Tank Anglaise
Burberry, Cartier, Saint-Valentin. Si elle savait!
En horlogerie, j’ai parfois l’impression d’être le gynéco qui rentre le soir chez lui et qui se demande s’il pourra… Suis-je encore capable d’offrir une montre à l’être aimé, sans penser à ce qu’il y a dedans?
Par Joel Grandjean
Rédacteur en Chef
A force de baigner dans la chose horlogère du matin au soir, comment oublier, l’espace d’un cadeau sincère, ce que je sais ou ne voudrais pas savoir sur tel modèle, sur telle marque? Comment me mettre suffisamment dans la peau de l’autre, pour qu’elle ait plaisir à recevoir un vrai cadeau et non pas une leçon de connaissance horlogère à porter au poignet, gage qu’elle est, pour une compagne d’insider, plutôt bien dégrossie. J’en conviens, le terme manque quelque peu d’élégance dans ce contexte, même si dans ma tête il rime avec Journe, Patek Philippe, Piaget, Speake-Marin, Greubel Forsey, Urwerk, Rudis Sylva, Kari Voutilainenet j’en passe…
Amour inconditionnel? Sauf que…
Dans le plus pire des scénarios, je me surprends à imaginer qu’elle rêve peut-être d’une montre Burberry. Vision cauchemardesque! Suspicion pourtant légitime, puisqu’elle arbore de temps à autre, avec bonheur, les insignes de cette noble anglaise devenue populeuse. Atroce dilemme: serait-ce une preuve d’amour que de lui en acheter une? Après tout, les êtres face à l’amour sont parfois parjures? Finalement, je me dis que, s’il elle m’aime aussi un peu, elle doit être en capacité d’admettre qu’il m’est impossible de blasphémer, d’effectuer un tel acte contre-nature, d’enfreindre à ce point l’intelligence… Reste que depuis, lorsque nous déambulons dans les rues commerçantes de Genève, je fais prudemment chaque fois un détour. Car j’en ai bien vu,l’autre soir, dans la vitrine de la boutique Burberryen pleines terres horlogères, de ces pseudo montres qui s’érigent en outrage au swiss made.
Ces montres Burberry, elles ne sont pas les seules d’ailleurs, portent en outre en elles un danger très pernicieux: en incarnant l’arrogance de croire que la simple apposition d’un nom de marque sur un cadran permet de la vendre plus cherque l’adhésion à une charte de bienfacture géographiquement définie et historiquement légitime, le fameux swiss made, elles pourraient entrouvrir dans le futur la porte aux délocalisations. Notons que, du point de vue d’une direction financière de groupe, cette tentation de faire passer la marque «swiss made» au second plan, afin de s’affranchir de son co-branding parfois contraignant, pourrait se profiler en option plus qu’alléchante.
Made in Cartier et… swiss made
Ainsi ai-je eu très peur, au début, face à l’apparition du slogan «Made in Cartier.» Allait-il être l’incarnation prémonitoire d’une vision managériale qui aurait tout à gagner si la marque pouvait s’affranchir de la nécessité, à terme, d’être ancrée en Suisse?Autrement formulé, d’être libérée des coûts générés par des conditions cadre et un périmètre géographique où la main d’œuvre est plutôt hors de prix?
Ouf, j’ai été vite rassuré. Car les investissements consentis par Cartier pour sa verticalisation, son implantation plus que renforcée dans les terroirs horlogers suisses, m’ont apaisé: ouverture d’une Manufacture à Fleurier dans la Val de Travers, augmentation des places de travail à la Manufacture au Crêt du Locle dans le Canton de Neuchâtel, à proximité du petit aérodrome de La Chaux-de-Fonds ou encore, tout récemment, rénovation complète de l’ancienne ferme neuchâteloise à proximité de la Manufacture, désormais dédiée aux métiers rares.
Et si Cartier était finalement le bon choix de cette Saint-Valentin? Après tout, le nom est tellement célèbre que même la moins fashion victim desamies de ma chère et tendresaura de quoi il en retourne, lorsqu’elle lui exhibera son cadeau flambant neuf. De plus, en matière d’horlogerie, la marque s’est taillée en 10 ans une couronne de lauriers faite de calibres maison, de trouvailles innovantes, de maîtrises abouties. Bref, mes potes connaisseurs et collectionneurs n’y verront que du feu!Quant à ma dulcinée, évidemment, je ne lui dirais pas que derrière ce que la marque engendre de plus compliqué et de plus génialement technique, se trouve une femme fort sympathique, particulièrement attachante, Carole Kasapi-Forestier. Car devoir rassurer et expliquer n’est pas forcément ce qu’il y a de mieux à envisager lors d’un souper de Saint-Valentiin.
Tank Anglaise, amour et raisons… Déraison!
En définitive, j’ai de bonnes raisons d’acheter Cartier pour ma Saint-Valentin. D’abord, parce qu’il y a de la panthère qui sommeille en cette marque, comme d’ailleursau fond du caractère félin, gracieux, élégant et… bien trempé de ma compagne. Puis il y a cette incroyable Carole qui me scotche régulièrement lorsqu’elle m’explique comment naissent ces complications intelligemment réinventées par son équipe. Je la lui présenterai un jour… Enfin, il y a cette Manufacture qui fait face à cet aérodrome de La Chaux-de-Fonds où restentenfouies dans ma mémoire des images d’enfance sur fond de petits porteurs, ainsi que de goûteuses gorgées de café La Semeuse. Enfin, si je devais, pour je ne sais quelle raison, raconter à mes potes initiés mon exploit de n’avoir pas oublié cette date en 2015, je n’aurais pas à rougir.
Alors, à défaut de pouvoir cette année offrir à mon amoureuse l’extatique Ballon Bleu Sertie de diamants vibrants, présentée au SIHH en 2015, j’ai hésité entre deux modèles de Tank Anglaise. Mon cœur me faisait pencher pour la plus petite, cette délicate dont la boîte en or blanc endiamantée se voit servir sur un bracelet alligator d’un rose fuchsianisé. Seulement voilà, son calibre est un quartz. Donc, j’ai finalement opté pour le modèle medium, dont l’or rose est carrément mis en valeur par le teint de peau de ma moitiéet dont la marche est effectuée par un calibre mécanique à remontage