Baselworld 2015

Retour de Baselworld 2015: calme tempête

Cette année, le microcosme horloger craignait que Baselworld soit le point paroxystique des tensions liées à l’émergence des smartwatches. Leur arrivée programmée n’a pas empêché tout le monde de communier à la même passion.

Par Vincent Daveau
Contributeur

Tout de même, de l’avis de tous, la fréquentation des premiers jours, autrement dit ceux réservés aux professionnels, a semblé plus diffuse. Evidemment, cela n’était qu’une sensation et il est possible que les spécialistes aient enfin pris la mesure de cette grand’messe et organisé leurs rendez-vous afin d’optimiser leurs journées. Assurément, cela a été le cas car, de l’avis des marques consultées, leur planning n’a jamais été aussi fourni. Il est vrai que les acteurs ne sont plus seulement ceux institutionnels et il faut aujourd’hui compter sur de nouveaux médias qui se battent pour offrir leurs services à des maisons prêtes à tout pour augmenter leurs parts de marché.

TUDOR Pelagos 2015 TUDOR Pelagos 2015 en bleu

Quoi qu’il en soit, la sensation est symptomatique d’un état d’esprit et à écouter les uns et les autres. Il manquait un peu les Chinois que l’on avait pris l’habitude de voir se déplacer en grappes, et sans doute les détaillants (-3% par rapport à l’an passé) qui ont tout de même fait le choix de se présenter plutôt après le week-end, autrement dit après le départ de la plupart des médias, venus en force cette année (4’300 représentants de la presse, soit une augmentation de 7,5%). Quoi qu’il en soit, cette folle semaine horlogère a attiré 150’000 visiteurs au total, venant de plus de 100 pays, soit une fréquentation semblant être sensiblement la même que l’an passé, mais organisée spatialement de façon différente.

Entre futurisme et tradition

Mais ce n’est pas tellement la fréquentation qui a frappé les esprits, mais l’empressement des nouveaux entrants dans le métier à s’interroger sur l’avenir des montres connectées auprès des horlogers traditionnels. Comme le disait Walter Von Känel, le Directeur Général de Longines: «tous me posent la question de savoir si nous allons faire des montres connectées sans même se poser la question de savoir si la question est pertinente pour une marque comme Longines et sans même se pencher sur l’offre qui est la nôtre

Breitling B55 La Breitling B55, une nouveauté connectée

On retiendra donc que l’effet d’entraînement né de l’annonce par Apple du prochain lancement de sa montre connectée, a incité les journalistes et les blogueurs à s’interroger enfin sur les effets que pouvait engendrer cette nouvelle technologie sur le marché traditionnel. Mais l’idée n’est pas de savoir qui va faire des montres mais de comprendre quel impact ces instruments vont avoir sur le comportement d’achat des consommateurs et, par incidence, sur les marques institutionnelles. Pour faire bref, il y aura prochainement autant de type de montres connectées qu’il y a finalement de marques et chacune entend offrir aux nouveaux Geeks, un mode de fonctionnement ou des fonctionnalités spécifiques.

Il semblerait que les horlogers traditionnels aient fait le choix, dans leur majorité, des affichages analogiques (aiguilles) et fait des téléphones des balises de réception pour les informations émanant des montres (les téléphonistes font majoritairement le choix inverse en faisant des montres, des relais des téléphones). Ce choix est à considérer comme une réponse circonstanciée face à l’arrivée des instruments à écrans digitaux conçus par les électroniciens comme des outils multifonctionnels dépendant de «l’outil source» qu’est le téléphone. A chacun sa vision de l’horlogerie!

Frederique Constant Horological Smartwatch Frederique Constant Horological Smartwatch

L’univers du vide

Une certitude: si les montres connectées ont fait le buzz sur ce salon, elles brillaient avant tout par leur sublime absence. Seules fonctionnaient les versions proposées par Casio et celles de Frédérique Constant, Alpina et Mondaine, dont les fonctionnalités basées sur l’équilibre du sommeil n’ont pas suscité l’enthousiasme que leurs créateurs auraient pu espérer. Non!  Tous les professionnels en quête de sensationnel espéraient mieux et sont partis à la recherche de l’instrument miracle qui allaient faire la preuve qu’une nouvelle révolution allait avoir lieu. Déterminisme, disiez-vous? Bref, tous ont annoncé travailler depuis trois bonnes années pour avoir l’outil quasi messianique qui allait permettre à l’horlogerie suisse de rivaliser avec les surpuissantes maisons comme Samsung ou Apple. Mais il semblerait que les marques institutionnelles aient tardé car personne durant Baselworld n’a rien vu de bien concret et rien de fonctionnel qui puisse arriver sur le marché pour l’été…

Alors oui, si les horlogers ont bien réagi à l’arrivée de cette nouvelle technologie (TAG Heuer, Bulgari, Tissot, Swatch, Festina, etc), ils ont une fois encore raté le coche, pensant bien benoîtement que rien ne pouvait mettre en cause une institution aussi puissante que la leur. Bref, les entités horlogères vont donc faire partie de l’aventure des montres connectées comme elles ont fait partie de celle du quartz, mais comme toujours avec un temps de retard qui pourrait, à terme, se révéler une fois encore préjudiciable. L’avenir le dira.

