Watchmaking Celebrity

Horlogerie: les célébrités font-elles toujours vendre?

Associer un garde-temps à un visage célèbre? Certaines marques s’étaient détournées de cette mode, préférant laisser à leurs produits le soin de jouer les premiers rôles. Or, l’actualité footballistique repose la question

Par Joel Grandjean
Rédacteur en Chef

Au monde du celebrity marketing, rien n’est figé. Les paramètres évoluent. La question revient régulièrement: quelles célébrités choisir pour toucher le plus grand nombre? D’autant que le statut de star s’est démocratisé: plus accessibles, elles font moins rêver et, à lire leurs posts sur Twitter ou leur quotidien sur Instagram, s’éloignent toujours plus de leur inaccessibilité. Finalement, elles sont comme tout le monde. Pire, elles ont parfois quelque ratées. Ici, une colère mal maîtrisée, un séjour en cure de désintoxication, voire un scandale extraconjugal... Avec malice, Dr. François H. Courvoisier de la HEG Arc à Neuchâtel, co-initiant des Journées Internationales du Marketing Horloger, relève que les partenariats avec des disparus présentent quelque avantage. Bref, choisir une star, un casse-tête doublé de moult alinéas de contrat.

José Carreras José Carreras

Questions de marchés

A la question de savoir pourquoi TAG Heuer n’avait pas lâché Tiger Woods, golfeur publiquement estampillé polisson, le CEO d’alors Jean-Christophe Babin joue le pragmatisme. S’il admet qu’en terres puritaines, comme aux US, les publicités se sont faites plus discrètes, il avoue qu’en Asie, en Chine notamment, les incartades ont servi sa cause. Là-bas, l’homme aux nombreuses maîtresses a gagné en sympathie, incarnant une virilité hors normes. Les sensibilités divergent… Comme TAG Heuer, Longines, Omega, Tissot et même Rolex, les marques dont les volumes autorisent une occupation de tous les terrains communicationnels, continueront de s’approprier des visages connus tout en sélectionnant les marchés qui y sont encore réactifs.

Tiger Woods et TAG Heuer Tiger Woods et TAG Heuer

Sous nos latitudes, la formule s’essouffle. Les consommateurs aspirent moins à s’identifier à qui que ce soit, fût-il célèbre. Autant redonner au produit sa première place. Ce fut le choix d’Ebel, comme l’expliquait alors son Président et directeur création Marc Michel-Amadry: la marque optait pour une campagne publicitaire qui refaisait, via les talents du photographe Mitchell Feinberg, l’éloge du produit.Elle tournait ainsi le dos aux rondeurs enceintes de Claudia Schiffer ou aux charmes engageants de Gisèle Bündchen.

Elle se détournait même d’une parenthèse bien moins coûteuse qui l’avait fait se rapprocher d’une célèbre blogueuse, la bien nommée Louise Ebel. Toutefois, sur d’autres marchés, en Asie et en Inde notamment, le celebrity markerting reste payant. David Sadigh, directeur-associé de IC-Agency, spécialiste en marketing interactif, confirme qu’en Inde par exemple, le partenariat Audemars Piguet et Sachin Tendulkar, un célèbre joueur de cricket, avait permis d’affoler la toile.

Sachin Tendulkar, ambassador d'Audemars Piguet Sachin Tendulkar, ambassadeur d'Audemars Piguet

C’est Jean-Claude Biver, alors aux commandes d’Omega, qui initiait la mode des Testimonials. Il concédait dépenser 90 000 francs suisses hors contrat global pour une apparition de Cindy Crawford, qui incarnait le slogan My Choice, rejointe par Georges Clooney. Même pas cher! Car après lui, Omega aurait craqué 600 000 francs suisses pour l’apparition de Nicole Kidman à l’inauguration de sa boutique genevoise en 2007. Parfaite, enjouée et docile…, proche de Nicolas Hayek père. Un pareil montant, ça créait des liens.

Tendance: no cash, affaires échange

En marge de cette surenchère, certains patrons horlogers touchent le jack pot sans bourse délier. C’est le cas de Pierre Koukjian, co-fondateur et designer de la marque deLaCour. Lui-même looké artiste, il accepte il y a quelques années une commande spéciale et rémunérée pour Samuel Etoo’s.

Nicole Kidman égérie d'Omega avec Nicolas Hayek Nicole Kidman égérie d'Omega avec Nicolas Hayek

Depuis, ses Bichronos sont portées par les plus grandes stars mondiales du foot. Sans qu’aucun contrat ne l’y oblige, Cristiano Ronaldo les arbore ostensiblement, les encense chaque fois qu’un journaliste lui pose la question et en achète parfois pour ses proches. Difficile pour les pros du secteur d’aller vendre à ce CEO verni, un contrat de star sur fond d’espèces sonnantes et trébuchantes!

