ArtyA, les sept péchés capitaux d’Yvan Arpa
Rarement marque horlogère n’aura été à ce point liée à sa personnalité fondatrice. Hérétique, dérangeant, remuant ou renégat, Yvan Arpa a pourtant le mérite d’écrire l’horlogerie en mode sincère et médiatique…
Par Joel Grandjean
Rédacteur en Chef
Le plus touchant, chez ce personnage atypique de l’horlogerie, c’est sa propension au doute. De lui, des autres, de ces certitudes qu’on vous ressasse et qui finissent par vous scléroser. Entré en horlogerie il y a plus de 20 ans, ce prof de maths défroqué au look de curé de banlieues, professe néanmoins à sa manière la sincérité d’être et la fidélité en amitié comme en affaires. Il professe aussi les arts martiaux, ceux qui procurent la zénitude, ceux dont on use pour se défendre lorsque l’âme profonde incline à la non-violence.
Son horlogerie à lui, c’est celle d’un business model qui permit à des actionnaires de gagner un temps fou, donc beaucoup d’argent. Car il intègre dans sa conception même la notion de raccourcis. Encore faut-il savoir les emprunter, s’y aventurer. Sous ses pas, ces raccourcis deviennent chemins de traverses, écoles buissonières et, très souvent, aventures fantastiques durables ou sans lendemain.
Seulement voilà, l’homme est vulnérable, il travaille avec son cœur. Ce qui le sauve, c’est qu’il jouit d’une créativité débridée que plusieurs chaînes de montage et de production n’arriveraient pas forcément, même couplées les unes aux autres, à digérer.
Au travers de sept travers dont certains ont pris l’allure de traits de génie, voici Yvan Arpa, fondateur de la marque ArtyA.
1. Un slogan plus connu que la marque
A ses débuts en horlogerie, Yvan Apra enfante pour Sector le slogan No Limit. Comment? Parce qu’il fallait donner à la va-vite un nom à l’opération qu’il a contribué à monter pour cette marque installée à l’époque à Neuchâtel. Qui aurait parié une liasse de francs CFA sur Gérard d’Aboville, insignifiant aventurier moderne désepéremment à la recherche de fonds pour monter son tour du monde à la rame? Seulement voilà, le rameur opiniâtre et bien préparé réussit son exploit et fut suivi par les télévisions du monde. Son périple musculaire transformait la bagatelle financière investie par Sector en capital médiatique sans précédent. A tel point que le slogan devint plus connu que la marque. Un cas d’école.
2. Des modèles plus connus que leurs enseignes
Recruté par Alain Bajulaz qui venait de recapitaliser son projet de marque porteur des deux prénoms de ses enfants, Romain et Jérôme, Yvan Arpa emprunte un raccourci génial en créant la montre Titanic. Au passage, il fait entrer dans la cour horlogère l’ennemi public numéro un des montres de luxe, la rouille. Carrément empruntés à la carcasse du célèbre paquebot naufragé, les fragments de coque rouillée qui entrèrent dans la composition des boîtes de montres de la collection Titanic devinrent aussi connus que bien des modèles de l’époque. Difficile par contre de les associer sans hésiter à la marque Romain Jerome. De ce coup de maître naissait un principe marketing. Celui de s’adosser, quand vous n’avez que quelques années d’existence, à des légendes si célèbres qu’elles sont obligées de porter les créations qui s’en inspirent et de vous transformer avec ou malgré vous en marque de légende. Malgré la soudaine mise à l’écart d’Yvan Arpa, ce principe habite encore l’ADN de Romain Jerome qui a depuis choisi des légendes moins flamboyantes, plus conventionnelles, plus élitistes. Des légendes éphémères qui ratissent moins large, comme celle d’un volcan rageur au nom imprononçable.
Sans doute en aurait-il été de même si la marque Volna n’avait été précipitée vers le dépôt de bilan par l’un de ses actionnaires? Car Yvan Arpa avait été mandaté pour la relancer. Il lui avait cette fois encore pondu Volnatomic, une collection dont la notoriété des logos ainsi que les carnets de précommandes laissaient présager une belle sortie de l’impasse économique et une visibilité médiatique optimale.
3. Serial designer
Son problème, à Yvan Arpa, c’est qu’il accouche de trop d’idées à la fois. Impossible à suivre... La nouvelle idée chasse l’autre, l’empêchant de s’installer. Alors, et surtout parce que les avocats coûtent cher, il les a parfois vendues, ses idées. Il a délayé son potentiel médiatico-créatif, offrant à d’autres, l’espace d’une pirouette collaborative, d’incroyables opportunités. Dans le microcosme horloger, on l’a accusé de se disperser. C’est oublier qu’Yvan Arpa n’est pas qu’un patron inclassable de marques, il est aussi un designer prolifique. Il y eut Volna, Jacob & Co et d’autres qui ne veulent pas forcément l’avouer. Il y eut la trop courte aventure Spero Lucem, où au fil de modèles tels que la Clémence, Yvan Arpa qui est à l’horlogerie ce que Gainsbourg était à la chanson française, se mua en compositeur classique armé d’un respect sans bornes des partitions traditionnelles et d’un sens symphonique de la direction d’orchestre.
