Formation et montre-école, les enjeux du génie horloger …
Il est une tradition séculaire: chaque horloger est le détenteur d’une pièce unique réalisée pendant son apprentissage. Chefs-d’œuvre de fin d’études, ces montres sont très recherchées des collectionneurs…
By William Lucas, Historian - Watchonista's Contributor
L’envolée de l’horlogerie suisse a remis sur un piédestal la montre mécanique. Dans l’euphorie de cette reprise, certaines traditions renaissent tant au niveau de la fabrication et de la décoration, qu’au niveau de la précision avec la recherche et le développement. La reprise des concours de chronométrie l’illustre, comme la tradition des montres-école, les héritières d’une longue tradition qui, à la Vallée de Joux, s’est perpétuée sans interruption depuis l’arrivée des premiers horlogers au XVIIIème siècle.
De la Vallée à Genève
Après l’abolition du régime des corporations, l’horlogerie se développe à la Vallée sur la base d’un apprentissage familial. Quelques horlogers renommés pour leur belle main, doublés d’aptitudes pédagogiques, s’occupent de la formation des jeunes horlogers. Ce savoir qui se transmet de père en fils n’empêche pas l’arrivée et l’intégration d’étrangers à la Vallée..
Au XIXème siècle, la Vallée de Joux est considérée comme un véritable réservoir de savoir-faire. Elle acquiert une honnête réputation qui s’exporte dans les régions voisines. Les horlogers combiers accueillent chez eux des apprentis genevois. On y enseigne le blanc, comme chez François-Victor LeCoultre dans la seconde moitié du XIXème siècle, les cadratures et les montres compliquées, dans les ateliers des maîtres du Brassus et du Sentier. La demande de formation des horlogers genevois est telle, que les maîtres horlogers combiers finissent par intégrer le corps professoral genevois pour enseigner les savoir-faire combiers directement à Genève. A partir de la fin du XIXème siècle, on trouve des enseignants combiers dans toutes les écoles d’horlogerie de l’arc jurassien.
L’école, vitrine d’excellence
L’exposition internationale de Paris en 1878 marque une prise de conscience pour les horlogers de la Vallée. La Révolution Industrielle est lancée. Déjà la région neuchâteloise commence sa mécanisation et inaugure une ère nouvelle. L’industrie horlogère est née. N’appartient qu’à la volonté des Combiers de prendre ce train en marche. Mais l’Etat de Vaud, dans sa vision ancienne de l’économie, donne la priorité à l’agriculture. C’est ainsi que le projet d’Ecole à la Vallée de Joux est retardé. Inaugurée en 1901, elle est la dernière-née des écoles d’horlogerie suisses.
Moteur essentiel de l’économie de la région, l’Ecole Technique de la Vallée de Joux a formé plusieurs générations d’horlogers.
Ces hommes ont servi leur industrie et contribué à faire de leur métier, un savoir-faire très recherché par les plus grandes marques. Telle une carte de visite ou un Curriculum Vitae, leur «montre-école» a souvent été le point de départ de leur aventure professionnelle. Parmi eux, quelques noms célèbres comme Albert Piguet, l’auteur du chronographe sélectionné par la NASA pour aller sur la lune, ou Philippe Dufour, considéré de nos jours comme l’un des meilleurs horlogers mondiaux. Partageant la passion de l’horlogerie, bien plus que les manufactures implantées dans la petite vallée, ces hommes sont les constituants vitaux de la culture horlogère de la Vallée de Joux.
Chaque montre-école est le couronnement de plusieurs années d’études et la marque de l’assimilation du savoir-faire horloger par les jeunes apprentis. D’une qualité de finition remarquable, les «montres-écoles» ne sont pas les seules réalisations des élèves. Ces derniers participent également à la fabrication d’outillages de précision ainsi que de modules d’apprentissage et de démonstration, identique à celui présenté à l’exposition nationale de Zurich en 1939 et qui a fini d’asseoir la réputation de la Vallée de Joux en matière de montres compliquées. Ces réalisations sont révélatrices du message de précision, de sophistication et de tradition, véhiculé unanimement par toute une industrie.
A la fin du XIXème siècle, une poignée de Combiers visionnaires, rassemblés en commission, avait mis un terme aux hésitations concernant la construction de l’Ecole. Leur rapport était quelque peu alarmant, leur constat sans appel: disparition graduelle des bons maîtres horlogers, trop de jeunes gens sans formation dans les usines, lacunes dans l’enseignement de l’horlogerie, perte du monopole de la fabrication de montres soignées et compliquées au profit d’autres entités… Finalement, leur analyse a prévalu pour construire l’avenir qui est aujourd’hui notre présent. Cependant, dans un monde en perpétuelle évolution, il semble que ce constat centenaire soit à nouveau à l’ordre du jour. A l’époque, la structuration de la formation, dont l’emblème était la «montre-école», sut rendre pérenne l’horlogerie d’hier. Quelles seront les solutions pour faire face aux enjeux du futur?
Ecole d’horlogerie, projet retardé: «L’Etat de Vaud, dans sa vision ancienne de l’économie, donne la priorité à l’agriculture.»