Manufacture Royale, les recettes de la profitabilité
C’est une aventure hors du commun de nos jours. Voici une famille qui rachète une marque d’horlogerie, Manufacture Royale, et, en utilisant son outil de production, se paie le luxe de la rendre profitable dès le premier exercice. Projecteur.
En tant qu’observateur privilégié du monde de l’horlogerie depuis bientôt un demi-siècle, j’ai appliqué la parole de Beaumarchais qui dit que «sans le droit de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur». Fort de la justesse de la pensée du prestigieux écrivain du siècle des lumières, je ne me suis pas privé de blâmer, même quand cela ne plaisait pas. Aujourd’hui, au contraire, je vais décerner des éloges flatteurs à un team familial de quatre excellents professionnels. A l’intention de ceux qui connaissent ma relation d’amitié avec Gérard Gouten, je ne le fais pas par amitié mais par admiration pour le travail réalisé de main de maître. Et comme on n’est jamais intelligent tout seul, ils se sont mis à quatre pour forger ce succès fulgurant.
Alexis Gouten, Marc Guten & David Gouten
J’ai donc demandé à Marc Guten d’expliquer la recette de la profitabilité:
«Je crois que la base de tout c’est de réunir les différents talents, caractères et différences. Ensuite quand on achète une marque d’horlogerie, il faut arrêter son choix sur une maison dans laquelle on se reconnait. Elle doit donc avoir une histoire. Dans le cas de Manufacture Royale, nous étions servis puisqu’elle possède un passé prestigieux. En effet, c’est le grand écrivain et philosophe Voltaire qui l’a créée en 1770. Elle a passé à travers le temps mais a connu aussi des périodes de silence. Cela dit, avec de telles références nous avions déjà un point d’accroche très intéressant.»
Et ensuite?
«Ensuite, c’est bien sûr le moteur. En pratiquant l’exercice d’acquisition d’une marque horlogère, on peut parfaitement s’approvisionner en mouvements auprès de divers fabricants. Mais nous ne voulions pas cela. Nous cherchions une société disposant de mouvements imaginés, créés et fabriqués «à la maison». Pour nous, il était indispensable qu’il existe, dans la marque, autre chose qu’une notion historique. Le troisième élément c’est notre savoir faire personnel et familial. Du fait de nos diverses expériences professionnelles, nous avons les réseaux de ventes tout comme les fournisseurs. De fait nous sommes des développeurs.»
Manufacture Royale 1770 Micromegas
Et ainsi vogue la galère?
«Oui c’est ainsi que cela doit se passer mais ce n’est pas si facile. Vous savez quoi que l’on fasse, nous n’éviterons jamais le risque entrepreneurial.
C’est pourquoi nous avons aussi acheté des produits en reprenant la société car, comme nous étions opérationnels dans le domaine de la vente, il fallait profiter de les écouler, de faire rentrer de l’argent car c’est bien le nerf de la guerre et, pour l’alimenter, il est indispensable et même vital de vendre des montres. Cela dit, pour être tout à fait franc, notre nom de famille a rassuré les gens. Parmi eux, il y en a beaucoup que nous connaissons depuis fort longtemps. Et quand on pousse la porte des grandes organisations de distributeurs ou des détaillants les plus prestigieux, qu’ils viennent à votre rencontre avec le sourire et la main tendue, on obtient une écoute optimale. Ce fut le cas pour Manufacture Royale car, depuis de longues années, nous avons tissé avec eux des relations plus étroites que les simples affaires. Voilà pour ceux que nous connaissons.»
Manufacture Royale 1770 Micromegas
Et les autres?
«Pour les autres, nous développons notre discours autour de quatre valeurs fortes qui sont l’héritage, les garde-temps, la famille, les fonctions et le positionnement prix de ceux-ci. C’est indispensable d’être juste en tenant ce discours car nous sommes revenus à l’âge de raison dans les questions du rapport qualité-prix et il ne faut jamais oublier que nous avons des clients qui sont assis en face de nous dans leur magasin.
Ils ne sont pas seulement des portefeuilles à vider. Certains, aujourd’hui, ont oublié que le client était roi. Pour nous, rien n’a changé, le client reste le roi.»
