Jerome Lambert

Interview SIHH, Jérôme Lambert: créer l’émotion de la première fois

2015 sera l’année de son deuxième SIHH sous la bannière de l’emblème Montblanc. Une révolution est-elle en route? intercepté entre deux longs courriers, Jérôme Lambert  répond aux questions.

Par Watchonista

Lors du salon international de la haute horlogerie de 2014 (SIHH), la maison déclenchait un petit séisme au sein du monde horloger mécanique, en proposant un QP à environ 10'000 euros. Même en acier, personne n’avait jamais osé rendre cette complication horlogère majeure si abordable. Un message fort venait d’être lancé. Celui d’un choix de positionnement que sa taille mondiale et son système de distribution rendent possibles. Un choix qui risque bien, dès l’ouverture du SIHH 2015, de déclencher d’autres vagues…

Depuis mi-2013, celui dont le nom était lié à la maison Jaeger LeCoultre – même ses initiales semblaient l’y associer –  a rejoint Montblanc. Désormais, c’est depuis le siège à Hambourg, berceau historique de cette enseigne créée en 1906 par trois associés, le papetier Claus Johannes Voss, le banquier Alfred Nehemias, et l’ingénieur berlinois August Eberstein, que Jérôme Lambert a repris son bâton de pèlerin. Toujours au sein du même groupe Richemont, à qui l’enseigne hambourgeoise appartient depuis 1998.

AF: Restez-vous quelques jours en Suisse?

JL: Non, je suis arrivé hier parce qu’on avait un meeting ici au Groupe Richemont. Je repars ce soir.

Un touch and go en somme?

Deux jours, ce n’est pas un vrai touch-and-go. La semaine passée j’étais en Corée; je suis parti le mercredi soir de Suisse… ou plutôt de France, enfin d’Allemagne devrais-je dire, en passant par la France, et je suis rentré le samedi matin. Ça c’est un vrai touch and go! Ça fait trente heures sur place. C’est difficile de faire plus court!

Montblanc Heritage Spirit Orbis Terrarum Montblanc Heritage Spirit Orbis Terrarum

Avec trente heures de vol aller retour…

Oui mais on dort à l’aller, on dort au retour. On n’a même pas le temps de prendre le décalage horaire. En fait, c’est l’avantage des flash visits

Vous êtes très demandé?

Le fait d’être présent dans 120 pays, d’avoir plus de vingt filiales, d’avoir aussi un grand réseau de détaillants, ça implique effectivement une présence constante sur le terrain. En plus, beaucoup de choses sont nouvelles et seront faites pour la première fois. Pour l’instant le clonage ne faisant pas encore partie du programme (rires), j’essaie de développer le sens d’ubiquité…

En fait, qu’est-ce qui vous plaît chez Montblanc et vous fait tant courir?

Deux éléments. D’abord un univers de maison simple, clair, très bien défini: ses codes, à travers son nom, son logo emblème, sa signalétique, ses modes de représentation… D’autre part, nous sommes présents dans trois branches à part entière, le cuir à Florence, l’horlogerie en Suisse, et les instruments d’écriture en Allemagne. Trois secteurs dans lesquels nous nous investissons beaucoup, avec nos propres manufactures. D’un côté il y a donc la simplicité et la consistance de la maison, de l’autre, il y a le foisonnement des produits ainsi que leur mode de réalisation qui met en scène différents savoir-faire. C’est intellectuellement stimulant.

Vous optez clairement pour un positionnement de maison qui encourage ceux qui en rêvaient à entrer dans l’univers des complications horlogères. La passion mécanique à la portée de tous?

Progresser dans une maison et dans les segments de prix, c’est un cheminement intellectuel que je connaissais déjà chez Jaeger LeCoultre. Chez Montblanc qui est une maison où l’esprit pionnier n’est pas qu’une figure de style, ça se justifiait pleinement. D’autant que notre âge en horlogerie et nous ouvre plus de champs possibles. Quand on visite Le Locle et Villeret, on voit immédiatement ce qu’il y a à montrer, à faire partager. Quand on se rend compte de ce qu’on est capable de créer à Villeret (ndlr: les complications) et qu’on voit ce que le Locle est capable de saisir comme challenges (ndlr: l’outil industriel), on s’aperçoit qu’il y a un levier entre les deux entités et qu’on peut donc faire ce choix ce positionnement. De plus, nous n’avons pas le poids de l’histoire. Vous savez, quand vous existez en horlogerie depuis 250 ans, votre histoire n’est pas simplement un patrimoine, elle peut être aussi un fardeau (rires). En tous les cas c’est un héritage qui peut vous dicter précisément ce que vous devez faire. Enfin, nous disposons de notre propre réseau de distribution. Ainsi, puisque nous accèdons rapidement à nos clients, nous pouvons leur expliquer notre démarche.

