SAV seiko

Horlogerie française sur les rangs

Rêvant d’un Glasshüte à la française, l’horlogerie franc-comtoise multiplie ses efforts pour, un jour prochain, prendre part au festin économique lié à l’essor mondial de la montre mécanique.

Par Olivier Müller

L’horlogerie française tente une percée. De l’autre côté de la frontière suisse, le département du Doubs notamment possède un passé horloger comparable à celui de la Suisse. Pourtant, il peine à s’arrimer à la croissance de celle-ci. Les choses pourraient changer puisque des acteurs économiques locaux s’organisent pour dessiner les futurs relais de croissance qui capitaliseront sur cette manne horlogère, tout en conservant le cachet du luxe à la française. Comment faire redécoller la Franche-Comté horlogère? La question taraude la vieille garde horlogère, celle qui connut Besançon comme un centre d'horlogerie de premier plan, une ville indispensable à la Suisse voisine...et réciproquement.

Besançon Vue aérienne de la ville Besançon

Elle interpelle aussi les plus jeunes, qui assistent à la croissance continue du luxe horloger, sans vraiment pouvoir s'y arrimer.

Dans les faits, il n'y a plus besoin d'établir que les frontaliers français sont une ressource indispensable au bon fonctionnement des manufactures helvétiques. Mais pour brillants qu'ils soient, il n'en s'agit pas moins de succès personnels: l'économie locale, avec ce qu'elle comporte d'entreprises et de décideurs politiques, peine à se rassembler pour véritablement impulser une dynamique collective.

Reparalux Réparations de montres, assemblage de produits neufs, logistique. La société familiale Reparalux a été créée en 1956 par Marcel Humbert-Droz.

Face à ce constat, la CCI du Doubs, à Besançon, réunissait en décembre 2012 ces individus en un collectif qui, le temps d'une journée, s’est donné pour objectif de tracer les contours d'un développement global de l'économie horlogère bisontine.  Première constatation, premier atout: les forces vives du Doubs ne s'inscrivent justement pas dans une logique purement horlogère. Elles se déploient dans le contexte global du luxe, ce qui leur permet d'embrasser une foule de métiers associés à l'horlogerie mais aussi à la joaillerie, à la bijouterie, à la maroquinerie, etc. Second constat: les volumes horlogers sont tels que la Suisse ne pourra pas absorber, seule, le nombre de pièces revenant en SAV.

Musée du Temps - Doubs Besançon est fière de son Musée du Temps.

Certaines marques comme Breitling l'ont compris il y a plusieurs décennies et ont noué un partenariat industriel fort mais surtout durable avec le département du Doubs.

Développer le SAV de l’avenir

Dopée par ces perspectives, Besançon se met à rêver d'un hub horloger implanté sur son territoire. L'idée, séduisante, est de développer tout un écosystème dédié au service après ventes, dont une plate-forme commune à plusieurs marques. Difficile à concevoir avec plusieurs manufactures concurrentes sous un même toit pour des raisons évidentes de confidentialité, elle serait néanmoins possible pour les marques d'un même groupe.

Breitling SAV: certaines marques comme Breitling ont noué un partenariat industriel durable avec le Doubs.

Le modèle est viable, Richemont l'a déjà mis en place en région parisienne. Et c'est là que réside la valeur ajoutée bisontine: la proximité helvétique réduirait considérablement les frais logistiques mais aussi ceux, plus discrets, de la sécurité des pièces. Aujourd'hui, le coût de cette variable sécurité / assurance est marginal. Lorsque l’on atteindra des volumes plus considérables, ce poste budgétaire deviendra critique.

Pas assez de jeunes diplômés

Reste, aujourd'hui, un point d'interrogation: les ressources humaines. La formation dans le Doubs est d’un niveau qui n’a rien à envier à sa sœur helvète.

Chambre de Commerce et d'industrie du Doubs A Besançon, la Chambre de Commerce et d'Industrie Doubs (CCI) planche sur le développement global de l'économie horlogère bisontine

Pour autant, ce n’est pas tant la qualité que la quantité de jeunes diplômés qui fait défaut. En France, le «mammouth» de l’Education Nationale, comme l’appelait un certain ministre, pèse de tout son poids sur la création de diplômes attractifs. Les intitulés sont rébarbatifs pour les jeunes ; la communication faite sur ces formations ne présente que des aspects techniques alors qu’il faudrait les axer sur des ‘métiers d’art’. Et cette fois, la problématique n’est pas purement bisontine: le WOSTEP, par exemple, est d’un volume d’heures incompressible (plus de 3000h), où qu’il soit fait. Et les promotions dépassent rarement 15 élèves... Insuffisant, très insuffisant.

