Forum de la Haute Horlogerie: Un monde en ébullition
Lors du 7ème Forum de la Haute Horlogerie, tenu le 18 novembre à Lausanne, il y a été question d’un « Futur en Construction ». Cette thématique, qui interroge aussi bien les scientifiques, les économistes que les politiques, se nourrit d’une actualité en quête de sens.
Depuis dix ans et au fil des sept éditions de son Forum, la Fondation de la Haute Horlogerie (FHH) a voulu créer un événement qui sorte des sentiers battus. Si la FHH a pour mission de fédérer les acteurs de l’industrie horlogère autour d’un message commun de savoir-faire, de créativité et d’innovation, elle a également voulu nourrir cet engagement d’une réflexion prospective. L’espace d’une journée, le débat est ainsi ouvert sur des questions nées d’un monde en pleine accélération et en profonde mutation. Conformément à cette idée, le 7ème Forum de la Haute Horlogerie qui s’est tenu aujourd’hui à Lausanne, a réuni les professionnels de la branche autour de la thématique « Future in Progress ».
Comme les rencontres précédentes, ce rendez-vous a été animé par des personnalités de divers horizons au rang desquelles académiciens, scientifiques et politiciens venus partager leurs expériences et leur vision. Le processus d’innovation en Chine, la complexité des entreprises, les paradigmes du progrès social, l’état de l’Europe ou le dilemme des physiciens face aux « limites » de la théorie de la relativité sont quelques-unes des questions qui ont été abordées lors de ce Forum. Ce communiqué en propose une brève vue d’ensemble.
• L’état de l’Europe
Enrico Letta, ancien Premier Ministre italien, doyen de l’École des affaires internationales de Sciences Po Paris
La question du plus ou moins d’Europe a trouvé une réponse aussi triste que flagrante avec les événements tragiques de Paris. Les lacunes d’une Europe de la défense sont en effet apparues au grand jour, faisant dire à Enrico Letta que sans une union plus poussée, le projet européen n’a guère de chance de perdurer. Une Europe à 28 ne forçant certes pas tous ses membres à une intégration fédérale réservée à la zone euro mais à une Europe soudée, dotée d’un centre fort, apte à dépasser les clivages nord-sud sur le plan économique et est-ouest sur la question des migrants. Enrico Letta : « Face à la montée en puissance des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui, l’an prochain, pèseront davantage dans l’économie mondiale que le Vieux continent, seule une Europe unie pourra maintenir son rang ».
• Comment mesurer le progrès
Michael Green, auteur et économiste, spécialiste du progrès social
S’il est un indicateur considéré comme une référence absolue dans le domaine économique, c’est bien le Produit Intérieur Brut (PIB) apparu en 1934 aux Etats-Unis, qui aura servi depuis à mesurer la performance des nations. Or aujourd’hui, le concept même de PIB est remis en question pour la simple raison qu’il omet de prendre en compte la notion de bien être social dont l’amélioration devrait être l’une des conséquences de la création de richesses. Cette thèse est défendue par Michael Green qui, de ce fait, a développé son propre « outil », le Social Progress Index (SPI) aujourd’hui préféré par nombre de pays en complément du PIB. Basé sur 52 indicateurs, le SPI va ainsi prendre en compte, par exemple, non plus les dépenses de santé d’une économie donnée mais l’espérance de vie et le bien-être de sa population. Une approche iconoclaste bienvenue.
• En quoi l’innovation chinoise est-elle différente
Winter Nie, professeure de management IMD
Il y a une vingtaine d’années, ceux qui voyaient la Chine dominer le monde économique passaient au mieux pour de doux rêveurs. Le rêve est toutefois devenu réalité, l’économie chinoise occupant désormais le deuxième rang mondial derrière les Etats-Unis. Cette formidable marche en avant est également celle des entreprises du pays dont on étudie non plus leur capacité d’apprendre de leurs concurrents pour mieux les copier, mais bien les processus d’innovation qu’elles ont mis en place. Comment expliquer sinon la nouvelle hégémonie de certaines d’entre elles, à l’image de Huawei, premier équipementier mondial de télécommunications et troisième dans les smartphones. Pour Winter Nie, la formule magique tient à un mélange de pragmatisme et d’innovation exercés par des entrepreneurs persuadés de savoir comment se frayer un chemin vers le consommateur.
