Alain, Ollivier et Andrew: leurs montres parlent pour eux
Peu enclins à se montrer à visage découvert, les collectionneurs de montres, par leur addiction, font vivre autant le circuit du déjà porté que la trajectoire de certaines marques horlogères de niches. Portraits de trois d’entre eux.
Par Joel Grandjean
Rédacteur en Chef
Le virus horloger, lorsqu’on l’attrape, se mue en affection. La langue française est taquine: jouant sur deux tableaux, elle use du même mot pour désigner tantôt la maladie tantôt l’affectif. Entre le novice et le connaisseur patenté, la passion partagée appelle à la communion. Du plus atteint au simplement horlopositif, ils parleront ensemble de leurs maux communs et des complications qui les guettent: poussées de fièvre acheteuse, syndrômes post traumatiques quand un objet leur échappe, yeux irrigués de désir… Aucun vaccin n’a encore été découvert. Quant au facteur de transmission, il se niche peut-être dans ces lignes.
Ollivier Broto, ingénieur, journaliste et… collectionneur
Friand de technicité, ce rationnel s’intéresse très tôt aux montres mécaniques, entre autres dérives collectionnites, les cigares ou les instruments d’écriture...
De l’intérieur, il suit à Genève depuis une vingtaine d’années, les ventes aux enchères des trois grands acteurs du marché: Antiquorum, Sotheby’s et Christie’s, devenue sous l’ère du commissaire priseur Aurel Bacs, le numéro un mondial. Sous les incitations du harangueur, il vibre aux montées d’adrénaline, au suspense, aux vertiges et à la folie. Comme tout habitué, il observe les autres renchérisseurs dont il connaît les travers, les faiblesses et l’ego qui pousse aux emportements... Un concentré de nature humaine zesté de perte de contrôle au vu des montants engagés. Savoir doser, malgré l’excitation du moment... Comme au poker, c’est un jeu où le bluff et la psychologie des joueurs font la différence.
Ollivier Broto, qui vécut un temps de la vente via internet de montres de collection, détint même un record: la Patek Philippe la plus chère vendue sur la Toile. Du nombre et du nom des modèles qu’il possède, il ne dira rien. Sauf qu’à son poignet, fréquemment, s’installe une Panerai Bronzo série limitée, commandée directement au boss, lors d’une mission journalistisque en Sardaigne. Il l’attendra plus d’une année avant de l’acquérir. Il met un point d’honneur à la laisser se couvrir de ce vert si caractéristique de l’oxydation du bronze…
Alain Mouawad, distributeur, connaisseur, fabriquant ..
Membre de la quatrième génération de la famille, propulsé gardien de la Division horlogère, ce passionné n’est pas uniquement un acheteur compulsif, capable de déceler les valeurs de demain, comme lorsqu’il acquiert les toutes premières Richard Mille. Il a aussi, au travers de Robergé et plus récemment de sa propre marque Blacksand, inventé et produit, histoire de matérialiser les avis qu’il n’a cessé de dispenser à ceux qui lui vendaient leurs chef-d’œuvres.
De véritables prescriptions d’utilisateur. Son envie de collectionner lui prend vers l’âge de 18 à 19 ans. «J’ai grandi dans ce monde si particulier de la joaillerie et de l’horlogerie» glisse-t-il comme pour s’excuser de cet appétit acquisiteur. «Une bonne maladie, dit-il, avec comme seule prescription la passion. Il faut que ce soit beau, simple et bien fini» indique-t-il tout en précisant que sa démarche n’a rien du placement même si «certaines pièces en ma possession depuis des années ont pris de la valeur.»
Réservé, il ne montre pas ses trouvailles, même s’il les porte régulièrement. Sans thématique précise, ce qui rend sa collection hétéroclyte, il continue d’écouter ses coups de cœur - «ma passion est réelle» - et avoue porter la même affection à «ma Richard Mille qu’à ma montre Réveil du Star de Breguet ou encore à ma Patek Philippe 970G.»
Andrew Luff, l'orange et la personnalisation
Enfant, il vit le phénomène des Swatch. «Vers 20 ans, je possédais déjà une bonne quantité de montres, des Cartier, des Breitling, des montres de plongées et d’autres, pas terribles du tout quand j’y repense» confesse-t-il.
Momentanément installé à Genève, ce qu’il considère comme une «obsession», sa collectionnite, se voit alimentée par l’arrivée de la Big Bang de Hublot.
Un tournant. Il commande sa Black Magic, 44 mm de diamètre! Ses motivations aujourd’hui? «Je me fie à deux critères simples: les personnes à qui j’achète la montre et ma toute première impression quand je la porte pour la première fois.» Citoyen du monde, il ne rate aucune Foire de Bâle eta évolué: «Au début, j’achetais tout ce que j’aimais, j’ai découvert que je pouvais perdre le contrôle, j’ai acheté des modèles de sociétés sans âme. Maintenant, j’essaie d’acheter seulement des montres auxquelles je peux associer un bon souvenir: un déjeuner, une sorée en compagnie d’un horlogerie, un modèle liée à une événement.» S’y ajoute une thématique originale, la couleur orange. «Depuis quelques années, j’ai décidé de collectionner des pièces uniques qui ont la couleur orange quelque part dans leur design.» A bon entendeur…
