Tissot Astrolon 1971
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Tissot Astrolon, la révolution synthétique

En 1971, Tissot révolutionne l’horlogerie en présentant, bien avant la célèbre Swatch en 1983, l’Astrolon ou IDEA 2001, première montre mécanique au monde entièrement fabriquée en plastique, y compris le mouvement.

Par Rémy Solnon
Journaliste spécialisé

Pour replacer cette invention dans son contexte historique, c’est également en 1971 que naît un petit bout de plastique qui va révolutionner le monde et faciliter la vie quotidienne de millions de consommateurs: la carte bleue dotée d’une piste magnétique. John Lennon sort en Angleterre son deuxième album solo, intitulé Imagine. A l’époque, l’invention de la manufacture suisse Tissot est jugée futuriste. Son nom évoque le film de science-fiction 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, sorti trois ans auparavant. L’Astrolon ou IDEA 2001 est une des pièces les plus innovantes du 20e siècle et le résultat de vingt années de recherches. Elle inaugure des solutions techniques qui seront reprises avec succès par Swatch sur la System 51 en 2013.

Genèse, de la gestation à la réalisation

L’idée d’une montre en plastique naquit en 1952. A cette époque, bien entendu, il n’y a que des montres mécaniques. Tissot souhaite alors proposer une montre de qualité à petit prix.

Le cahier des charges défini par Edouard-Louis Tissot, CEO de la marque du Locle, est simple: réduire le nombre de composants d’une montre, rationaliser les processus de production en réduisant le nombre d’opérations d’assemblage et leurs coûts, simplifier le fonctionnement d’un mouvement en trouvant une solution au problème de lubrification. La manufacture va se doter d’un département d’études pour la conception et réalisation de pièces en plastique qui doit lui permettre d’assurer la fabrication complète d’une montre synthétique dans ses ateliers. Il fallut une vingtaine d’années de recherches aux ingénieurs de Tissot pour concevoir cette montre extraordinaire.

Astrolon caliber Astrolon 2250

L’Astrolon est donc entièrement fabriquée en plastique. Chaque composant est moulé par injection. L’assemblage est semi-automatique et ne nécessite aucune vis. Le boîtier monobloc de 38 x 45 mm est translucide et strié. Le cadran transparent offre une vue imprenable sur le mouvement. Il est réalisé en une seule pièce incluant les index et pourvu d’un réhaut sur lequel sont peints les chiffres romains ou arabes. La couronne est le seul élément métallique du boîtier water-resistant.

La montre emporte le (trop?) révolutionnaire calibre Astrolon 2250 ou SYTAL pour «SYstème Total AutoLubrification.»

C’est le premier mouvement mécanique en plastique au monde. Il est à remontage manuel et doté d’un échappement à ancre et surtout, il est auto-lubrifié. Il n’a donc pas besoin d’être huilé, ce qui élimine tous les problèmes d’usure inhérents aux mouvements classiques. Le nombre de composants a été réduit à 52 contre une centaine pour un mouvement mécanique suisse classique. Seules certaines pièces métalliques ont été conservées: le barillet, le balancier, le ressort et le spiral. La conception simple de ce mouvement a l’avantage de limiter son assemblage à seulement quinze opérations semi-automatisées et d’abaisser les coûts de production.

Le calibre Astrolon 2250 est un authentique mouvement de manufacture puisqu’il est entièrement fabriqué en interne par Tissot sur une ligne de montage spécifique. Il permet d’afficher heures, minutes et secondes centrales.

Une déclinaison sera également proposée avec l’affichage de la date (calibre 2270). Un système anti-chocs a été spécialement conçu sur la base de l’Incabloc. La manufacture affirmait à l’époque que la montre était aussi fiable et précise qu’un chronomètre. Toutes ces innovations feront l’objet de dépôts de brevets, dont un en 1956 pour une montre sans huile.

Tissot Astrolon - 1971 La Tissot Astrolon de 1971

Le plastique, c’est fantastique!

La conception en plastique de l’Astrolon offre de nombreux avantages. Elle facilite la vie de son porteur puisqu’elle ne nécessite aucun service grâce à son mouvement auto-lubrifié. Le fond de boite scellé empêche d’ailleurs toute réparation. Elle inaugure le concept de montre dit «jetable» qui sera repris douze ans plus tard – avec le succès que l’on sait – par la Swatch. La montre est légère et confortable au porter. Ses qualités anti-magnétiques et sa résistance aux chocs en sont même renforcés. Le cadran transparent met en valeur le mouvement que l’on peut voir fonctionner. L’Astrolon est plus facile et moins coûteuse à produire qu’une montre mécanique classique en acier. Elle est proposée à un tarif particulièrement bas et très attractif.

Trop en avance sur son temps…

Lancée en 1972, l’Astrolon devait révolutionner le secteur horloger grâce à son concept unique et innovateur.

Sa conception en plastique permettait même d’imaginer diverses déclinaisons colorées du boîtier (à l’image de ce qui fera le succès de la Swatch dans les années 1980-90), voire du cadran et du mouvement, bien dans l’air du temps post-1968. Grâce aux bénéfices espérés, Tissot pensait pouvoir financer l’étude et la production de montres à quartz, marché sur lequel elle voulait s’imposer face aux marques asiatiques.

Malheureusement, la montre fut un échec commercial. Pour plusieurs raisons. A commencer par un manque de communication de la part Tissot pour «vendre» le contenu innovant de cette pièce. Les distributeurs et la clientèle se montrent réticents face à une montre tout en plastique à l’aspect fragile et bas de gamme faisant penser à un jouet pour enfants. Ensuite, l’Astrolon arrive sur le marché en même temps que les montres à quartz qui, à tarif équivalent, sont plus perfectionnées, plus précises et plus solides avec leur boîtier en acier. Cette concurrence redoutable lui sera fatale, comme d’ailleurs à l’horlogerie suisse dans son ensemble. Tissot ne vendra que 15.000 pièces par an jusqu’en 1976 et devra même détruire un stock de 500.000 unités invendues.

Tissot Research 1972 Tissot Research 1972


Du flop à la rédemption

Malgré cet échec, l’Astrolon reste une pièce essentielle dans l’histoire de l’horlogerie mécanique. Incontestablement un modèle d’avant-garde, un concentré d’innovations, trop révolutionnaire pour son époque. L’Astrolon fait le lien entre la montre mécanique des années 1960 et la Swatch des années 1980. On peut d’ailleurs affirmer qu’elle a été le précurseur et l’inspiratrice de cette icône horlogère (dotée d’un mouvement à quartz) qui sauva l’horlogerie suisse.

En 2013, Swatch fait revivre le concept de montre mécanique en plastique à bas prix de l’Astrolon en lançant la System51. Les deux montres présentent de nombreux points communs, tels que le  boitier en plastique scellé, le calibre de conception simplifiée avec un petits nombre de composants (51 pour la Swatch, 52 pour la Tissot) ou encore le concept d’une montre dite «jetable» puisqu’elle n’est non réparable.

Aujourd’hui, il est difficile de trouver un beau modèle d’Astrolon en état de marche. Le prix peut varier entre 150 à 400 €. Un bel exemplaire a été adjugé à plus de 600 € lors d’une vente aux enchères par Antiquorum en octobre 2001.

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