«J’ajouterai que non seulement la stratégie de Manufacture Royale est exemplaire mais qu’elle est desservie par de vrais professionnels respectueux de leur métier, de leurs contacts et de leurs clients. C’est devenu assez rare pour que je le relève. Comme quoi, il n’y a pas de miracle et, une fois de plus la parole qui dit que la réussite sourit aux audacieux se concrétise dans l’exemple de Manufacture Royale. Cela dit, il faut être bien conscient que l’audace ne s’improvise pas et qu’elle est le résultat d’efforts continus. En d’autres termes, comme le disait si justement Jacques Brel, ‘le talent c’est 18 heures de travail par jour!’»
Manufacture Royale 1770 Micromegas
Des créations ébouriffantes
Parmi les montres proposées à Baselworld 2015, hormis celles qui caracolent sous les noms de collection Androgyneet 1770, on trouve notamment la pièce Opéra, dont la marque révèle qu’elle est née de l’union des talents des maîtres horlogers Michel Navas et Enrico Barbasini. Manufacture Royale explique qu’ils ont élaboré un mécanisme de répétition minutes régulé par un tourbillon dont l’esthétique est fondamentalement canonique, mais dont l’approche fonctionnelle est résolument audacieuse. En effet, ce calibre a demandé trois ans de recherche et de mise au point.
Si la platine et les ponts sont classiquement usinés en laiton, rhodiés puis terminés et anglés à la main, les composants de l’échappement sont eux tournés vers l’avenir puisque, pour des raisons de fonctionnalité et de rendement, la manufacture a retenu pour l’assortiment de la cage de tourbillon, une roue d’échappement et une ancre taillées dans du silicium. D’une durabilité infiniment supérieure à ceux habituellement employés dans la profession, il permet de garantir une meilleure tenue de la précision dans le temps.
Manufacture Royale 1770 Micromegas
Il n’y a pas que la matière
Mais l'originalité va bien au-delà de la matière futuriste employée. En effet, cet organe constitué de 319 pièces est réalisé de telle façon qu’il offre plus de 100 heures de réserve de marche. En outre, trois innovations majeures sont réunies dans cette montre pour lui garantir une sonnerie puissante et claire, identique à celle que l’on peut entendre en actionnant les plus beaux garde-temps de poche réalisés à la fin du XIXème siècle.
Une des conditions pour garantir à une montre à sonnerie de pouvoir être entendue par son porteur sans qu’il lui soit nécessaire de la porter à l’oreille, c’était de totalement repenser le mode de formation des ondes acoustiques et de revisiter son mode de transmission dans le boîtier.
Manufacture Royale 1770 Micromegas
En matière sonore, la Manufacture Royale a tout particulièrement cherché à valoriser sa force et sa régularité en mettant au point un mécanisme de répétition minutes original faisant appel à 3 innovations, dont un ressort du râteau des minutes plus fort, un ressort de sonnerie plus long que sur les mécanismes classiques (6 tours au lieu de 3) ainsi que des timbres réalisés d’une seule pièce à l’interne avec un alliage et selon des procédés jalousement gardés. Structurellement plus fort que la moyenne, le son méritait alors un habillage sur-mesure…
Travaillant à l’ancienne, autrement dit sans ordinateur, Charles Grosbéty est un sculpteur horloger, au sens premier du terme. Il a été mis au défi de réaliser un boîtier dont la conception permet d’augmenter sensiblement la puissance sonore de cette extraordinaire machine à dire le temps. Il a imaginé une carrure articulée se déployant comme le ferait un soufflet d’orgue. Cette fantastique caisse de résonance à géométrie variable, au profil reproduisant la courbe de Fibonnacci - l’expression géométrique du nombre d’or - fini par ressembler en miniature à la structure externe de l’Opéra de Sydney, une oeuvre architecturale majeure dont l’artiste reconnaît s’être librement inspiré lors de l’élaboration de la pièce.
Manufacture Royale 1770 Micromegas
Photos de la Manufacture Royale 1770 Micromegas par Amr Sindi du site The Horophile