais également celle de leurs sous-traitants. Certaines ont déjà commencé à leur demander des certificats de conformité. Or, les fabricants ne produisant pas plus d’une tonne de substances par an ne sont pas soumis à REACH, et donc dans l’impossibilité de fournir les sésames.

Watchmaking with REACH laws Batterie de tests et obtention des sésames, des coûts faramineux engendrés par la nouvelle législation. Les marques changeront-elles de fournisseurs?

De quoi inciter les marques à changer de fournisseurs ou, dans le meilleur des cas, à limiter le choix des matériaux et des couleurs.

Tests, surcoûts et vies animales

Salué par les associations de consommateurs, le règlement REACH laisse cependant perplexes des industriels – et mêmes certains scientifiques. D’aucuns parmi les premiers dénoncent une manœuvre protectionniste de l’Europe, sachant que 59% des substances chimiques qui y sont consommées sont importées d’autres régions du monde – dont 13% viennent de Suisse. Thomas Hartung et Costanza Rovida, deux toxicologues, ont quant à eux dénoncé dans une tribune de la revue Nature d’août 2009 le sacrifice d’ici à 2018 de 54 millions d’animaux de laboratoire nécessaires aux tests de nocivité des substances chimiques.

Lucien Reclaru, docteur en chimie et coordinateur REACH chez PX Group à La Chaux-de-Fonds, soulignait pour sa part les coûts faramineux que la nouvelle législation engendreraient. «Une batterie de tests pour une substance peut aller jusqu’à 750’000 dollars», explique-t-il. Pour faire face, les industriels se sont organisés en consortiums. PX Group, qui produit entre autre de l’argent, de l’or, du platine et du palladium pour l’horlogerie, a ainsi intégré le Precious Metals and Rhenium REACH Consortium, qui réunit quelque 80 sociétés du monde entier.

Watchmaking with REACH .. good for consumers and employees L’horlogerie visée de plein fouet, va devoir ouvrir l’œil. Par exemple, le cadmium, qui entre dans la composition du revêtement or-cuivre-cadmium, fera son apparition dans une liste restrictive. Utilisé dans de nombreux alliages pour ses propriétés anticorrosives.

Au final, avec les coûts de l’enregistrement auprès de l’ECHA qui se calculent en fonction de la production, la taille et le chiffre d’affaires de l’entreprise, PX Group devra dépenser plusieurs centaines de milliers de francs par substance.

Consommateurs, la corde sensible

Quoi qu’il en soit, l’industrie horlogère suisse, comme les autres secteurs, est contrainte de s’adapter. «Une des grandes forces de REACH est d’avoir confié le pouvoir de contrôle non seulement aux Etats, mais aussi aux consommateurs et aux laboratoires privés», concluait Raphaël Schwarz. Les associations de défense des consommateurs vont, à n’en pas douter, s’engouffrer dans la brèche. Les amendes étant très élevées, on pourrait même s’acheminer vers un système à l’américaine, où certains laboratoires universitaires s’autofinancent en procédant à des contrôles et en faisant des procès!

Quant à ceux qui ne prendront pas le virage REACH assez tôt, ils s’exposent à de lourdes conséquences financières. Outre des amendes et des peines de prison, la France a déjà prévu, pour les récalcitrants, des interdictions d’importer, de fabriquer et de distribuer, le rappel des produits incriminés et l’obligation de créer des réserves financières en vue de procès. De quoi mettre à genou plus d’une société.

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