Jean-Claude Biver

«Le temps, ce luxe». Jean-Claude Biver, l’interview intemporelle

Ses larmes ont fait le tour de la toile et ému spectateurs et internautes. Sa vie, son œuvre, séquence émotion: lors du 18ème GPHG fin 2018, il recevait le Prix Spécial du Jury pour ses 45 ans de carrière. Et répondait à mes 'questions de temps'.

Par Joël A. Grandjean
Contributeur

En 2010 déjà, dans la catégorie Esprit d'Entreprise Jean-Claude Biver recevait la distinction des distinctions dans l'industrie horlogère, le Gaïa décerné par l'Institut l'Homme et le Temps du MIH, le Musée International de l'Horlogerie. C'était la même année qu'Elmar Mock et que Jacques Muller, les deux inventeurs de la Swatch, c'était deux années après Nicolas Hayek père. Sacrés symboles.
 

Serial marketeur: des paysans horlogers aux pelouses mondiales

Allez savoir pourquoi dans le milieu horloger le génie marketing est toujours mis en opposition avec les talents de la technique, de la production, des brevets et des métiers manuels. Pourquoi l’excellence n’aurait-elle pas droit de cité au monde de la vente et de la représentativité sur les marchés? Vendre un frigidaire à un esquimau? Jean-Claude Biver a toujours eu un don pour «aller là où les clients potentiels peuvent être trouvés».
 

Durant sa carrière, ce grand maestro du slogan a réussi à nous faire croire que le quartz existait depuis 1735 et que le football était un sport pour lequel une montre précise pouvait avoir son utilité. Je m’explique: avec son slogan «Depuis 1735 il n'y a jamais eu de montre à quartz chez Blancpain et il n'y en aura jamais», il nous faisait oublier que le quartz n'avait fait son apparition que dans les années 1970, soit 235 ans plus tard. Puis, avec son concept de chronométrage des matches de football, il nous a fait oublier que la minute et la seconde de la fin d'un match dépendent non pas d’une précision maîtrisée mais du bon vouloir de l'arbitre. Ouf, ce-dernier portait certainement une Hublot. Jean-Claude Biver a toujours eu le sens de la formule et du raccourci, mais aussi le soin du détail. Il sait s’engager, comme il le fit contre le racisme.

Missionnaire pour la Suisse et omniprésent

Flamboyant, charismatique, facétieux, Jean-Claude Biver savait entretenir le culte de sa personne. Il s'en servait pour vendre ses montres, les mettre en scène. Il se plaisait avec emphases à en souligner les avantages et la suissitude. Utilisateur insatiable de symboles suisses, il n'a pas hésité à s'associer au fromage ou à la désalpe, ou encore à dresser une tente de conférence de presse en face de la plaine du Grütli. Il a même swissisé le principe des cocktails déjeunatoires en vogue, remplaçant les encas pluriels, convenus et variés, par d’originaux shots de fondue.
 

A ceux qui se plaignirent de son omniprésence, de son hyper présidence, le journaliste que je suis rappelle que toute question posée à Monsieur Biver reçoit une réponse dans un délai court. Lui tendre le micro n'eut donc rien de déloyal par rapport aux autres CEO. En effet, toute personne concernée par les problématiques liées à la fabrication de contenus journalistiques sait que la rapidité de réaction reste décisive et que les autres excellentes réponses surviennent souvent après la publication. Lui aurait-on demandé de donner son opinion sur la vie sexuelle des crapauds en Patagonie qu'il vous aurait embarqué par une réponse horlogère dans un voyage improbable où le temps et sa comptabilité auraient surgi soudain comme une évidence. Brillant!

A l’heure où Jean-Claude Biver tire sa révérence et ou son titre officiel conservé au sein du groupe LVMH est empreint de respect et de valeur référence, juste avant les salons horlogers de janvier 2019 où les marques du groupe de Bernard Arnault s’installeront à Genève au Kempinski entre le lundi 14 et le vendredi 18 janvier, il est édifiant de se souvenir: Blancpain, Omega, Hublot, TAG Heuer et Zenith furent ses territoires de conquête.
 


Ce grand agitateur public de la cause horlogère suisse dans le monde était un bouillant homme d’affaires qui fit gagner un temps fou et donc beaucoup d’argent aux actionnaires qui croisèrent son destin. Il semble improbable qu’il ne planche pas sur une nouvelle et ultime aventure. En attendant, qu’en est-il de l’homme, de son rapport au temps qui passe? Parfois indiscrètes, mes questions le révèlent et le rendent attachant.

Interview avec Jean-Claude Biver

JAG : Alors, Jean-Claude Biver, c’était quand la première fois?

JCB : Chaque jour c’est comme la première fois, c’est ce qui rend les journées si passionnantes.