En 2015, c’est un scoop, il y a à Baselworld la marque Dogfight – de swiss made appartenant à des Coréens – dont la connivence design fleure bon son style inimitable, jusque dans l’environnement produit.
4. Des matériaux de merde
En utilisant pour l’un de ses cadrans de la cropolite – du caca de dinosaure fossilisé – Yvan Arpa réussissait à rendre service à l’ensemble de la branche horlogère! Comment? En ouvrant à l’horlogerie les rubriques Insolite des médias du monde. Auparavant, on ne parlait d’horlogerie que dans les pages éco ou les pages conso. Grâce à son slogan «is it cheat, yes it is» qui a fait le tour de monde médiatique, les autres marques ont désormais elles aussi accès, pour autant que leurs créations appartiennent aussi à ce registre, à de nouvelles colonnes. Du coup, lui a vendu sa série spéciale de quelques montres à environ CHF 12'000,00 – le client est roi et mérite parfois son trône – tandis que d’autres marques bénéficient encore de ce précédent.
5. Ses rapports avec la SPA et la banque européenne
Etrange que la section genevoise de la SPA n’ait pas fait perquisitionner son bureau de Vésenaz! Car Yvan Arpa, outre des pattes d’araignées arrachées à la cruauté de leur sort, utilise des ailes de papillons pour le fantastique rendu de certains de ses cadrans de montres.
Il faut reconnaître que c’est soyeux, lumineux, coloré, unique… La question est de savoir comment la matière première est recueillie. Leur découpe-t-il les ailes en plein vol ou attend-il avant de les dépecer que ces volatiles aient rendu leur dernier souffle éphémère? Quant à certains de ses bracelets cuirs, Ils sont en peau de de crapaud-buffle, un matériau qu’il affectionne, noble autant que du croco et fort agréable au toucher. Bon, avec cette bestiole si laide en apparence, rien à craindre de la SPA qui, en règle générale, exception faite de quelques grenouilles nomades, ne défend que les causes d’animaux beaux et politiquement porteurs. Enfin, il y a cette intrigante affaire d’Euros découpés en stries qui tapissent le fond des montres de sa collection Bye Bye Euro et qui ressortent chaque fois que le taux de change éternue. Comment se les est-il procurés?
6. Des balles perdues
A l’heure où les conflits se bousculent au portillon de l’actualité mondiale, se nourrissant d’horreurs et d’armes que certaines nations continuent de produire et de vendre, voici qu’Yvan Arpa conjugue sous tous les angles de tir, ses collections Son of a Gun ou Roulette Russe.
Aurait-il changé de cœur de cible? Aurait-il troqué sa non-violence revendiquée contre un sursaut belliqueux? Certains l’accusent, pour sûr des mauvaises langues, de faire l’apologie des armes à feu. Moi, je vois dans ce détournement récurrent de balles destinées à de vils usages, un acte héroïque et pacifique. Au pays de la Croix Rouge et du Croissant Rouge, ne devrait-on pas se réjouir du fait que certains projectiles originellement mal intentionnés soient systématiquement emprisonnés dans un espace temps? Il fallait en avoir, des douilles… Et puis l’une de ses nouveautés Baselworld 2015, la Roulette Russe en version chocolat, a le mérite de vous remplacer tous les anti-dépresseurs.
7. Rédemption esthétique, muséale
Soudain, la rédemption. Celle qui, en pièces uniques, se distille au gré de cadrans d’art peints à la main par son épouse, l’artiste Dominique Arpa-Cirpka. Celle qui troque le côté trash de ses boîtes brûlées contre une montre simple, belle, à la limite classique tant elle est ronde et épurée, tant elle est ouverte aux sertissages, aux complications séculaires, aux mouvements squelettés et aux insertions d’Artyor, son alliage perso à forte densité d’or pur.
Celle qui emprunte au manche de guitare, lieu suprême où les harmonies se réconcilient, sa puissante esthétique. Ici encore, dans cette collection Guitar Son of Sound, il y a la naissance d’un modèle que le temps imposera peut-être plus encore que le nom de sa marque. D’autant qu’il vient d’entrer au Musée d’horlogerie de la Vallée de Joux, au détour d’une exposition consacrée au design.