TUDOR North Flag 2015 La TUDOR North Flag intègre un calibre de manufacture

A l’heure des couleurs de la tradition

Peut-être fallait-il voir dans l’attachement des marques institutionnelles à proposer des instruments de manufacture, un acte de dissidence face à la montée progressive mais bien réelle d’une nouvelle technologie capable de fracturer la perception du temps que les horlogers ont mis près de quarante ans à cimenter. Toutefois, ce sursaut qui aurait dû intervenir il y a maintenant dix ans, séduira les amateurs de belle mécanique désireux d’échapper au dictat des calibres génériques (ETA 2824, ETA 2892, ETA 7750 et leurs clones de chez Sellita). Chez Tudor, le calibre de manufacture MT5621 intégré à la North Flag et à la Pelagos est un vrai succès, et sera assurément considéré comme une référence dans son secteur d’activité. Pareillement Oris a mis en production en série le fameux calibre manuel Oris 111. Ces cœurs accessibles viennent rejoindre la petite famille des mouvements de nouvelle génération que les adeptes acquièrent pour sortir de l’anonymat horloger.

Seulement il en faut plus pour échapper à la routine. Et cette année, les propositions innovantes n’ont pas frappé les esprits. L’offre a franchement manqué d’envergure et les marques ont assuré leurs arrières en proposant des produits commerciaux à des prix stabilisés. Ainsi, les montres vintage font toujours l’actualité pour attirer l’attention des occidentaux, les chronographes sont toujours autant présents dans les collections et les montres à fonctions GMT font une vraie percée, prouvant à leur façon que les cadres se déplacent de plus en plus à travers le monde pour élargir le champs d’action de leurs sociétés.

Omega Globemaster Omega Globemaster, une montre vintage d'actualité

Que restait-il pour attirer l’attention?

Pour parvenir à toucher un public difficile, beaucoup ont encore travaillé les différentes déclinaisons du bleu pour les cadrans, les bracelets et même parfois les boîtiers. Le gris a également fait une nouvelle percée pour élargir l’offre traditionnelle.  Et le bracelet, élément sans doute le plus immobile du métier, évolue un peu et connaît une petite révolution puisqu’il est de plus en plus souvent proposé en caoutchouc ou en élastomère composé. Ainsi, pour la première fois, Rolex présente son interprétation de ce type de lien (Oysterflex) pour la fameuse Yacht-Master. Dior a également sélectionné des bracelets associant le cuir au caoutchouc comme le fait Hublot depuis longtemps. Evidemment, cette maison n’est pas la seule et le choix d’associer les deux matériaux permet de renforcer la durabilité du cuir, mais également du caoutchouc (protection de surface contre les UV) avec le défaut toutefois d’entraîner un cintrage du caoutchouc suite à la rétractation du cuir au fil du temps.

Ce qu’on retiendra de Baselworld 2015

C’est qu’il a été un salon de transition au cœur d’une crise mondiale. Comme le disent certains spécialistes, le marché horloger, a force d’avoir été poussé par les grands groupes financiers à toujours proposer plus, arrive à saturation et il devient difficile aux constructeurs de proposer des innovations susceptibles d’attirer l’attention de professionnels blasés par des années de créations débridées.

Rolex Oyster Perpetual Yacht-Master Rolex Oyster Perpetual Yacht-Master

Face aux inventions délirantes ultra-médiatisées, aux tourbillons multiaxes, aux mécaniques folles, les chronographes simples, les GMT et les calibres de manufacture sans véritables complications proposés cette année, semblent des mécaniques d’une rare banalité. Pourtant, ces produits forment l’essentiel du marché horloger et sont ceux qui lui permettent d’exister. Evidemment des montres originales comme la nouvelle folie de HYT, la énième itération de MB&F ou l’étonnant développement mécanique proposé par Jean-Marc Wiederrecht pour Fabergé feront toujours rêver les passionnés. Mais cela suffira-t-il à entretenir la flamme qu’il faudra voir briller dans les yeux des amateurs pour les empêcher de s’emballer pour les offres électroniques de structures que rien n’arrêtera dans leur conquête d’un marché susceptible de se révéler juteux, s’ils parviennent à entraîner les consommateurs à dépenser autant pour leurs montres qu’ils le font déjà pour leurs téléphones…

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