Louis Moinet Compteur de Tierces: Bernard Vuilliomenet, historien
Entre les mains de ce passionné d’histoire incarnant la libre pensée dans tout ce qu’elle a d’esprit curieux et d’absence de langue de bois, des fragments d’histoire horlogère ont circulé. Dont la découverte de Louis Moinet…
Bernard Vuillomenet naît en août 1946 à Peseux. Au sortir de sa formation de technicien horloger, il sera actif auprès de sociétés telles que Bulova Watch, Laboratoire d’Ebauches SA, Jaeger LeCoultre, Montres EBEL, Les Montres Breguet ou Vacheron Constantin. Actuellement historien de l’horlogerie indépendant, il fut Président de la Fondation suisse pour les métiers d’art (FSMA), ancien Vice-président de l’Association suisse pour la recherche horlogère (ASRH). Il reste impliqué dans la galaxie horlogère d’obédience scientifique et passionnée, via notamment certains memberships instructifs: SSC, Société suisse de Chronométrie, Chronométrophilia, l’association suisse de la Mesure du Temps, ou l’AFAHA, l’association française des amateurs d’horlogerie ancienne. Questions directes, à propos d’une pièce historique qu’il a eu l’occasion d’observer de près.
Bernard Vuilliomenet montre Louis Moinet Compteur de Tierce à la presse
Quelles sont les pièces mythiques que vous avez étudiées, manipulées, ou réparées…?
Il serait trop long d’en faire une énumération… Probablement, avec Oswaldo Patrizzi, je suis de ceux qui en ont eu le plus grand nombre en main. Des objets de l’histoire, des pièces incarnant les techniques de l’horlogerie, très souvent des garde-temps ayant de plus appartenu à des personnages célèbres de leur temps.
Quel est le sentiment que l’on ressent en général lorsqu’on est en présence de pièces du passé qui témoingnent de l’innovation d’alors et de l’inventivité des anciens?
Lorsque vous avez entre vos mains un objet historique, lorsque vous observez la lente évolution des techniques depuis l’invention par Christian Hygens de l’échappement balancier spiral – invention en 1694 du diviseur de fréquence mécanique – c’est une très, très grande émotion… mêlée d’une grande modestie de pouvoir l’observer sous toutes ses coutures. Tenter de comprendre les choix de faire cela comme cela, plutôt que d’une autre façon, tout en se remémorant l’outillage dont disposaient les anciens pour fabriquer de telles pièces, cela rend l’objet encore plus exceptionnel et singulier. Les mots pour décrire une telle rencontre avec l’Histoire, n’existent tout simplement pas.
Louis Moinet Compteur de Tierces
L’histoire horlogère peut-elle s’écrire avec un H majuscule ou est-elle l’arme fatale du marketing?
C’est du cinquante, cinquante. Une partie mérite la majuscule, pour d’autres, c’est un combat de tous les instants, pour s’inventer des histoires voir des légendes, pour exister et justifier ce qu’ils font. Cela n’en est que plus pathétique…! Surtout lorsque ce ne sont pas les plus petits des acteurs de ce jeu qui en usent…
Arrive-t-il souvent qu’une découverte vienne détrôner ce qui semblait acquis sur notre connaissance du passé?
Oui bien sûr, il arrive très souvent que des découvertes nouvelles viennent détrôner des connaissances qui semblaient acquises. A l’analyse, on s’aperçoit souvent que c’est par paresse que ces événements font leur apparition. Trop souvent certains se sont contentés de recopier ce que d’autres avaient péremptoirement affirmé. Malheureusement, les exemples sont nombreux.
Louis Moinet Compteur de Tierces
La découverte du Compteur de Tierces remet en question l’antériorité de l’invention du chronographe. A tel point que le mot chronographe lui-même est apparu après… Quel dilemme!
Oui et alors? Même ignorés, les faits restent des faits, il faut donc toujours garder à l’esprit: «sommes-nous prêts à modifier notre vision du passé»? Pour moi, c’est oui!
