GPHG 2014

Grand Prix d’Horlogerie de Genève, analyse des résultats

Deux doublés, les marques Urwerk et Breguet, la présence sur scène d’indépendants chéris du secteur, les frères Grönfeld, un zeste de Japon diplomatique et une dimension internationale marquée.

Par Joel Grandjean
Rédacteur en Chef

En coulisses, Carlo Lamprecht, le Président de la Fondation du Grand Prix d’Horlogerie de Genève a bien bossé. L’ancien ministre de l’économie genevoise, particulièrement apprécié pour sa diplomatie convaincante, a mis à contribution ses recettes d’homme politique et ses réseaux. Ainsi, la tribune de remise des prix, ces fameux moments plus ou moins teintés de suspense qui transforment une simple ouverture d’enveloppe en retenue de souffle, fut peuplée, d’hommes politiques. Difficile d’imaginer qu’un Pierre Maudet, véritable bête politique genevoise, se priverait de saisir cette tribune pour s’adresser à ses concitoyens et rappeler à ceux d’entre eux qui font vivre le secteur horloger, la fierté qu’ils procurent à leurs autorités. Mieux encore, à la façon d’une montre Hermes «Le Temps Suspendu» dont il n’est pas sûr qu’il connaisse l’existence, le Conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann rappelait que le temps confédéral bernois pouvait, parfois, durer plus longtemps que celui de Genève!

Johann Schneider-Ammann (Conseiller fédéral), Jean-Charles Zufferey (Vice-président de Breguet, marque gagnante du Grand Prix de l’Aguille d’Or 2014) et Carlo Lamprecht (Président de la Fondation du GPHG) Johann Schneider-Ammann (Conseiller fédéral), Jean-Charles Zufferey (Vice-président de Breguet, marque gagnante du Grand Prix de l’Aguille d’Or 2014) et Carlo Lamprecht (Président de la Fondation du GPHG)

La joie des frères Grönfeld

Tandis que certains lauréats, un peu longuets dans leurs discours, se faisaient rappeler à l’ordre par l’envoi dans les hauts parleurs du grand théâtre du célèbre refrain de Michel Fugain «Je n’aurais pas le temps», d’autres, par la sobriété touchante de leur apparition, en dirent long sur leur bonheur et leur émotion d’obtenir cette palme convoitée: comme les frères Grönfeld, Tim et Bart, venus de Hollande, enfants chéris de la branche pour leur démarche qui consiste à concevoir et fabriquer aux Pays Bas des montres en tout point conformes aux critères suisses de la haute horlogerie. Ainsi, si leurs garde-temps ne comportent aucune inscription sur leur cadran quant à leur origine, ils sont certainement les produits non swiss made les plus riches en composants suisses. Normal, anciens élèves du Wostep, cette école d’horlogerie située à Neuchâtel, financée par la branche puisque sa mission est d’accroître l’excellence des horlogers étrangers en charge des services après vente mondiaux, Tim et Bart restèrent un  peu plus que prévu en nos horlogères contrées. Il furent donc durant presque une décennie des chevilles ouvrières chez Renaud Papy, motoriste réputé pour ses complications. Rentrés au pays, puisque l’affaire familiale réclamait leur retour, ils y perpétuent leurs acquis et leurs savoir-faire. Ainsi, ce 31 octobre 2014, ils inaugurèrent, avec leur incroyable Parallax Tourbillon, la nouvelle catégorie dédiée au tourbillon.

Martin Frey et Felix Baumgartner de la marque Urwerk Martin Frey et Felix Baumgartner de la marque Urwerk

L’autre moment minimaliste de la cérémonie, en terme de discours, fut offert deux fois de suite par Martin Frei et Felix Baumgartner, les pionniers avec leur marque Urwerk de ce qu’il convient d’appeler la nouvelle horlogerie. Ceux par qui sont arrivées sur le marché des constructions micromécaniques ressemblant parfois à des Ohni (objets horlogers non identifés) qui revisitent dans les règles de l’art et façon contemporaine les valeurs séculaires des grands esprits d’antan. Et qui innovent aussi puisque la montre primée, l’EMC, un sommet d’inventivité, mêle audacieusement un calibre mécanique à un système électronique capable de l’analyser et d’en corriger les variations de précision. Une sorte d’auto-régénération chronométrique.

