GPHG 2016: L’écrivain Frédéric Beigbeder – «Je regarde l’horlogerie autrement!»
Finalement, choisir de confier la présentation du Grand Prix d’Horlogerie de Genève à un non insider n’a rien d’incongru! L’homme, un écrivain omniprésent du PAF, a du répondant. Il semble avoir attrapé le virus…
Pour la cinquième fois, Frédéric Beigbeder - arriverais-je un jour en même temps à prononcer correctement son nom et à l’écrire juste? - animera la seizième soirée de remise des prix. Il sera en tandem, sur la scène du Théâtre du Léman à Genève, sur la rive gauche face au lac et au jet d’eau, avec Gaspard Proust, un comédien français au profil d’introverti qui se soigne.
Frédéric Beigbeder dans les coulisses du GPHG 2014
Ah, les écrivains d’aujourd’hui
Décidément, les écrivains d’aujourd’hui n’ont plus aucun problème à gérer leur image, la servant à moult sauces, au fil d’éclectismes savamment mis en résonance. Ainsi l’homme qui se présente à Genève, scotché à son noeud pape et à son habit de soirée, manie avec aisance autant le micro élégant que l’humour franco-universel. Il est autant à l’aise dans cet univers horloger peuplé de promiscuités coupables, entendez que tout le monde s’y connaît et s’y observe en permanence, que dans une émission de Thierry Ardison ou que, encore, derrière la caméra, comme réalisateur d’un film tiré de l’un de ses propres romans. Tour à tour critique littéraire, créateur de prix, président de jury, ou directeur de rédaction du magazine Lui, sa connotation principale reste tout de même celle d’«écrivain», comme en témoigne une bibliographie ponctuée d’un prix Interallié et d’un Renaudot.
A la question de savoir si son immersion en bain horloger reste annuelle ou si, entre deux éditions du Grand Prix d’Horlogerie de Genève, il reste en contact avec le secteur, il confesse: «C’est mieux d’avoir sollicité quelqu’un qui n’est pas du milieu. Car c’est vrai que si j’étais copain avec certains, cela ferait bizarre. Là, il y a plus d’objectivité.» Et encore? «Avoir confié la présentation du Grand Prix à un ignare complet, c’est intéressant pour le public…» Je le rassure, il cache bien son jeu. Il précise alors: «Je suis très bien préparé avec des journalistes spécialisés de l’horlogerie, afin de savoir ce qu’il faut mettre en avant, afin que je ne dise pas d’âneries.» Et d’ajouter que cette soirée, c’est comme «Les ‘Oscars de la Montre’, il y la Chine, les pays arabes… J’essaie de déconner, de ne pas me prendre au sérieux, mais je prends ça très au sérieux.»
Frédéric Beigbeder & Gaspard Proust
Sollicitations secrètes?
A propos. Quid de sa plaisanterie récurrente qui lui permet de glisser régulièrement lors de la soirée qu’il se verrait bien avec au poignet, l’une de ces merveilles horlogères qu’il présente et commente? J’ai très envie de savoir si ses appels volontairement réitérés ont été entendus. Les marques horlogères le courtisent-il le reste de l’année? Fait-il l’objet de sollicitations particulières, vu la notoriété grandissante de la manifestation et vu la croissance de son internationalisation? «Ca ne marche pas du tout, les marques ne réalisent pas à quel point je suis sérieux! Je n’ai toujours pas reçu de cadeau… » Je lui suggère de tout me dire: «…sauf Zenith. Très gentiment, les gens de cette marque m’ont dit ‘on vous prête une montre’. Et ils ont oublié de la reprendre. C’est très chic et très aimable, mais ce qui est moins rigolo, c’est qu’ils vont se rappeler que je l’ai en lisant vos lignes et que je serais obligé de la rendre!» Je temporise, il doit être bien placé pour le savoir, lit-on encore de nos jours? - Sourires.
Carine Maillard (Directrice de la Fondation GPHG), Frédéric Beigbeder & Mélanie Winiger (Présentatrice)
Plus sérieusement, «C’est très sain et il n’y pas de corruption» assure-t-il. S’intéresse-t-il à l’horlogerie le reste du temps? «J’ai toujours ma propre montre, j’ai mon IWC (ndlr: International Watch Company à Schafhouse) qui est un cadeau de ma femme, une très jolie pièce. Une Portugaise fond noir et trois cadrans.» Trois cadrans? Il doit s’agir d’un chronographe. Soudain, conscient que sa remarque pourrait contredire ce qu’il vient de me confier, il s’enquiert sur l’éventuelle présence de la marque dans la compétition. Non, aucun souci, IWC en est absente.