JAG : Etes-vous toujours à l’heure?

JCB : Oui, c’est mon principe et c’est aussi mon concept de respect.

JAG : Quel est le pire retard dont vous vous souvenez, celui qui vous a le plus mis dans l’embarras?

JCB : Lorsque je dois dire qu’il y avait un bouchon sur l’autoroute… Aujourd’hui ce n’est plus une excuse, car il faut l’inclure dans son planning.
 

JAG : Existe-t-il un retard ou une avance qui vous a permis d’échapper au pire?

JCB : Non, pas que je me souvienne. Je crois en mon destin, et ce qui m’arrive, m’arrive car cela devait arriver.

JAG : Existe-t-il un retard ou une avance qui vous a permis de vivre le meilleur? Souvenir d’un instant béni, d’un moment privilégié...

JCB : Etre en avance de retour chez moi est toujours un délicieux privilège, car je ne profite jamais assez de mon chez moi et de ma famille.

JAG : Quel fut votre jour le plus long?

JCB : Mon mariage, car j’ai voulu qu’il ne se termine jamais.
 

JAG : Hormis une montre ou un garde-temps, quel est le design que vous considérez comme le plus intemporel?

JCB : Le Cervin, l’un des plus beaux designs de la Planète.

JAG : Citez-moi l’objet personnel que vous souhaiteriez soustraire à l’emprise du temps?

JCB : La machine à écrire de mon grand père. Lorsque j’étais enfant, elle me fascinait et souvent je ne comprenais pas comment il pouvait s’endormir sa tête penchée sur la machine.

JAG : Quel est le type de chronophage, mangeur de votre précieux temps, que vous redoutez le plus?

JCB : Ce sont ceux qui posent des questions dont la réponse est évidente, ceux qui essaient de se faire remarquer. Je ne peux les éviter, mais lorsque je les reconnais, je leur réponds très sèchement afin de les décourager.

JAG : Si le temps vous était conté, une citation?

JCB : L’amour, vivre pour l’éternité avec ma famille qui m’est si importante.
 

JAG : Un proverbe du sud dit «Vous avez l’heure, nous avons le temps!». Commentaires?

JCB : Avoir le temps, jouir du temps et maîtriser les temps sont pour moi le véritable luxe!

JAG : Votre premier souvenir se rapportant à une durée, de nature positive ou négative?

JCB : L’école, elle me semblait interminable lorsque j’étais tout petit. Puis plus tard je m’y suis senti tellement à l’aise que je regrettais de la quitter

JAG : Quels sont vos moments qui ne devraient jamais s’arrêter?

JCB : Lorsque je joue avec mon fils Pierre et les moments où nous avons des dîners ou déjeuners de famille. Une fête de famille ne devrait jamais s’arrêter.

JAG : S’il vous arrive de pleurer, quelle est la fois où vous pensiez ne jamais pouvoir vous arrêter?

JCB : Je ne m’en souviens plus. Probablement cela ne m’est jamais arrivé!.

JAG : Quelle différence faîtes-vous entre temps et éternité?

JCB : L’éternité c’est l’illusion et l’idéal, le temps c’est la réalité.
 

JAG : Votre première montre?

JCB : Celle de ma première communion offerte par mon grand père.

JAG : Quel rôle jouent les montres que vous possédez dans votre existence? Merci d’en indiquer approximativement le nombre?

JCB : Elles sont mes jouets de l’enfant devenu adulte. Chacune me donne de l’émotion et m’a fait rêver. J’en possède une soixantaine.

JAG : Celle que vous aimeriez avoir le plus, hormis les marques pour lesquelles vous travaillez?

JCB : Ma collection se compose de presque toutes les marques. Je ne collectionne pas bien entendu que les montres de ma marque! Car l’horlogerie me passionne en général et non pas seulement lorsqu’elle est étroitement liée à ma marque.
 

JAG : La montre de votre marque dont vous êtes le plus fier? Pourquoi, son rapport au temps, en quelques mots?

JCB : Le Tourbillon Chronographe Bigger Bang All Black. C’est ma première vraie machine. Cette montre est devenue plus qu’une montre, mais une machine à jouer avec la lecture et le décomptage du temps.

JAG : Si, privé d’indicateur horaire, vous deviez planter un objet personnel dans le sol pour qu’il vous renseigne sur l’heure qu’il est, à la manière d’un cadran solaire?

JCB : Mon bâton d’armailli!
 

Et recevez chaque semaine une sélection personnalisée d'articles.

Prix Gaïa 2010 – Jean-Claude Biver. Catégorie Esprit d'Entreprise

«Je fonctionne à la passion.» Ce trait de caractère propre à Jean-Claude Biver relevé dans une interview de septembre...