DESSINER DES MONTRES, UN MÉTIER PAS TOUJOURS RECONNU
Avant Rodolphe Cattin, ce métier n'avait pas droit de cité dans l'horlogerie. Le designer se devait de rester discret, seules les marques étaient dans la lumière.
Par Joel Grandjean
Rédacteur en Chef
Grâce aux collectionneurs avides de confidences backstage, tout finit toujours par se savoir et le métier de designer horloger est enfin sorti du bois. Avant, discrètement, il s’exerçait souvent au sein d’une fabrique de boîtes de montre. Une usine qui, pour que tournent ses machines, se devait d’alimenter ses clients en créativité. C’est donc le boîtier, parfois de connivence avec un cadranier, qui apportait les dessins susceptibles de générer des commandes. Ainsi naissait la plupart des nouveaux modèles. Encore aujourd’hui, les marques horlogères rechignent à avouer qu’elles ne sont pas à l’origine de tout ce qu’elles produisent et l’appellation Manufacture très en vogue suppose que tout se fait à l’interne.
Soudain, chez Longines, un prénom change la donne. La marque de Saint-Imier travaille avec son designer maison, un certain Rodolphe Cattin, sur un nouveau modèle dame. Avec son look de jeune diplômé des Beaux-Arts de La Chaux-de-Fonds propulsé membre de la direction, celui que le grand patron Walter Von Kaenel surnomme l’artiste devient un peu par hasard le premier designer horloger starisé.
La collection baptisée Rodolphe by Longines connaîtra le succès. Tout designer horloger actuel devrait s’en sentir redevable.
D’autres designers, parfois plus aguerris, sortent alors peu à peu de l’anonymat. René Banwart, leur père à tous, crée la marque Corum en 1955, après avoir écrit des pages majeures, d’abord chez Patek Philippe où il entre en 1933, puis chez Omega où il crée et dirige le premier département création, à l’origine de l’iconique modèle Constellation. Adepte de l’épure, il sort sous ses propres couleurs d’autres modèles marquants: la Sans Heures, une montre sans index dont la seule position des aiguilles indique l’heure; la Romvlvs, dont les heures en chiffres romains sont gravées sur la lunette; en 1960, l’Admiral’s Cup, première montre carrée étanche devenue dodécagonale en 1983, en référence aux 12 flammes nautiques; enfin, la Coin Watch, une montre sans couvercle dont le mouvement ultra-plat est logé dans une authentique pièce d’or.
Comme lui, l’autre grand du design horloger Gérald Genta, disparu en 2009, est désormais régulièrement cité. Avant de créer l’une des premières marques éponymes, il a vécu de la vente de ses dessins – 15 francs pièce à l’époque. Un jour, à la Foire de Bâle, il partage le même restaurant que les gens de Patek Philippe. Tout en les observant manger, il gribouille sur la nappe. La mythique Nautilus est née, on lui reconnaît quelques airs de parenté avec une autre vedette horlogère qui fête ses 40 ans cette année, la Royal Oak d’Audemars Piguet.
Avec l’arrivée de l’ordinateur, le monde du design horloger s’est mis à la portée de tous. Ceux qui pratiquent le dessin au trait, si délicieux, ne sont plus seuls maîtres à bord. Des créatifs de tous horizons, parfois géniaux, inventent de nouveaux systèmes d’affichage. Les plus chanceux vendront leur dessin et leurs droits, incitant la marque acheteuse à entamer un autre processus de création, bien plus long celui-ci : le développement d’un calibre compliqué.
DESIGNERS DE MONTRES D'AUJOURD'HUI
Rodolphe Cattin a fondé sa propre marque MRC, Manufacture Rodolphe Cattin. Tandis qu’un Eric Giroud se taille quelque médiatisation, boosté par Maximilian Büsser qui met en scène ses fournisseurs en les appelant ses amis – MB&F, Maximillian Büsser & Friends –, d’autres références continuent de sévir au sein des marques. Janek Deleskiewicz, chez Jaeger LeCoultre, seul autorisé à conjuguer la célèbre Reverso, Serge Rabassa à qui l’on doit la nouvelle Ballon Bleu de Cartier. En leur sillage, quelques noms, pourtant prolifiques, persistent à cultiver la discrétion: Astrid Victoire Wikberg, Eddy Burgener, Elena Brioschi, David Quinche, Nicolas Chablais, Jean-Claude et Emmanuel Gueit, père et fils…
D’autres se dissimulent sous des raisons sociales: Philippe Moser (Dalo Creation), Stéphane Avranches (Blade Design), Xavier Perrenoud (Atelier XJC), Claudio d'Amore (Cosanova), Nicole Dupont (Dupont Design).