• Einstein, Le LHC et L’avenir
Harry Cliff, physicien des particules à l’université de Cambridge et collaborateur au CERN
En 1915, il y a tout juste 100 ans, Albert Einstein publiait sa théorie de la relativité générale. On ne saurait trop insister sur toute l’importance qu’ont eue les travaux d’Einstein dans les progrès de la physique moderne. Or voilà qu’aujourd’hui, les principes mêmes posés par Einstein sont remis en question par récents développements de la physique quantique. « La théorie de la relativité est en quelque sorte une théorie sur l’espace-temps, résume Harry Cliff. Or les notions même de temps et d’espace n’ont plus leur raison d’être, n’ont plus de sens dans l’univers de l’infiniment petit que l’on étudie notamment au Grand collisionneur de hadrons du CERN. » En son temps, Albert Einstein n’avait pas hésité à remettre en question les principes établis de son époque. Il est en va de même aujourd’hui avec sa théorie de la relativité.
• Comment anticiper l’avenir
Tim Harford, auteur et éditorialiste au Financial Times
Lorsque Tim Harford se projette dans l’avenir, c’est d’abord en examinant les leçons du passé. Comme celles que peuvent nous apprendre les trajectoires d’Irving Fischer et de John Maynard Keynes. Ces deux économistes ont élaboré des théories prospectives qui, si bien appliquées, devaient leur permettre de gagner de l’argent en tant qu’investisseurs.
Aucun des deux n’a toutefois anticipé la Grande dépression et ses effets dévastateurs sur leurs portefeuilles de titres. Et pourtant, si le premier est mort pauvre et honni, le second est considéré comme l’un des économistes les plus marquants du 20e siècle. La différence selon Tim Harford, « Keynes a fait preuve de suffisamment d’ouverture d’esprit pour analyser ses erreurs, se remettre en question et changer d’avis lorsque ce fut nécessaire. » Moralité : pour avoir du sens, les projections dans le futur doivent nécessairement se nourrir de doutes et de confrontations.
• Gérer la complexité sans complication
Yves Morieux, directeur de l’Institut pour l’organisation du Boston Consulting Group
Pourquoi la productivité dans les entreprises est-elle si décevante et pourquoi y a-t-il si peu d’implication au travail de la part des collaborateurs. Ces deux « énigmes », Yves Morieux a tenté de les élucider et d’y apporter une solution tangible via son concept de « simplicité intelligente ». Les chefs d’entreprise se trompent de cible : « la vraie bataille n'est pas contre les concurrents, explique-t-il. Elle est contre nous-mêmes, contre notre bureaucratie, notre complexité ». Parmi les préceptes de base, il s’agit d’abord de comprendre ce que les employés font vraiment dans l’entreprise et d’encourager la réciprocité, la coopération. Ce n’est pas tant l’échec qui est à blâmer que l’erreur de ne pas avoir demandé de l’aide. La question centrale n’est ainsi plus de réduire les coûts pour augmenter les profits mais plutôt de maximiser l’engagement à tous les niveaux de l’entreprise.
• Changer d’altitude
Bertrand Piccard, explorateur, psychiatre et cofondateur de Solar Impulse
Quand Bertrand Piccard parle de son parcours de vie, d’aucuns pourraient y voir une succession d’échecs. C’est du moins l’effet escompté par le psychiatre-explorateur qui, dans une intervention sous forme d’escamotage, se plaît ensuite à remettre les étapes de sa biographie dans son contexte. Un contexte fait de rêves, d’aventures, de prises de risque qui, au final, s’avèrent des expériences positives et porteuses d’espoir. Solar Impulse, l’avion solaire en route pour le tour du monde est à l’heure actuelle bloqué à Hawaï jusqu’en avril prochain. Qu’à cela ne tienne, le suspense augmente et le message de Bertrand Piccard en faveur des énergies renouvelables se fait plus pressant. Comme on dirige un ballon en changeant d’altitude, parfois faut-il faire de même dans sa vie en lâchant du lest, en abandonnant certitudes et habitudes, pour rendre possible ses objectifs les plus fous. Bertrand Piccard qui interviendra prochainement à la COP21 en apporte la preuve.
7e Forum de la Haute Horlogerie « Le Futur en construction » IMD, Lausanne
18 novembre 2015
Plus d’information sur www.hautehorlogerie.org