Découvrez Christelle Rosnoblet, la femme derrière Speake-Marin
Femme entrepreneur, issue de la grande distribution, passionnée d’horlogerie et collectionneuse de garde-temps, Christelle Rosnoblet est CEO de la marque indépendante Speake-Marin, désormais basée à Genève. Elle parle avec humilité de sa passion pour l’horlogerie, de son rôle dans l’essor actuel de la marque et des défis qu’elle rencontre. Interview.
Benjamin Teisseire : Bonjour Christelle, vous êtes connue pour être une collectionneuse de montres. Quel type de collectionneuse êtes-vous ?
Christelle Rosnoblet : J’ai commencé très tôt par une petite Swatch quartz puis ma première montre mécanique a été une Oméga Speedmaster. J’ai un faible pour les montres au fort caractère. Panerai, Rolex au début. Rapidement je me suis tournée vers les marques indépendantes comme Louis Moinet ou Pierre de Roche. Je fonctionne au coup de cœur. Je n’ai pas un thème particulier. C’est l’émotionnel qui parle.
B.T : De la grande distribution à l’horlogerie indépendante, il y a un sacré saut. Comment êtes-vous arrivée là où vous êtes ?
C.R : Il y a 9-10 ans lors d’un conseil de famille, nous évaluions les possibilités d’investissement. Basé à Annecy, nous regardions aussi vers la Suisse. Nous voulions nous diversifier hors de la grande distribution : le chocolat, le médical, les start-up dans les nouvelles technologies, tout était possible. C’est ma passion pour l’horlogerie qui a orienté le choix, comme une évidence. À l’époque se tenait le Geneva Time Exhibition, premier salon de l’horlogerie indépendante. C’est là que j’ai rencontré de nombreux horlogers, dont Peter Speake-Marin, en 2011. La plupart souhaitaient un investisseur mais « silencieux ». Or il était clair pour moi que je souhaitais être impliquée dans les décisions stratégiques et apporter un œil extérieur à la profession. Peter a accueilli l’idée avec bienveillance car il y voyait une opportunité pour lui de « lever la tête du guidon ». L’aventure a commencé à ce moment.
BT : Dès lors, quel a été votre rôle dans la marque ?
C.R. : Au début, accompagnée d’un mentor, je me suis imprégnée de la culture horlogère, joaillière et des principes de la haute horlogerie. Cela m’a permis de partager la vision de Peter et de laisser libre court à sa créativité. Je m’occupais plutôt du back-office pour qu’il se dédie à son art. Nous formions un binôme efficace qui se complétait bien. Je donnais mon point de vue de collectionneur. Il y a 5 ans, nous avons fait le point sur la marque et la direction que nous souhaitions lui donner. Nous avons défini stratégiquement des collections : une plus sport, la Spirit, une casual-chic avec la Résilience et bien entendu, le Cabinet des Mystères et ses pièces uniques. Nous avons décidé de trouver de nouveaux fournisseurs pour augmenter encore la qualité, passant, par exemple, de Technotime à Vaucher Manufacture pour les mouvements de base de l’époque. Nous avons mis en place une vraie stratégie de marque, avec plusieurs produits racontant chacun leur propre histoire.
BT : Il est difficile de perdre la figure centrale d’une marque qui porte son nom. Comment relevez-vous le défi ?
C.R. : C’est certain ! Mais vous savez, les choses évoluent vite. Peter Speake-Marin m’avait fait part de sa lassitude et souhaitait se retirer. Nous avons adapté la stratégie rapidement et nous sommes passés d’une dizaine de garde-temps par an à près de 300 aujourd’hui. La transition se passe donc bien et notre visibilité auprès des collectionneurs grandit. Nous nous concentrons sur les produits Speake-Marin, moins sur le visage. Cela se fait avec le temps. Depuis deux ans, nous avons introduit nos premiers mouvements in-house, certifiés COSC. Nous modernisons le design tout en conservant l’ADN de la marque et ses signes distinctifs : la boîte Piccadilly, les cornes, les aiguilles et le bleu roi Speake-Marin. L’identité est aujourd’hui renforcée – immédiatement reconnaissable – avec notre petite seconde à 1h30 et notre signature à 7h30. Un axe décalé unique dans l’horlogerie. Nous gardons le meilleur de l’ancien et le faisons entrer dans la modernité.
BT : La vie et le développement des marques indépendantes est âpre. Quelles sont les plus grandes difficultés pour vous ?
C.R. : Sans hésitation, être livré à temps ! Nous produisons des éditions limitées en petite quantité. Nous sommes tout petit dans le monde horloger. Le choix de nos fournisseurs est crucial. Si nous avons des carnets de commandes pleins mais que nous livrons dans deux ans, cela devient très difficile. Dans notre monde actuel, tout le monde veut tout, tout de suite. Avec ce que nous avons mis en place, nous arrivons à livrer en 3 mois et cela fait la différence pour beaucoup. La distribution aussi est un gros défi pour les marques indépendantes. Speake-Marin se focalise aujourd’hui sur les USA et l’Asie (hors Chine), ainsi que la Suisse. Nous avons remanié notre distribution pour ne rester qu’avec des partenaires totalement passionnés par les indépendants, reconnus par les collectionneurs et aptes à raconter l’histoire de Speake-Marin. Heureusement pour nous, il y en a dans le monde entier !
BT : Quels sont vos objectifs à moyen et long terme ?
C.R. : Continuer à développer notre outil de production en étroite collaboration avec « L’atelier » à La Chaux-de-Fonds. Nous concentrer sur la qualité et la certification de celle-ci – comme le COSC le confirme – et nourrir la différenciation Speake-Marin pour que nos points saillants soient de plus en plus identifiables et identifiés. Nous avons pour objectif d’atteindre 800 montres d’ici 5 à 10 ans. Nous ne souhaitons pas dépasser ce nombre afin de préserver la qualité, de perpétuer le travail à la main et de conserver une certaine exclusivité.
BT : Qui sont les clients Speake-Marin ?
C.R. : Au début, il s’agissait de grands collectionneurs, plus âgés, avec de très hauts revenus. Ils sont toujours là, notamment avec notre Cabinet des Mystères où ils font réaliser des pièces uniques. Avec l’introduction de la One & Two et l’Openworked, nous touchons un public plus jeune, autour de 40 ans (pour en savoir plus). Une nouvelle génération se tourne vers Speake-Marin à la recherche de belle horlogerie indépendante, élégante et différente. Il est intéressant de voir que les femmes sont attirées aussi. Et pas uniquement par nos modèles en 38mm ! En janvier, au Carré des Horlogers du SIHH, nous avons remarqué que les femmes, autant que les hommes, regardaient et essayaient aussi bien le 38mm que le 42mm. C’est encourageant !
BT : Dernière question, l’horlogerie est un monde d’hommes. Est-ce plus difficile d’être une femme ?
C.R. : Les choses changent, même dans l’horlogerie. Lors de la dernière photo du SIHH cette année, il y avait 5 femmes présentes ! C’est un bon début ! Mais pour être honnête, mon rôle ne m’a pas semblé plus difficile en tant que femme. Comme me dit mon père : « Tant que les compétences sont là, la question ne se pose pas ».
Merci Christelle pour votre franchise et nous nous réjouissons de voir la suite de Speake-Marin.
(Photos de Pierre Vogel)