Logical One de Romain Gauthier, le parcours d’un créateur

Quand je l'ai rencontré, dans un petit atelier du Sentier, il était en train de terminer des pièces sur une CNC extrêmement sophistiquée. Il réalisait des composants pour son ami Jean-François Ruchonnet. Car Romain Gauthier fait partie de cette toute petite équipe de jeunes chiens fous qui ont décidé de collaborer afin de créer une sorte de manufacture horizontale. En d'autres termes, à plusieurs, ils ont décidé de s'équiper de machines extrêmement performantes afin d'apporter une qualité industrielle irréprochable à leurs produits exclusifs. Et comme ces instruments de production coûtent chacun une fortune, ils se mettent ensemble pour les acquérir et les exploiter.

Cela n'a rien d'une quelconque coopérative "à la Soviétique", c'est tout simplement la démarche intelligente de professionnels qui ont décidé de pouvoir exploiter eux-mêmes leur liberté créatrice.

De la mécanique de précision à la construction

Mais que faisait un créateur horloger derrière une CNC? Son métier, tout simplement, puisque Romain Gauthier, avant de créer ses propres montres, a suivi un parcours inhabituel. Natif du Sentier, il a vécu à l'ombre des sapins, dans les odeurs des huiles, le bruit des machines et la quasi-recueillement des ateliers des horlogers. Tout cela lui a donné une philosophie et a créé des envies. C'est ainsi que, sortant de l'école, il entra à l'Ecole technique de la vallée de Joux. Normal se dit-on, pour un horloger que d'apprendre son métier dans cette école. Eh bien Romain Gauthier n'est pas devenu horloger, il a choisi la mécanique de précision car il lui semblait indispensable de posséder l'art de travailler le métal qu'il utiliserait plus tard dans les propres montres. Logiquement, après cette formation, il s'est intéressé à la construction. C'est ainsi qu'il a passé son diplôme de technicien constructeur.

Il a ensuite franchi la porte de la vie active et, dix ans durant, il a travaillé dans le secteur de la production de composants afin d'en connaître toutes les subtilités et surtout pour acquérir ce "tour de main" qu'on n'apprend jamais dans les écoles, mais en forgeant son art jour après jour.

Entrepreneur dans l'âme, Romain Gauthier a fondé sa propre entreprise. C'était certes un pari risqué pour lui qui, même au bénéfice d'une solide formation technique, avait des manques dans les questions commerciales et de gestion. Animé de la ferme volonté de réussir son parcours, Romain Gauthier s'est alors lancé dans l'acquisition d'un Master of business administration qu'il obtint en 2002. Solidement posé sur ses connaissances de base, le jeune homme pouvait dès lors se lancer dans l'aventure de la création horlogère.

Intelligence créative, au service de l’authenticité

Mais que faire et comment? Romain Gauthier s'est d'abord défini une ligne philosophique. Il souligne: «La haute horlogerie, c'est comme la haute couture. Elle se doit de perpétuer les traditions, mais aussi d'enrichir le savoir-faire horloger en créant des montres capables de combles combler les attentes des amoureux de cet art». Dans l'esprit du jeune homme s'il est donc indispensable de conserver les règles fondamentales qui font la haute horlogerie, il n'est point besoin de rester prisonnier d'un système. C'est donc la porte ouverte à l'imagination, à l'expérimentation et à l'invention.

Il s'est donc mis au travail et cela lui a pris plus de cinq ans. Mais le résultat est absolument exceptionnel: un mouvement mécanique unique à remontage manuel.

Ce mouvement comporte 22 rubis et indique les heures et les minutes. Seulement cela diront certains! Oui mais de quelle manière. Utilisant les moyens techniques les plus sophistiqués, Romain Gauthier a décoré et fini toutes les pièces de la montre à la main dans le plus pur respect de la grande tradition horlogère. Mais il ne s'est pas contenté de faire comme les autres et il a ajouté quelques idées de son cru. C'est ainsi que ses montres présentent  une indication décentrée des heures et de minutes, ce qui donne un caractère particulier à la pièce. Si on la retourne et que l'on examine le mouvement on découvre une roue d'échappement à 6 heures, qui permet une symétrie entre la roue de seconde et le balancier. Il y a également un remontage manuel plat qui permet de la remonter sans la retirer du poignet. Romain Gauthier a encore truffé son mouvement d'innovations sur lesquelles nous reviendrons dans une édition ultérieure.

Logical One, promesses et perspectives

Comme c'est en forgeant que l'on devient forgeron, Romain Gauthier a poursuivi sa quête. Et, aujourd'hui il nous en fait profiter. Le jeune horloger a engagé un collaborateur et il produit ses montres dans un superbe atelier installé dans les combles d'une maison du Sentier. Là, près du ciel, donc près de ses rêves, Romain Gauthier prépare la suite et, d'après ce que nous en savons, elle sera magnifique!

La suite, elle est racontée par notre excellent confrère Pierre Maillard qui écrit: «Pour  cet homme résolu, méthodique, il était temps de penser à un tout nouveau mouvement, de marquer les esprits, de construire solidement sa marque. En 2011, il décide donc de se lancer dans un nouveau chantier. L'année qui suit sera, de son propre aveu, "une année difficile. Je me suis isolé chez moi, j'ai fait mon homework, en musique, ça me stimule...» En parallèle et au fur et à mesure, il travaille aussi à se constituer un stock de composants maison, qui vont assurer la progression logique de son développement.

A Bâle cette année, il présente le fruit de ses recherches: la Logical One. «J'avais cette montre en tête depuis longtemps. Elle devait être à la fois totalement pertinente et apporter quelque chose de neuf, de différent. Elle devait à la fois provoquer son effet et s'inscrire dans le patrimoine horloger», avance-t-il sans fausse modestie. Alors, cette Logical One? Qu'a-t-elle d'exceptionnel pour s'inscrire au patrimoine? «A droite, se tient toute la montre, les indications, l'échappement... à gauche, la correction de couple, pour la force constante... et derrière, tout le dos est dédié à la démultiplication de la force constante, et à l'indicateur direct de la réserve de marche», commence-t-il par expliquer en tournant et retournant la montre.

«La force constante est une complication qui demande une architecture très spécifique. D'ailleurs, on en compte sur les doigts d'une main: Breguet, Lange, récemment Zenith, DeWitt, Cabestan...», énumère-t-il.

On lui rappelle la toute récente Force Constant de Girard Perregaux. «Oui, mais la solution proposée est d'une toute autre nature. Ceci dit, toute montre est la miniaturisation d'un principe physique.» Sur ce, Romain Gauthier exhibe une série de graphiques mesurant la parfaite constance de la force, quelle que soit la position de la montre. «Le point stratégique, c'est le pignon de centre. Toute la mathématique part de là. On le voit au dos: le principe de démultiplication est essentiel, répartissant la force constante sur 360º, suivant un principe de division du nombre de tours, de correction puis de multiplication du nombre de tours. Au résultat, la montre atteint un ± 4 secondes tout du long de ses 60 heures de marche, sans aucune modification», argumente-t-il.

On prend l'objet en mains, on le regarde, on l'admire. Rien à dire: les finitions sont superlatives, subtiles, à la fois polies et tendues, dignes d'avoir reçu l'aval d'un Philippe Dufour. L'architecture du mouvement est d'une parfaite sobriété didactique, les cadrans déportés laissant tout le libre jeu à l'échappement et à la fascinante chaîne et ses rubis. La boîte est d'une rondeur parfaitement galbée.

Le tout est à la fois classique dans son exécution, contemporain dans sa technicité, sensuel et mathématique.