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Baselworld 2015: L'horlogerie qui redevient industrielle vire à l'habillage

Aurions-nous définitivement fait le tour des complications horlogères? Hormis quelques interférences telles que l'arrivée des smartwatches ou l'état du franc suisse, l'horlogerie est entrée dans l'ère de l'habillage…

Par Joel Grandjean
Rédacteur en Chef

En verbiage horloger, l'habillage, c'est ce qui concerne principalement l'esthétique d'une montre, à l’intérieur, du côté de son calibre de plus en plus visible, comme à l’extérieur, et pas seulement sur son cadran.

Kerbedanz Celtic Dog La Kerbedanz Celtic Dog, horlogerie haut de gamme de niche

Course aux Métiers d’art, trop-plein de grandes complications

Dans ce périmètre qu'une certaine horlogerie de niche et haut de gamme tente de s'approprier en lui offrant la coiffe fourre-tout de métiers d'art, figurent aussi des savoir-faire purement horlogers: polissages, gravures, squeletages, guillochages, ébavurages, anglage, émaillages... Aussi? Oui, car il faut bien reconnaître que les marques, dans leur course frénétique à l'exploitation de ce nouveau concept, n’hésitent pas à faire leur marché en métiers d’art en dehors des helvètes prairies: elles dégotent ici un maître du pays du soleil levant, seul rescapé en exercice d'un art noble en voie de disparition, là une obscure fabrique de France, d'Italie ou de quelque contrée non européenne plus éloignée, disposant d'un procédé unique, si possible à valeur ancestrale ajoutée ou provenant d'un matériau que l'horlogerie, dans sa généreuse bonté, s'apprête à réhabiliter ou à anoblir.

Armin Strom Skeleton Pure Air Armin Strom Skeleton Pure Air

Cette course aux artisanats perpétués se déroule d’autant plus sans encombre qu’elle survient à un moment où le collectionneur et les médias spécialisés jouent les blasés. En effet, il n'est pas une marque qui ne se soit conjuguée aux temps bénis de la complication horlogère. Bientôt toutes auront leur tourbillon, leur répétition minute ou leur quantième perpétuel. Ces complications-là, on les a déclinées sous tous les angles, leur offrant ici des ponts visibles, là des marteaux verticaux. On les a interprétées sous tous les axes et gyro-axes, on leur a adjoint des doubles, des triples voire des quadruples. On leur a offert au passage, vanités des vanités, une place sur le podium de l’extrême platitude ou sur celui du maximum de décibels.

Exceptions toujours excitantes

Donc en 2015, la sortie d'un énième tourbillon ne ferait plus couler l'encre médiatique escomptée. C'est devenu presque banal, quand bien même la maîtrise d'un tel mécanisme devrait continuer à nous pousser à l'extase, à nous arracher des oh et des ah admiratifs! De temps à autre, un concepteur nous entraîne encore sur sa très personnelle manière de refaire, en mode unique et inédit, ce que les anciens parvenaient à réaliser, avec dix fois moins de matériaux nouveaux et de précision de machines. Qu'ils aient été rachetés au fil de verticalisations ou qu'ils continuent de sévir en indépendants, ces concepteurs continuent d’avoir l'oreille des collectionneurs du monde. On parvient à les localiser, qu'ils soient rattachés à l'AHCI, véritable vivier de talents avérés et prometteurs, ou à quelque marque du luxe en quête d'une légitimité horlogère. Ils continuent de saupoudrer notre actualité horlogère de poudre magique et inventive.

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Certes, côté complications, il reste encore des voies à explorer. Celle des astres notamment, d'autant que la dimension intersidérale est en lien direct avec le temporel. Il reste la voie de la poésie complicationnelle qui réinvente la tradition soeur de l'horlogerie, originaire des mêmes terreaux montagneux, les arts des automatiers et de leurs animations originales. Il reste enfin les voies disruptives qu'invente sans cesse une horlogerie dite nouvelle, à grands renforts de transmissions par chaînes, de dispositions en ligne, d'improbables manières de réapprendre à lire l'heure ou d’inimaginables détournement de matériaux.

Habillage horloger, les promesses

Avant d’arriver à Baselworld, pour la presque trentième fois, j’avais donc en tête cet apriori tenace hérité de mon passage au SIHH en janvier. J’avoue que, malgré de sincères efforts pour m’en débarasser, j’en suis désormais convaincu: nous sommes bien entrés dans l’ère de l’habillage. Le plus drôle, c’est que ça ne me désole pas. D’abord parce que j’entrevois déjà les limites de cette nouvelle course aux métiers rares à laquelle on aurait tort de ne pas participer. Une compétition anachronique face à laquelle je resterai toujours capable d’émerveillement quant à l’ingéniosité et à l’insolite de certaines démarches. Il y reste encore à faire, c’est certain.

Jaquet Droz Lady 8 flower Jaquet Droz Lady 8 flower

Ensuite, parce que cette ère de l’habillage qui anoblit d’autres métiers horlogers que ceux qui passèrent de petites mains à doigts d’or, coïncide inévitablement avec la résurgence des complications dites simples (sacré raccourci de langage tout de même!) Ces grandes dates, ces décentrages d’aiguilles de petites secondes, ces ingénieuses dispositions chronographiques, ces lunettes tournantes ou ces fermoirs de bracelet aux systèmes de sécurité améliorés, ces indicateurs de réserve de marche en ligne ou rétrogrades…

Rebellion T-1000 Gotham Rebellion T-1000 Gotham

Enfin, un autre avantage de cette ère nouvelle, c’est qu’elle autorise les trésors d’ingéniosité micromécanique à changer de camp. Ils ne seront plus seulement les chasses gardées des faiseurs de complications, ils alimenteront également l’industrialisation du secteur. Car, pour un horloger talentueux, il y a autant de génie et de bonheur à tutoyer à sa manière une complication-mère ou à rendre fonctionnelle une talking piece, qu’à trouver de nouveaux procédés d’industrialisation: la quête d’efficience dans la réalisation de volumes est un défi tout autant noble que la production de pièces uniques.

Louis Moinet Memoris Chronograph Louis Moinet Memoris Chronograph

Post-scriptum smartwatches & Co

En 2013 à Bâle, à l’heure de la fin des travaux de Baselworld, on parlait nouveaux stands au lieu de parler montres. A Bâle en 2015, je savais qu’on causerait inévitablement smartwatches. Dans ce domaine, malgré les magistraux sursauts d’inventivité qui démontrent que les tiroirs horlogers regorgent d’intelligence, il semble que la presse généraliste, titillée par des alarmistes auto-autorisés, aimerait que cette horlogerie suisse, si arrogante dans ses performances et parfois dans ses manières, n’aie rien vu venir, qu’elle tombe enfin de haut. Je n’avais pas envie que ces interférences, auxquelles s’ajoute la problématique d’un franc suisse attaqué, occultent le véritable tournant du secteur, son entrée dans l’ère de l’habillage et de l’excellence industrielle…

Image de mise en avant: avec l’aimable autorisation de Baselworld

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