La question de sa véracité se pose-t-elle? Qu’est-ce qui permet d’affirmer aujourd’hui que la découverte du Compteur de Tierces de Louis Moinet n’est pas une opération montée de toute pièce?
Le Compteur de Tierces de Louis Moinet est attesté par lui-même dans son Traité d’Horlogerie de 1848 ainsi que dans une correspondance de 1823 avec son avocat. Dans ces écrits, il parle bien des années 1815-1816. Les poinçons (4) dans la cuvette de la boîte en argent, mais aussi les dessins qui se trouvent dans les planches de son Traité, confirment, tout comme six experts internationaux, l’authenticité de cette pièce. De plus, comme jamais dans l’Histoire de l’horlogerie, des analyses (secrètes, ADN des métaux) ne permettent aucun doute sur son authenticité, son originalité ainsi que la datation de sa création.
Louis Moinet était un génie horloger
Franchement, vous qui avez eu la pièce entre vos mains, avez-vous eu un doute à un moment donné? Il semble qu’elle ait été dans un excellent état de conservation?
Oui, à objet exceptionnel, respect exceptionnel de la part des deux propriétaires qui l’ont possédé. Conséquence pour nous au 21ème siècle: un objet dans un état de fonctionnement et de conservation exceptionnel.
Oui, c’est exceptionnel, et c’est le mot magique qui me vient à l’esprit pour qualifier ce degré d’exception.
Quels sont, point par point, les mécanismes techniques inédits inventés par Louis Moinet dans ce Compteur de Tierces. Quels sont les références et les dates qui ont été bousculées par cette découverte?
(1) Haute fréquence; 216'000 a/h, soit 6 a/s, 100 ans d’avance
(2) 60ème de la seconde, affichage sur 360 ° d’angle, 85 ans d’avance
(3) Start de la mesure par un poussoir au pendant de la boîte, 60 ans d’avance.
(4) Remise à zéro mécanique de la tierce par un second poussoir, 80 ans d’avance.
5) Disposition des sous compteurs, secondes, minutes, heures, 75 ans d’avance.
6) Indicateur de réserve de marche au dos de la montre, 50 ans d’avance.
(7) Balancier «foliot» avec masselottes, échappement tuile de rubis, unique.
Plus encore, la disposition des sous compteurs atteignait déjà la configuration «moderne» des chronographes du début du 20ème siècle, soit un siècle avant les créations du 20ème. Si ça ce n’est pas de l’avant-gardisme, c’est quoi…?
Attention, l’ensemble de la «planète» historique horlogère n’est pas nécessairement en accord avec les dates que je mentionne ci-dessus puisqu’il demeure une incertitude de l’ordre de +/- 5 ans.
Louis Moinet Compteur de Tierces, first chronograph ever
A propos de la nécessité pour Louis Moinet de concevoir un tel instrument de mesure, quels ont pu être ses besoins, ses motivations?
Uniquement pour ses besoins personnels et ses recherches sur l’astronomie. Il s’en explique dans ses correspondances et dans son traité de 1848: vitesse de déplacements des astres, répétitivité des phénomènes astronomiques… etc.
En manipulant cette pièce rare, avez-vous eu envie d’en savoir plus sur la vie de Louis Moinet? Que manquait-il à ce brillant esprit pour être aussi connu que Bréguet aujourd’hui?
Je connaissais une partie de la vie de Louis Moinet, et j’était déjà au courant de l’existence de cet instrument, depuis 1991, grâce à un ancien Directeur du CNAM de Paris.
Se peut-il qu’on découvre une autre invention de Louis Moinet ou d’un autre horloger passé qui repousse encore ce que l’on croit savoir, dans des proportions identiques?
Oui, rien n’est impossible..! Il est encore possible d’être surpris par une nouvelle découverte. Par exemple, il paraissait inconcevable que les «ingénieurs Grecs» aient pu réaliser des roues dentées. Pourtant l’Anticythère possède bien de nombreuses roues dentées… Qui les a taillées, avec quel type d’outillage?... Nul ne peut le dire et pourtant cela existe!
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