L’idée d’arriver sur le marché avec des complications à des prix aussi attractifs, j’imagine que ça n’a pas du être facile à imposer, même au sein du groupe?

Certes, mais je ne pouvais pas me résoudre à imaginer que ce n’était pas possible. Durant 15 ans chez Jaeger LeCoultre, dont 12 comme CEO et 4 ans chez A. Lange & Söhne, je n’ai jamais eu les mains liées. J’ai compris qu’avec les savoir-faire de Villeret (ndlr: la recherche et le développement, la maîtrise des complications), on devait pouvoir faire différemment, trouver de nouvelles voies. Chez IWC et Jaeger LeCoultre, il y a vingt ans, il y a eu aussi ce même genre d’approche et de distorsion par rapport à une horlogerie habituelle de manufacture. Cela doit rester la base de notre inspiration.

Pour illustrer ce nouveau positionnement, vous présentiez en 2014 un QP ultra accesible au niveau prix. Comment avez-vous été perçu?

Je reste convaincu que l’attachement aux maisons de haute horlogerie passe beaucoup par l’émotion que nous arrivons à créer auprès de nos clients… Les émotions c’est aussi de pouvoir faire preuve de maîtrise que ce soit dans l’excellence horlogère, avec des pièces telles que la Metamorphosis, ou que ce soit dans le sens de réinventer des complications afin qu’elles puissent être soudain plus accessibles. En tous les cas, c’est aussi une mission que nos équipes comprennent et dans lesquelles elles s’investissent à part entière. Chez nous, un produit doit tenir nos promesses: valeur, qualité, innovation ou performance technique. Le client Montblanc doit être face à une quallité exceptionnelle, à un sens de la performance technique, ainsi qu’à un rapport entre prix et émotion. Ce tryptique  donne à la maison un rôle à part dans une horlogerie où il y a plus de 600 maisons et certainement une bonne centaine dans la haute horlogerie. Chacun doit avoir sa signature. La nôtre est faite de chalenge.

Jerôme Lambert Jerôme Lambert

Vous allez donc persister et signer dans ce nouveau positionnement?

Oui, peut-être même de manière encore plus radicale. C’est à dire que cette année 2015 nous introduisons cinq nouveaux modules et mouvements. Nous poussons encore plus en avant l’inventivité, la créativité et la création de nouvelles complications, complètement originales, avec encore plus d’émotion, de la découverte, et du plaisir d’acquérir des choses qui se démaisonnt.

Dans le dernier AGEFI Life, Watchonista a présenté en primeur le Montblanc Heritage Spirit Orbis Terrarum. Appartient-il à cette nouvelle race de montres?

Oui, cette pièce rentre dans cette logique-là. Elle est issue d’un nouveau principe technique, d’une nouvelle façon d’aborder la complication des heures universelles. C’est ce genre de défi qui nous donne envie de nous lever le matin et qui mobilise nos équipes. En plus c’est beau, ça permet d’accéder à une visibilité des fuseaux horaires pour ceux qui n’auraient jamais imaginer voir un jour à leur poignet un tel modèle.

Cette pièce de qualité disposant d’un look sexy, ça ressemble à une révolution dans l’univers des Travel Time?

Ce qui nous plaît le plus, c’est que ça n’existait pas avant, ça n’avait pas été fait si simplement.  Ce n’est pas seulement dans les modèles à plus de 500'000 euros que les choses évoluent.  Notre maison est obnubilée par l’innovation. Notre volonté de surprendre part de l’envie de créer l’émotion de la première fois. Les autres nouveautés SIHH 2015 appartiennent à cette même logique, même si nous allons aussi présenter une grande complication, extraordinaire, à plus de 220’000 euros. Pour moi, le ratio de la valeur est une équation entre le prix et l’émotion, ce qui peut exister dans les différents segments de prix.

Montblanc Heritage Spirit Orbis Terrarum Montblanc Heritage Spirit Orbis Terrarum

Pour proposer de telles complications à des prix si abordables, faut-il obligatoirement rogner sur les marges habituelles?