Le celebrity marketing, c’est aussi parfois l’échange de bons procédés. Ainsi, Vincent Perriard, ex-CEO de Concord et de TechnoMarine, actuellement aux commande de la marque HYT, se souvient de la technique Hamilton, pour y avoir été associé. Un insider rémunéré sur le chemin du passage des scénarios hollywoodiens alerte la marque chaque fois qu’un paragraphe fait référence à une montre. La maison de prod est alors contactée, avant même que le film ne soit tourné. Le deal est simple. Placer des montres, parfois créées pour l’occasion comme dans le film Men In Black. Contrepartie? 3000 affichettes placées chez les détaillants Hamilton dans le monde! Résultat, sans trop de cash, de méga stars hollywoodiennes portent des Hamilton, au nez et à la barbe de leurs agents. Inconvénient de la formule, leur rapport avec la marque est plus distant.

Leonardo Dicaprio et TAG Heuer Leonardo Dicaprio et TAG Heuer

Charity business, l’attrape stars

Comme l’heure vire à la communication responsable, il est un stratagème qui permet d’attraper une célébrité sans trop dépenser. Surtout si elle est à la tête d’une fondation humanitaire. Il suffit de lui faire miroiter un chèque substantiel, souvent alimenté par le reversement d’un pourcentage sur la vente d’un modèle à ses couleurs, pour qu’elle se déplace avec en son sillage, à moindres frais, son capital notoriété. Chopard a initié le phénomène, lançant des modèles pour les Fondations José Carrera, Sir Elton John voire pour le Prince Charles d’Angleterre. Longines n’est pas en reste, avec son sponsoring passé de la Audrey Hepburn Children’s Fund et de ses soutiens actuels aux organisations caritatives du couple André Agassi et Stéphanie Graf.

Stars demandeuses, patrons starisés

Passion pour l’horlogerie qui gagne du terrain y compris chez les happy few, baisse des revenus chez les célébrités en raison du ‘tout-téléchargeable-gratuitement’ et voici que les vedettes deviennent demandeuses, quand elles ne créent pas elles-mêmes leur propre griffe! Co-brandings ou partenariats? Dans le même temps, certains patrons horlogers capitalisent sur leur personne plus que sur leurs produits, instaurant une nouvelle répartition de paillettes.

Bastian Baker représente Omega depuis juin 2014 Bastian Baker représente Omega depuis juin 2014

Au contraire, Hayek senior, maître ès cabotinage, savait y faire: sur simple claquement de doigts, les journalistes accourraient. Bonimenteur dans l’âme, l’homme n’avait rien d’égocentrique dans sa démarche puisqu’il se plaçait toutefois toujours au service de ses produits, ostensiblement installés le long de ses avant-bras. Ce qui le rendait également fort apprécié par ses personnels lorsqu’il parcourrait, au sortir d’une prestation médiatisée, les sols industriels de ses entreprises. D’autres aujourd’hui sont terriblement loin d’avoir cette décence…

L’heure brésilienne de mondial de foot étant sur le point d’embraser la planète cathodique, l’engouement pour le celebrity marketing a repris du poil de la bête. Si elles le pouvaient, toutes les marques horlogères suisses se réclameraient de quelque connivence avec un footballeur. Fut-il star de son quartier. Rien de nouveau, la branche a toujours été encline au suivisme…

Histoire: Qui a commencé?

Cyma, marque aujourd’hui moribonde, sortait dans les années 30 La Captive, une montre plébiscitée par Colette. Qui lui dédia un poème! La mythique Universal Genève héritait en 1917 d’un croquis de Jean Cocteau plutôt laudatif «Le temps lui-même regarde l’heure à la montre Universal». L’enseigne disparue «Moeris», de Saint-Imier, éditait en 1966 une James Bond Watch. Le marketing faisait ses premiers pas et déjà, l’envie de s’approprier un statut, via une célébrité… TAG Heuer signait le Suisse Jo Siffert, premier pilote sponsorisé, ami de Steve McQueen. Hans Wilsdorf, fondateur de Rolex, accrochait au poignet de Mercedes Gleitze, une nageuse inconnue, ce qui allait devenir l’étanche Oyster. Elle traversera la manche et fera la une. Peu à peu, les stars prenaient conscience de leur monnayabilité. Yves Piaget, apprécié des grands de son temps, les y aida. Bien avant, le phénomène sévissait déjà: les figures en vues du passé étaient de sang bleu et les horlogers, des privilégiés, étaient admis à leurs cours et dans leurs palais.

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