Sur les réseaux sociaux, il fallait voir la joie de Yacine Sar, la sémillante Relations Publiques de la marque, trouver écho via des cortèges de «likes» ou de «commentaires» félicitatifs! Coup double. L’EMC remportait autant le prix de «L’Exception Mécanique», une nouvelle catégorie 2014, que celui de «L’Innovation.»

Retour bienheureux du Swatch Group

Quant au Swatch Group, il fit bien de revenir cette année. En effet, et la chose n’est pas assez précisée durant la soirée, ne concourent à ce Prix que les montres, 72 en tout cette année, qui font l’objet d’un dossier de candidature. Cette particularité du règlement, contrairement aux prix de «La Montre de l’Année» (Ringier) dont le jury va chercher de manière autonome dans les étals et les salons horlogers les pièces qui seront primées, permet de répondre à la question des Grands Absents. Pour quelle raison, de célèbres manufactures genevoises ou suisses, dont Patek Philippe, Rolex, ou Breitling, ne sont pas citées durant la soirée?

Stephen Urquhart (CEO de Omega, gagnant du prix Revival 2014) Stephen Urquhart (CEO de Omega, gagnant du prix Revival 2014)

Avec Omega et la présence rare de son boss Steve Urquhart, c’est une Speedmaster qui emporte la palme dans la «Catégorie Revival» apparue pour la première fois en 2013: l’Omega Speedmaster «Dark Side Of The Moon», l’un des modèles qui alimentent le plus l’omega mania du moment. Quant à Blancpain, elle remportait la palme de la montre dame de l’année avec sa Women Heure Décentrée. Enfin, et c’est l’autre doublé de la soirée, la marque Breguet remportait le Prix du Public avec sa Classique Dame ainsi que la palme des palmes, l’Aiguille d’Or, avec sa Classique Chronométrie. L’occasion de mesurer, le temps de deux discours particulièrement bien enlevés, les compétences oratoires d’un Jean-Charles Zufferey, Directeur Marketing et Chargé des Relations Media du CEO Marc Hayek hélas absent.t.

Japon diplomatique, internationalisation du Grand Prix

Y aurait-il eu chez les membres du Jury une conscience que l’anniversaire des 150 ans de relations diplomatiques entre la Suisse et le Japon était dans l’air? Quoiqu’il en soit, outre les nombreuses langues parlées lors de la soirée, preuve de la diversité géographique du Jury, il y eut sur scène un peu de japonnais aussi. Tandis que dans la salle son Excellence l’Ambassadeur du Japon honorait Genève de sa présence, Seiko recevait le Prix de la Petite Aiguille grâce à son Grand Seiko Hi-Beat 36000 GMT (lire prochainement l’article de Vincent Daveau de retour du Pays du Soleil Levant). Un garde-temps qui force l’admiration pour son haut dégré de technicité malgré son appartenance à une catégorie dédiée à des montres plus accessibles côté prix d’achat.

Susumu Kawanishi (Senior Vice-president de Seiko, gagnant du Prix de la “Petite Aiguille” 2014) Susumu Kawanishi (Senior Vice-president de Seiko, gagnant du Prix de la “Petite Aiguille” 2014)