Au fait, comment se fait-il qu’il y ait des marques absentes à un Prix censé cristalliser les espoirs de tout un secteur? La réponse est simple, elle ne saute pas forcément aux yeux du grand public. Chacune des montres en compétition a fait l’objet d’un dossier d’inscription, et donc de la finance qui va avec. Car il faut le rappeler, ces garde-temps seront appelées à voyager dans le monde au fil d’expositions éphémères, ce qui engendre des coûts d’assurance et de transporteurs par exemple. Plus de 170 montres ont été envoyées, 72 ont été sélectionnées, soit 6 par 12 catégories. Du côté des organisateurs, une Fondation préside par l’ancienne figure politique Carlo Lamprecht, la porte reste ouverte, on ne dit pas ouvertement que les absents ont toujours tort car on aimerait beaucoup que certaines enseignes qui contribuent tant au prestige de Genève puissent un jour se lancer voire se re-lancer dans l’aventure.
Frédéric Beigbeder & Solweig Lizlow (Présentatrice)
L’horlogerie, univers propice à l’inspiration
Que pense-t-il de cette horlogerie si propre à la Suisse, lui Frédéric Beigbeder, notre écrivain balancé présentateur d’un soir, recruté grâce à Vincent Gonet, un oncle par alliance en charge de la production video de la soirée? Lui qui usa ses deux précédentes co-présentatrices célèbres, Adriana Karembeu et Melanie Winiger - notre ancienne miss Suisse - lui qui semble avoir enfin trouvé son équilibre sur scène avec Gaspard Proust. «J’aime le travail bien fait, les prouesses technologiques. Le savoir faire, je l’admire comme tout esthète! Je ne suis pas un collectionneur mais je reste épaté par les gens qui font ce métier et que je croise pendant la cérémonie: des gens qui sont passionnés par ce qu’ils font, qui ont tous une histoire, une aventure personnelle.» Et de confier que, depuis son immersion dans cet univers il y a déjà cinq ans: «Je regarde les montres et l’horlogerie autrement. Je m’y intéresse plus, c’est le seul bijou portable par un homme. Les gens qui exercent ce métier font preuve d’une certaines folie, d’une angoisse aussi, ils cherchent de nouvelles manières de donner l’heure… » Soudain, peut-être effrayé de se savoir capable de tant d’empathie, il revient à son ironie légendaire: «Des montres tellement folles qu’on n’arrive pas à y lire l’heure…!»
Frédéric Beigbeder, Jean-Christophe Babin (CEO de Bulgari), Mélanie Winiger (Présentatrice), Johann Schneider-Ammann (Conseiller fédéral) & Carlo Lamprecht (Président de la Fondation GPHG)
Se verrait-il un jour pondre un bouquin dont la trame se situerait dans ces berceaux horlogers qu’il a appris à mieux connaître? «Pourquoi pas. Mais vous savez, mes livres parlent tous du temps qui passe!» Il a raison, avec «L’amour Dure Trois Ans» et son livre «Windows on the World» sur le 11 septembre, une sorte de chronométrage entre le moment où la première tour est percutée et où la seconde s’effondre, «le temps est un sujet central de la littérature», rappelle-t-il. «Ce n’est finalement pas si absurde que ça que de confier à un écrivain le soin d’animer une soirée sur le temps qui passe…»
Il ajoute: «D’ailleurs, mes interventions sont ponctuées de nombreuses citations d’écrivains.» Le public en est-il conscient? Saura-t-il, ce soir du jeudi 10 novembre 2016, déceler ces discrètes perles de culture? Honnêtement, je sens que je vais carrément me concentrer sur ses répliques. Car l’horlogerie suisse mérite qu’on l’ancre dans l’univers de la culture. Après tout, n’est-elle pas la seule culture autonome - c’est à dire non assujettie à une capitale linguistique - que nos terroirs romands ont enfantée, conjuguant particularités caractérielles, géographiques, économiques, migratoires et artisanales? Ça y est, voilà que je tombe dans le romanesque… L’effet Beigbeder?