Horlogers de la Henry Graves part 1: les oubliés de l’histoire
La Vallée de Joux a acquis depuis le XVIIIe siècle une solide réputation en matière de mécanismes horlogers compliqués. Le Musée Espace Horloger rend hommage aux horlogers de la célèbre Henry Graves de Patek Philippe.
Les horlogers qui vivent dans cette Vallée sont les héritiers de la grande tradition horlogère française et anglaise. Ensemble ils ont conduit les savoir-faire qu’ils ont hérités des horlogers internationaux, à un niveau de sophistication et de complexité mécanique jamais égalé jusque-là. Mais quel était le quotidien de ces horlogers? Leur niveau de sophistication technique était-il à l’image de leur niveau de vie dans l’une des vallées les plus préservée de suisse occidentale?
Patek Philippe passe commande aux horlogers-paysans
Grace à un travail méticuleux, les horlogers combiers se sont formés peu à peu une réputation. Au XIXème siècle, bon nombre des montres les plus compliquées au monde, vendues sous le nom des grands horlogers genevois ou parisiens, ont été conçues et réalisées par des artisans de la Vallée.
Conformément à l’organisation du travail de l’époque, les horlogers genevois font appel à la main-d’oeuvre peu coûteuse mais néanmoins experte des horlogers-paysans du Jura vaudois. Ainsi, au début des années 1900, Patek Philippe fait régulièrement appel aux compétences d’un établisseur situé au Sentier afin de réaliser une montre hors du commun. Connu sous le nom de Victorin Piguet, cet établisseur ne travaillait pas seul. Fondateur d’une petite dynastie familiale, il s’entourait de sa famille et d’artisans pour mener à bien les projets qu’on lui commandait.
Victorin Emile Piguet, l’enfant de la Vallée
Enfant de la Vallée de Joux, Victorin Emile Piguet (1850–1937) est ainsi le fondateur d’une petite dynastie familiale. Il fut maître à l'école d'horlogerie de la Vallée de Joux, Juge et président du Tribunal de District. Avec William Alfred Piguet, il fonde l'entreprise Victorin Piguet et Frères en 1872. Il séjourna également à Genève où il avait la fonction de professeur maître à l'école d'horlogerie de 1880 à 1882 avant de revenir à la Vallée. Il habita à Chez le Maitre au Sentier jusqu'en 1873 puis à Etoy et à Coppet. De 1890 à 1895 il dirige seul l’atelier Victorin Piguet avant de s’associer à nouveau avec Julien Henri Piguet pour former l’entreprise Victorin Piguet et Cie.
Bien que son père Henri-Daniel Piguet ait été également horloger, c’est lui que l’on retient comme fondateur de la dynastie. Ses fils vont hériter des ateliers tout comme des savoir-faire de leur père.
C’est ainsi qu’à la fin des années 20, l’entreprise Les fils de V. Piguet se retrouve à la croisée des chemins. Elle est dirigée en 1927 par Jean-Victorin Piguet et Paul-Henri Piguet sous l’œil attentif de leur père et fondateur. Le jeune Henri-Daniel Piguet, qui par la suite reprendra l’entreprise familiale, fait également ses premières armes à cette période. Ce sont donc trois générations d’horlogers qui vont travailler ensemble à la réalisation de la montre Henry Graves, le projet le plus fou que Patek Philippe leur ait commandé jusque là et certainement le plus ambitieux dans le monde horloger de l’époque.
Jean et Paul ont pris la relève de leur père en 1920. Suite au décès de Jean en 1949, c'est son fils Henri-Daniel, petit fils de Victorin, qui maintiendra la fabrication artisanale de pièces compliquées pour Patek Philippe mais également pour Vacheron Constantin, Breguet et Audemars Piguet entre autres.
La montre Henry Graves, d’autres horlogers impliqués
La dynastie horlogère Victorin Emile Piguet ne travaillait pas seule. Comme le veut le système de l’établissage, les fils de Victorin Piguet vont chercher les savoir-faire de différents horlogers de la Vallée pour réaliser leurs projets. Entre 1926 et 1932, plusieurs horlogers et artisans de la Vallée de Joux furent donc impliqués dans le processus de réalisation de la montre Henry Graves. Ils donnèrent le meilleur d’eux-mêmes, chacun spécialiste dans son domaine, afin que ce chef-d’œuvre puisse voir le jour. Chaque partie de la montre et du mécanisme est confiée à un spécialiste en particulier.
Dans ce monde encore en transition entre le système de l’établissage et l’industrialisation, le travail de cette montre est effectué dans les ateliers, les maisons et les fermes de chacun de ces artisans du temps. Sous la houlette de la famille Piguet, se ne sont pas moins de 10 artisans qui ont apporté leur contribution à ce projet. Tous ont une personnalité bien trempée et un mode de vie typique qui montre la rudesse de la vie d’antan.
Paul Auguste Golay, l’horloger aux deux visages
Paul Auguste Golay (1873-1937) est sans doute le plus proche des Piguet et le plus important de ces artisans. Horloger extraordinaire, il était capable de concevoir et de fabriquer des mécanismes de calendrier perpétuel, sans doute l’une des parties les plus complexes d’une telle grande complication.
Son épouse était originaire du grand duché de Bade. Elle avait la réputation de ne pas tenir en place. Cela explique les déménagements successifs à la Vallée de Joux mais aussi au pied du Jura à Corsier sur Vevey pour trouver un climat plus adapté à la santé fragile d’Auguste Golay. Ils avaient trois filles.
Au-delà de cette vie en apparence banale, Auguste Golay avait une double personnalité. Connu également sous le nom de David des Ordons, il était un compteur hors pair, un écrivain talentueux et dessinateur au fusain à ses heures perdues. Ses histoires comme les Aventures de Pierroton Maréchaux alimentaient les pages du journal de la Feuille d’Avis de la Vallée de Joux avant d’être reprises et publiées par les Editions Le Pèlerin. Il excellait particulièrement pour raconter les histoires de loups à la Vallée.
Paul Auguste Golay était aussi l'un des derniers patoisant de la région et un historien et généalogiste local reconnu. Il a réalisé une étude historique digne du souvenir Le Passé des Piguet-Dessous et une carte de géographie faisant état de la colonisation du village du Brassus vers 1600.
Il correspondait souvent avec un professeur Piguet à Lausanne, en patois, et leur correspondance a été déposée au glossaire des patois de la Suisse romande à Neuchâtel. (((photo 06-07-08-10)))
Maison de Paul Auguste Golayà Piguet-Dessous
Exposition temporaire Star Watch (dédiée à la montre de poche Henry Graves) - jusqu’au 24 avril 2016 à L'Espace Horloger. Cliquez ici pour les horaires de visite et plus d'informations sur l'expo.
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