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Entre SIHH et Baselworld 2016: trois expressions agaçantes

Coups de coeur, coups de sang, même combat! Lorsque la passion reste intacte, une certaine sensibilité, liée à l’âge assumé et à une analyse éprise de bon sens, mérite d’être exprimée. D’autant que peu s’y essaient…

Par Joel Grandjean
Rédacteur en Chef

Chérir un secteur, le défendre, l’aimer. C’est aussi parfois lui faire passer quelques messages, certain que l’évidence du propos rendra l’opinion contagieuse. Et pourra peut-être faire bouger les choses?

Expression 1: Montres connectées? «Arrêtons d’appeler «ça» des montres!»

Que toute personne liée de près ou de loin avec l’horlogerie, bannisse de son vocabulaire à compter de ce jour, de manière radicale et définitive, l’expression «montre connectée.» Voilà, c’est dit! Au risque de m’attirer les foudres du Larousse, j’incite à la rébellion. Le groupe nominal «montres connectées» ne devrait plus avoir droit de citer dans nos palais. Parler d’«objets connectés», de «bracelets intelligents» ou de «trucs» qui donnent l’heure me semble plus approprié. Partant de l’idée - souvent sous-estimée - que les mots sont puissants et qu’une certaine dose de réalité et de concrétisation émane de facto d’une parole dite ou écrite, je propose qu’on interdise désormais à ces ‘choses’ qui accessoirement donnent l’heure, le droit d’usurper une appellation que nous devrions considérer comme une chasse gardée dans notre langage. Après tout, ne sommes-nous pas tous, collectionneurs ou insiders, parties prenantes dans ce miracle économique appelé ‘la montre suisse?

Votre montre mécanique vous stresse? Votre montre mécanique vous stresse?

En s’installant à l’extrémité de nos avant-bras, il y a presque 100 ans, la montre - et donc l’horlogerie - remportait une sacrée victoire. Elle occupait dès lors, pas trop loin de nos yeux et si près du coeur, un territoire universellement considéré comme un lieu pratique, idéal, stratégique et évident. Or, le troisième millénaire voit soudain surgir une nouvelle «guerre du poignet» déclenchée par quelques hybrides décomplexés, des avatars de téléphones mutants, qui, pour se rendre plus attractifs, enfilent parfois les attributs réservés aux montres: boîtes, bracelets, verres saphir, allure horlogère, bracelets cuir ou caoutchouc…

Que nous décidions de mater ces mutants, de les apprivoiser, de s’en inspirer, de surfer sur la vague de leur succès ou de leur offrir quelques unions contre nature, il ne devrait pas venir à l’idée des gens actifs dans l’horlogerie de leur accorder le statut de «montres»! Car quand bien même le Larousse persiste dans sa définition de «Petit appareil portatif, fonctionnant dans toutes les positions, servant à donner l'heure et d'autres indications», j’en appelle à la révolte. Ou plutôt à l’adhésion d’une posture linguistique non plus réactive mais proactive: objets connectés, téléphones mutants, jouets pour geeks, et j’en passe… Finalement, le choix est infini! Allez, un petit effort… Il s’agit d’une gymnastique intellectuelle certes, mais qui peut s’avérer salvatrice sur le long terme..

Vintage? Vintage?

Expression 2: «Vintage, vous avez dit vintage?»

Ce mot est l’un de ceux qui fait couler le plus d’encre au sein des médias horlogers! Habituellement, il s’arrête à l’orée des sixties et remonte sans complexe aux temps où, dans les années 20, les premières montres bracelets remplaçaient peu à peu les montre de poche. De plus en plus, il grignote du terrain et s’applique aussi désormais à quelques icônes issues des années 80. Bref, rien de plus pratique que cette appellation qui permet aux marques d’occuper à dessein un segment de marché qui leur est encore vierge, tout en se justifiant d’être en phase avec leur histoire. Seulement voilà, le «ce qui a été fait n’est plus à faire» n’aura jamais tant dicté les élans timorés des enseignes horlogères en matière de création et d’innovation (voire ci-dessous, erreur N° 3). Après tout, et puisque le temps est aux frissons de crise, autant faire le dos rond et s’arc-bouter sur ses fondamentaux. 2016 semble devoir être une année de consolidation exempte de prises de risque. L’avantage? Les vraies innovations sortiront du lot et, pour ceux dont l’approche reste en phase avec la réalité du produit, l’histoire et ses trésors en sortiront grandis.

Ainsi, lors du SIHH 2016, la similitude de certains discours marketing avait quelque chose de profondément agaçant. Comme si tous s’étaient donné le mot! Pour justifier l’apparition par magie d’une collection nouvelle, qui est en fait la mise en application d’une pulsion du département marketing, les allusions à des produits passés se sont multipliées. Bien sûr, des modèles iconiques. Ainsi, avant chaque présentation d’une nouveauté, nous avons eu droit à une remontée dans le temps, une mise en avant de trois à cinq modèles issus des tiroirs, censée justifier les choix esthétiques 2016. Comme l’exprime si justement une de mes confrères aux sorties parfois piquantes, la phrase qui tuait le plus lors du dernier salon SIHH, était «le lien entre tradition et modernité.» Bref, une de ces phrases fourre-tout si pratique, qui permet d’introduire une dose de légitimité identitaire là où il conviendrait de d’évoquer de simples et normales velléités d’occupation du marché. Ne nous y trompons pas, journalistes spécialisés et amateurs d’horlogerie semblent quelque peu lassés de ce discours…

Innovation? Innovation ... kesako?

Expression 3: «Innovation? C’est quoi au juste?»

L’innovation est à l’horlogerie ce que le chauffard est à la conduite. Un mot très pratique, vague, fade et insipide. Surtout un mot qui n’a jamais été vraiment défini dans le contexte. Soudain, un changement de couleur du cadran, l’utilisation d’un matériau différent, une pointe d’aiguille de seconde que l’on bleuit ou la nouvelle boursoufflure d’un index et vous voilà propulsé innovateur. Attention, loin de moi l’idée de dire que ces modifications sont mineures ni mal pensées. Je dis jusque qu’il ne faut pas les placer sous l’ombrelle «innovations.» Ceux qui me connaissent savent qu’à l’occasion et après un repas bien arrosé - l’invitation est lancée -, ma langue fourchera peut-être et qu’ils auront des noms. Aux autres, je ne dirai rien, je les invite juste à la réflexion: à trop souvent utiliser ce mot, les marques horlogères se coupent elles même l’herbe sous les pieds pour le jour béni où, inspirées et remises de leurs frilosités contextuelles et cycliques, elles auront dans leur besace une véritable nouveauté. Je sais que ce jour reviendra, j’en attends l’heure avec impatience…

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