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Un industriel horloger genevois: Jean-Jacques Badollet (1850-1908)

Les horlogers genevois du 19e siècle sont généralement loués pour l’excellence de leurs produits et leur contribution au maintien d’une horlogerie de luxe dans la cité de Calvin… Et pourtant!

Par Pierre-Yves Donzé
Historien

Translated from the original French text

Cette perception d’horlogers genevois dédiés uniquement au ‘luxe’ s’inscrit en comparaison avec celle que les fabricants de l’arc jurassien se seraient lancés dans la montre industrielle. Toutefois, cette vision cloisonnée de l’horlogerie suisse résulte essentiellement d’un manque d’attention envers les industriels genevois. Le parcours de Jean-Jacques Badollet en est une excellente illustration.

Issu des vieilles familles horlogères de Genève

Né en 1850, Jean-Jacques Badollet est un excellent exemple de ces représentants des anciennes familles de fabricants d’horlogerie qui parviennent à moderniser leur entreprise à la fin du 19e siècle et à mettre sur pied une fabrication mécanisée.

L’intérêt de cette trajectoire individuelle est de mettre en lumière les multiples activités d’un homme et d’un entrepreneur, et de montrer ainsi qu’il n’y a pas de contradiction entre une production de montres luxueuses et de haute qualité, d’une part, et des montres bon marché fabriquées à la machine, d’autre part. L’omniprésence de Badollet dans les débats et questions horlogères illustre cette continuité. 

Jean-Jacques Badollet pocket watch

Les Badollet sont une ancienne famille genevoise active dans l’horlogerie au cours des 17e et 18e siècles. Ce sont des producteurs de montres tout à fait représentatifs de la Fabrique et ils poursuivent leurs affaires de petits fabricants et de négociants au cours du 19e siècle, jusqu’à ce que Jean Jacques Badollet donne une dimension nouvelle à l’entreprise familiale. Il avait suivi au départ une filière de formation classique, avec un apprentissage de trois ans chez son cousin Edouard Sordet, fabricant d’échappements et futur directeur de l’Ecole d’horlogerie de la ville. Il rejoint ensuite l’entreprise familiale fondée par son père en 1837, la société Jean-Moïse Badollet & Cie, où il poursuit sa carrière. Cette société est renommée pour la qualité de ses produits dans les années 1870 et elle obtient de nombreuses distinctions, dans les concours de réglage de l’Observatoire de Genève et de la Société des Arts, ainsi que dans les expositions internationales, de Vienne (1873) à Chicago (1893).

Elle poursuit et entretient ainsi l’image d’excellence technique de l’horlogerie suisse et genevoise dans l’ensemble du monde.

Jean-Jacques Badollet watch

Une attention précoce pour les questions industrielles

Toutefois, très rapidement, l’intérêt du jeune Badollet ne porte pas seulement sur la technique de la montre elle-même, mais sur les méthodes de production. Il se rend en effet à plusieurs reprises aux Etats-Unis, notamment pour participer aux expositions universelles de Philadelphie (1876) et de Chicago (1893). Comme plusieurs de ses confrères d’autres cantons, il profite de ces séjours outre-Atlantique pour visiter les manufactures américaines de montres et se renseigner sur le mode de production industrialisé mis en place dans ces entreprises. De retour de Chicago, il donne notamment une conférence publique à la Section d’horlogerie de Genève sur la fabrique de Waltham et sur son outillage. Après une description extrêmement minutieuse du processus de production dans les ateliers de cette entreprise, il tire un bilan proche de celui réalisé par Jacques David en 1876, à savoir la difficulté à appliquer directement le modèle américain à l’horlogerie suisse dont l’organisation industrielle est passablement différente. Néanmoins, comme David, il milite en faveur d’une mécanisation de la production et d’une standardisation des calibres et grandeurs de boîtes à l’échelle nationale, afin de renforcer la compatibilité et la compétitivité des entreprises suisses.

Jean-Jacques Badollet

Jean-Jacques Badollet s’inspire de ces exemples américains et se lance dans la production mécanisée de montres, au sein d’une nouvelle société, qu’il fonde en 1881. Il s’agit d’une manufacture, qui produit des montres pour elle-même – Badollet utilise notamment la marque Léman – mais aussi des mouvements pour des clients externes. Le catalogue officiel de l’exposition d’horlogerie et de bijouterie organisée en 1880 par la Classe d’industrie de la Société des Arts mentionne à propos de la société J.M. Badollet & Cie que «l’organisation a subi […] une transformation complète par l’introduction, dans ses ateliers, de la fabrication mécanique, d’abord pour des parties brisées, puis enfin pour le mouvement tout entier.»

La mécanisation, un gouffre financier

Cependant, comme dans d’autres entreprises similaires à la même époque, les investissements dans la mécanisation ne sont pas rentables. L’entreprise de Badollet est transformée en société anonyme en 1891 grâce à l’apport de capitaux externes, ce qui permet d’organiser une véritable production en masse, au sein d’une nouvelle fabrique, établie dans le quartier des Charmilles. Badollet équipe par ailleurs son usine de machines importées des Etats-Unis qu’il exhibe avec fierté dans une conférence donnée à la Section d’horlogerie. 

Jean-Jacques Badollet Charmilles watch

Peu après, il lance une montre simple et bon marché, sous le nom de Charmille, produite sur le modèle industriel américain. Cette montre est née de l’exploitation d’un brevet enregistré en juin 1891 par son associé Albert Potter, un horloger d’origine américaine établi en Suisse. Cependant, l’entreprise Badollet reste instable financièrement. Elle aurait cédé son brevet pour les montres Charmilles à la société américaine New Haven Watch – qui sera acquise par la suite par Ingersoll Watch Co., le grand producteur de montres bon marché dollar watch.

Le déclin d’un entrepreneur

En 1895, la société Badollet est reprise par son directeur, Maurice Colomb, sous la raison sociale Colomb & Balmer, puis prend le nom de Geneva Watch en 1905. Colomb transfert peu après son rachat la société au centre-ville, abandonnant la production en masse (1901). Quant à Badollet, il abandonne la production horlogère. Il se reconvertit dans des activités commerciales en lien avec la fabrication de la montre et devient le représentant de manufactures américaines d’outillage. Par ailleurs, il dirige jusqu’à sa mort l’agence genevoise de la société Keystone Watch Case Co., un conglomérat qui regroupe les principaux fabricants américains de boîtes, et qui fournit notamment les producteurs de montres de Waltham et d’Elgin, aux Etats-Unis. Une activité qui rejoint son désir d’offrir des produits standardisés et bon marché aux horlogers genevois et suisses.

Jean-Jacques Badollet inserate in F.H. - 4 April 1907

L’activité industrielle de Badollet doit ainsi être considérée comme un échec qui met en évidence la difficulté – financière notamment – à mettre en œuvre des fabriques mécanisées dans l’horlogerie suisse.

En savoir plus? Se procurer le livre de Pierre-Yves Donzé, L’invention du luxe: Histoire de l’industrie horlogère à Genève de 1815 à nos jours.

Edité à Neuchâtel en 2017 chez Alphil.

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