ressence type 2 e crown concept 5

Trois aventures horlogères qui réinventent l’affichage

S’ils sont entrés en horlogerie par la porte du design industriel et de la mécanique, ces trois personnalités, malgré leurs parcours différents, ont tous apporté une vision particulière en matière d’affichage du temps.

Par Joël A. Grandjean
Contributeur

MeisterSinger, le parti-pris de l’aiguille solitaire

Le piège visuel, avec les montres MeisterSinger, c’est qu’elles ont toutes au premier regard le look de montres traditionnelles. Elles sont rondes et les codes auxquels elles appartiennent sont ceux d’un classicisme assumé, jamais prisonnier pour autant de pulsions contemporaines. Ce n’est que lorsqu’on prend le temps d’entrer visuellement dans le cœur de l’objet, simplement peut-être parce qu’on désire connaître l’heure, que l’on se rend compte qu’une seule aiguille s’apprête à vous la donner. Mais où est donc passé la deuxième aiguille, voire la troisième? Autrement dit, il s’agit d’une heure approximative puisque la division traditionnelle d’un cadran de montre en 12 unités a été maintenue et qu’il faut lire entre les lignes si l’on veut avoir une idée des minutes. Finalement, l’amateur de belle horlogerie se laisse prendre au jeu, d’autant que, comme dans tout exercice qui s’impose un cadre rigide et des règles strictes, il existe quand même un large spectre de conjugaisons possibles.
 

Fondée en Allemagne en 2001 par le designer Manfred Brassler, dont le bureau était plutôt réputé pour ses designs industriels, cette marque recevait dès son baptême un nom volontairement très germanique. Un nom musical qui transforme l’aiguille unique en une sorte de baguette de chef d’orchestre. Une marque dont l’assise technique est principalement composée de calibres en provenance de Suisse. En 2018 au salon Baselworld, la Lunascope, une montre astronomique à phase de lune habitée par le calibre ETA 2836 réclamant une correction après 128 ans de marche, imposait la vigueur de ses différentes teintes de bleus horlogers à l'actualité ambiante.
 

Ressence, la remise à l’heure sans couronne

«Graphiquement, le système amène l'heure en dehors de la montre» me confiait Benoît Mintiens, le fondateur de la marque Ressence, un nom qui incarne selon lui la «rennaissance de l'essentiel». Ce designer industriel basé en Belgique s'est mis en tête de regarder le produit horloger, la montre, d'une autre manière, du point de vue d'un utilisateur qui n'aurait pas forcément intégré dans son bagage sensoriel la dimension de l'aiguille seule porteuse d'indications. Il a alors voulu sortir du formatage, s'offrir une virée 'out of the box'. Et l'aventure, ponctuée d'une créativité disruptive et d'une foi à faire se déplacer les montagnes lui a plutôt bien réussi. Dans sa logique «le cadran devient le mécanisme», on peut alors parler de fusion réussie. D'une complication qui retrouve son essence, à savoir de simplifier la vie du porteur, de la lui faciliter.
 

Annoncée pour juin 2018 mais présentée en prototype au SIHH de janvier, la Ressence Type 2 e-Crown Concept décide de remplacer la couronne par une petite double-tape sur le verre de la montre, ce qui la remet en marche et surtout, la cale sur une heure juste qu'une application bluetooth adhoc aura prédéfinie. Il y a un zeste de provocation lorsque ce créateur sans barrière lance qu'après presque 200 ans, la couronne des montres s'apprête à disparaître. Il a beau avoir été génial dans l’approche fonctionnelle d’un affichage de l’heure inspiré par la magie tournante des vieux manèges d’antan, il n’est pas le premier à se lancer sur ce champ d'inventivité.
 

Déjà, l’épopée historique de la marque Ventura, pionnière parmi les pionnières, pouvait capter un signal radio-contrôlé pour se caler sur l’heure exacte, bien avant que nos iPhones franchissent le cap de la connexion continue. Plus récemment, l'Elégante de François-Paul Journe, qui d'ailleurs occupait un stand voisin pour la première fois au «Carré des Horlogers» du SIHH, dispose elle aussi de cette faculté de s'arrêter lorsqu'on la pose, puis de se remettre en phase avec la course du temps lorsqu'on la reprend en main. Quoiqu’il en soit, de plus en plus de vraies montres, grâce aux approches hybrides notamment, s'immiscent au monde des objets connectés en proie aux dommages irréversibles de l'obsolescence programmée... Et c’est tant mieux à l’heure où de plus en plus d'écoliers de nos pays occidentaux sont devenus incapables de lire l'heure à l'ancienne, c’est à dire sur un cadran normal ponctué d’index.
 

Nord Zeitmaschine, la micromécanique mouvante

Cette marque, Nord Zeitmaschine peut tout simplement vous faire perdre le nord tant ses modèles réinventent l'affichage et les fonctions. La toute première fois que j'ai été confronté à une Variocurve, le premier modèle de Daniel Nebel (dont les initiales se retrouvent dans le mot NorD), je n'ai pas tout de suite compris où cet ancien mécanicien converti à l'horlogerie de précision compliquée voulait m'embarquer. Il me fallait juste pouvoir, en accéléré et via une vidéo, observer la marche de ce garde-temps autant complexe que différent dans sa manière de calquer la cinétique de ses affichages sur la course elliptique du temps.
 

C'est alors que j'ai eu l'impression que cette aiguille centrale, dans sa façon de bouger, de tituber voire de vaciller, me propulsait dans l'atmosphère embrumée d'un petit matin parisien. Un de ces levers du jour où, au bas de la Butte Montmartre, j'aurais pu croiser une tour Eiffel avinée, avec pour fond sonore, les déclamations grandiloquentes d'un titi parisien embarqué dans la reprise improbable de "Ne Me Quitte Pas".
 

Etrange, l'œuvre persistante et courageuse de cet horloger constructeur qui semble avoir transformé les armatures horlogères de ses calibres en territoires industriels où se profilent des derricks et des esthétiques portuaires, se prolonge par-delà sa grisante Variocurve. Deux autres modèles distincts perpétuent cette approche disruptive, la Quickindicator servie en 4 versions de finitions et la récente Freesdial, une contrusction chronométrique riche de 14 roulements et d'une aiguille téléscopique.
 

Il y a dans cet art-là, les mêmes déviances que dans les objets d'une M.A.D Gallery, les mêmes signaux que dans une horlogerie à la Urwerk ou à la MB & F.
 

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