Pourtant, les débouchées ne manquent pas. La CCI a produit début décembre 2012 une étude qui fait état d’une croissance potentielle de 10.000 emplois dans le luxe au cours des dix prochaines années. Des emplois répartis entre horlogerie, maroquinerie et joaillerie, pour moitié en Suisse voisine. Le Doubs est à ce jour en pôle position pour en capter une large partie. «Le luxe est largement territorialisé», souligne Laurent Sage, Directeur des études économiques et territoriales à la CCI. Et Kalust Zorik, fondateur des Journées du Marketing Horloger, de rappeler l’exemple suisse: «35 à 40% des emplois horlogers sont basés sur le canton de Neuchâtel».

FM Industries A Vercel Villedieu Le Camp, la société F.M. Industries

L’exemple de Glashütte

La CCI, de son côté, lorgne du côté de Glashütte, le cousin horloger allemand qui fait rêver. En un seul site, il réunit les plus grandes marques du pays, un Observatoire, des écoles et aussi, surtout, le plein soutien de tout un écosystème économique et politique. Cette structuration du marché horloger local peut être une lointaine conséquence d’une économie communiste: planifiée, elle mettait la totalité de ses forces dans une seule bataille. Dans le même temps, l’économie libérale française, elle, prospectait de multiples industries. Accessoirement, elle ouvrait en grand ses frontières vers la Suisse voisine, laquelle a bien évidemment accueilli à bras ouverts cette main d’œuvre dont elle manquait.

Au final, Glashütte se dédie à la perfection à un secteur unique, l’horlogerie, quand le Doubs est devenu un généraliste du luxe. Le redéploiement d’une économie vive dans le Doubs n’est probablement pas de tenter de copier ce modèle mais de trouver sa ‘troisième voie’: au sein d’une économie globale du luxe arrimée notamment à la croissance horlogère suisse. Le luxe à la française a plusieurs siècles d’histoire derrière lui. En aura-t-il autant devant lui?

Observatoire de Besançon Sceau de l'Observatoire de Besançon

L'observatoire de Besançon

La certification chronométrique assurée par l’Observatoire de Besançon répond aux spécifications de la norme européenne ISO 3159, délivrée sous le contrôle de l’Etat. Les références temps fréquence de l’Observatoire sont elles-mêmes scientifiquement «garanties» par l’affiliation de Besançon à la chaîne métrologique française pilotée par le LNE (organisme certificateur à l’échelle nationale et internationale). Le service chronométrie de l’observatoire de Besançon organise de temps à autre une session exceptionnelle de contrôle chronométrique, d’une durée de 16 jours, réservée aux particuliers.

Kari Voutilainen, comme plusieurs marques horlogères suisses, a fait certifier la précision de ses montres en les soumettant aux tests du «Poinçon de la Vipère» délivré par l’Observatoire de Besançon. Sur le site officiel, le maintien de cette activité a clairement pour but de «Redonner à la ville de Besançon son rang de capitale de l’horlogerie française.» 

Une complémentarité internationale

Après tout, côté français, il n’y a aucune raison qui s’oppose à cette volonté de se redorer le blason.

D’abord parce que les collaborateurs des Manufactures d’horlogerie suisses, étonnamment toutes situées à quelques encablures des frontières, sont de provenance et de formation française pour en tous cas 50% de leurs effectifs. Dans l’Hexagone, l’affaire est prise très au sérieux. Les autorités s’en mêlent. Elles font des opérations de séduction dans les salons de la branche, à BaselWorld comme à EPHJ-EPMT-SMT. Elles parviennent même à détourner sur Besançon la cérémonie de remise des prix du dernier Concours de Chronométrie. Sur le plan historique, les trésors sont là, ils sont exhumés et valorisés. Jamais il ne viendrait à l’idée de nos voisins de rayer de la carte horlogère leur Observatoire ou leur musée, comme Genève et Neuchâtel ont su le faire! Il se peut qu’une voie se dessine, non pas sur le mode de la concurrence – dans un premier temps – mais sur celui de la complémentarité. Le point avec Olivier Müller.

Et recevez chaque semaine une sélection personnalisée d'articles.