Non, divers éléments sont à prendre en compte. Le premier, c’est que que Montblanc peut compter sur 500 boutiques, dont 250 qui lui appartiennent en propre. Dans l’équation, c’est déjà une des grandes différences de Montblanc. Ainsi, quand nous présentons un produit, nous le présentons instantanément à tous les clients Montblanc, via toutes nos boutiques, dans plus de 120 pays au moins. Cela représente une accélération de la prise de contact avec nos clients et donc notre capacité à introduire une nouveauté puis à la faire rapidement exister et vivre. Il s’agit d’un autre genre de maîtrise de la valeur, puisque, ce cycle-là impose d’autres leviers, comme celui de l’efficacité. Cette grande intimité que nous pouvons avoir avec notre client est une de nos forces premières.

Il ne s’agit donc pas que d’une question de volumes?

Non, il s’agit plus spécifiquement d’un ratio temps et intégration.

Parlons de Minerva, un nom encore vivace chez les passionnés d’horlogerie bien que de moins en moins présent chez Montblanc. Il semblerait pourtant que Pythagore, un modèle de son histoire, vous ait inspiré…

Je pense que ce genre de modèle inspirant existe dans chaque maison. Quelques uns sont même devenus des pierres angulaires sur lesquelles sont construites certaines maisons horlogère. Pythagore, c’est 1948, c’est surtout une façon de construire les mouvements, puis c’est un style et une expression horlogère importante de la vie de Minerva. Ce ne sont pas des pièces si faciles à trouver aujourd’hui, surtout avec le cadran silver, en argenté. Nous avons d’abord trouvé cette montre magnifique avant de prendre conscience de l’enjeu qu’elle revêt pour notre maison. Elle est un code d’expression pour notre ligne Heritage Chronomètre. Pour moi, quand on crée quelque chose, c’est toujours important d’avoir un socle d’ADN. En acquérant Minerva, Montblanc s’est offert d’un seul coup de 156 ans d’une histoire dans laquelle se trouve Pythagore, pièce d’une esthétique très balancée, très équilibrée, ayant fait l’objet de beaucoup d’attention au détail horloger, et aussi d’une réflexion sur la construction d’un mouvement. Cette montre a donc marqué notre travail.

La maison Minerva, avec sa charge historique de 156 ans, pourrait-elle un jour revivre?

Je ne pense pas qu’on pratiquera un jour le double branding. Ce n’est jamais facile dans une maison d’avoir deux maisons appelées à exprimer une même chose qui s’appelle Montblanc. Nous continuerons à garder Minerva comme signature pour les mouvements qui sont faits sur place, parce que leur type d’exécution et leur mode de réalisation sont spécifiques, parce qu’il s’agit aussi de donner de la lisibilité aux mouvements faits à Villeret selon une tradition basée sur 156 ans d’histoire. C’est un gage de transparence pour nos collectionneurs: un mouvement signé Minerva vient de Villeret, sa conception et sa construction viennent de là. D’ailleurs, la grande complication de cette année est faite à Villeret, selon une conception traditionnelle Minerva. Le mouvement sera donc signé Minerva.

Avec le test des 500 heures, on vous a soupçonné d’avoir importé chez Montblanc la recette Jaeger LeCoultre des séries  Master Control...

Ce test existait avant mon arrivée (rires), depuis presque dix ans! Ce n’est pas une  nouveauté chez Montblanc. Par contre, ça vaut la peine, lors d’une visite, de voir comment se déroule ce test de plus d’une vingtaine de jours, une fois la montre terminée et assemblée. Ça permet de réaliser le remarquable niveau de qualité de notre production.

Du côté de votre stratégie de distribution, quelles sont les évolutions?

Nous sommes présents dans 120 pays et nous disposons de nos propres boutiques. Nous allons continuer à étendre nos boutiques. Par exemple, en 2015, nous allons ouvrir deux boutiques supplémentaires au Brésil où nous en avons déjà huit. Le monde change… Nous suivons l’évolution de nos clients en fonction de leurs localisations. Nous venons d’intégrer toute notre distribution en Corée. Deux boutiques ouvriront aussi cette année à Hong Kong. Une autre ouvrira aussi en Russie, dans la grande banlieue de Moscou. Parallèlement, nous intensifions notre présence chez les grands détaillants. Nous sommes entrés chez Bucherer à Lucerne, chez Dubail à Paris. Idem chez certains points de vente aux Etats-Unis… Il est important pour nous de toucher nos clients via des partenaires référents à même de faire connaître ce que la maison fait en horlogerie. L’horlogerie vit de la diversité et, chez un détaillant, les clients peuvent passer d’une maison à l’autre et comparer. Ils y reçoivent des conseils. C’est un vrai plus pour exister en haute-horlogerie.

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