L’autre clin d’œil au Japon nous vint du plus nordique des horlogers suisses, le Finlandais Kari Voutilainen, installé à Motiers dans le Canton de Neuchâtel. Sa Vontinlainen Hisui remportait le Prix de la Montre Métiers d’Art avec son cadran issu d’Unryan, l’un des plus prestigieux ateliers japonais spécialisés dans la laque, dirigé par T. Kitamura, auteur de chefs-d’œuvre en ligne directe avec l’apogée de la séculaire tradition nippone: «Plus que mille d’heures de travail ont été nécessaires pour achever le cadran et les ponts. Le Kinpun (poudre d’or), le Jyunkin-itakane (feuilles d’or), le Yakou-gai (coquille de turbo vert) et l’Awabi-gai (coquille d’ormeau de Nouvelle-Zélande) figurent parmi les matières premières qui permirent sa réalisation. Ce garde-temps s’inspire des pierres précieuses, émeraude et jade, qui lui donnèrent son nom d’Hisui.»

Après l’exposition des 72 montres à New Dehli et Pekin, l’internationalisation du Grand Prix d’Horlogerie de Genève se poursuit du 6 au 8 novembre par la présentation des montres lauréates à la galerie Saatchi du salon QP à Londres. Non contente d’avoir été diffusée en direct sur les ondes de la télévision locale genevoise, Leman Bleu, ainsi que sur son site officiel, la 14ème édition de la manifestation professe une internationalisation qui dépasse encore l’énoncé de ses résultats. 

Les gagnants du Grand Prix d’Horlogerie de Genève 2014 Les gagnants du Grand Prix d’Horlogerie de Genève 2014

«Je n’aurais pas le temps…»

… de vous dire que j’ai adoré le long discours ému du collectionneur Helmut Crott, l’homme qui préside aux destinées de la marque Urban Jürgensen & Sønner. Parce que j’adore cette «Seconde Centrale» qui a reçu le Prix de la Montre Homme, première réalisation à maîtriser l’échappement à détente dans une montre bracelet. Un garde-temps en phase avec les valeurs de la marque danoise fondée en 1773 par l’un des plus grands horlogers de son temps, chronométrier de marine admis à la cour danoise, habitué des sentiers horlogers jurassiens, terre de son épouse, au point de s’y être procuré des relais manufacturiers et d’y avoir élu domicile d’adoption. Urban Jürgensen était le beau-fils du Maître suisse de la Chronométrie Frédéric Houriet. A relire impérativement, l’ouvrage «THE JÜRGENSEN DYNASTY» écrit par John M. R. Knudsen.

… de vous dire que je me suis questionné sur l’absence sur le podium de la marque Chopard, pourtant concurrente dans plusieurs catégories. D’autant que cette grande indépendante incarne, tout en assumant la joaillière essence de son histoire familliale, une horlogerie genevoise d’excellence, dont les ramifications mettent en valeur aussi les tissus de l’arc jurassien: sa manufacture et son musée se trouvent à Fleurier dans la Canton de Neuchâtel. Elle est aussi à l’origine de la création du Poinçon des poinçons, le label Qualité Fleurier, dont les valeurs chronométriques et esthtétiques sont soulignées par une dimension de fiabilité et de résistance aux chocs. Bref, sans disconvenir que l’Allemand Walter Lange méritait bien un prix pour sa vie et son œuvre, j’aurais bien vu le tapis rouge du Grand Théâtre foulé également par un membre de la famille Scheufele, la plus allemande de nos familles horlogères suisses. Dommage.

… de vous dire que j’aurais attendu une distinction pour Bulgari qui soit autre que celle du Prix de la Montre Joaillerie Bulgari qu’elle a certes mérité avec sa ‘Diva Haute Joaillerie Emeraudes’. La marque n’a-t-elle pas connu, cette dernière décennie, l’une des verticalisations les plus remarqubles du secteur? Elle a, sans jamais déroger à son esthétique iconique, intégré sur  le mode également d’une excellence industrielle liée à ses volumes conséquents, la plupart des métiers de l’horlogerie. Et pas seulement, du côté de la Vallée de Joux, les arts des Grandes Sonneries ou, comme avec son architecturale Bvlgari Octo Finissimo Tourbillon, la maîtrise sur le mode de l’extrat-plat, de la complication d’Abraham Louis Bréguet. Regrets.

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