Paroles de collectionneurs : Entre Passion et Valeur Patrimoniale, où se situe le curseur ?
Un nouveau concept d’événement Watchonista, en collaboration avec Bucherer Genève et avec la participation de la Fondation de la Haute Horlogerie, s’est tenu pour la première fois la semaine dernière. Une rencontre riche en enseignements pour ce premier rendez-vous horloger appelé à devenir récurrent.
Bien plus qu’un simple rassemblement de collectionneurs autour d’une marque, il s’agit d’une véritable plateforme d’échange, de partage d’expériences et de passions, autour de thèmes importants de l’horlogerie que nous avons voulu créer avec Bucherer Genève, sous l’égide de la FHH. Pour ce premier « forum » de passionnés, le thème choisi met en avant la vision des collectionneurs : entre passion et valeur patrimoniale, qu’est-ce qui les motive ?
En ce mardi 29 octobre, un aréopage de 12 passionnés se retrouve donc pour un petit-déjeuner/débat dans le salon VIP de la Bucherer Gallery, nouvel espace situé au 4ème étage de la boutique du 45 rue du Rhône. Pour une fois, les collectionneurs vont surtout parler d’eux, de leurs motivations, de leurs cheminements et de leurs interrogations.
Naissance d’une passion
Au fil des histoires des débuts de chacun, on se rend compte que les collections s’initient souvent dans le flou des coups de cœur, dans la tradition familiale ou simplement la découverte impromptue. Pas de réflexion raisonnée sur la valeur patrimoniale qui dicte le besoin de collectionner à ce moment. Plutôt une étincelle d’émotion qui enflamme une envie d’apprendre, de découvrir, qui donnera naissance à une vraie passion. Les profils au sein de ce cercle de passionnés sont variés, mais tous semblent se retrouver dans cette description initiale. Du grand collectionneur chevronné à la collection profonde de centaines de pièces à l’amateur éclairé « débutant » avec sa vingtaine de garde-temps, ils reconnaissent qu’au début est la passion, aussi balbutiante soit-elle.
Valeur patrimoniale : entre croissance et spéculation
Au gré des rencontres horlogères, des recherches d’informations, des affinités personnelles, les collections vont croître. Les changements du marché vont aussi faire bouger le curseur. Sur ce sujet, les esprits s’échauffent et l’emballement des prix du début des années 90 est immédiatement évoqué. Tout le monde s’accorde : la montée globale du luxe, l’ouverture de l’Asie, les années de croissance mondiale ont largement bénéficié à la montée de l’intérêt pour l’horlogerie, augmentant d’autant la passion qu’elle génère.
Mais les collectionneurs présents déplorent cependant tous un aspect négatif de l’engouement croissant pour l’horlogerie mécanique de luxe : la spéculation. Il faut en effet distinguer l’investissement, vu dans une logique de long terme, avec l’envie de transmettre quelque chose de pérenne dont la valeur va rester, voire augmenter, et la spéculation à court terme qui pousse à acheter les pièces les plus recherchées, à n’importe quel prix, dans le but de les revendre rapidement à un prix toujours plus élevé.
« Effets de mode insupportables », « bouleversements amplifiés par les réseaux sociaux », « effets de la globalisation », « multiplication des riches », fusent dans le salon feutré. Nul doute que l’augmentation du nombre de millionnaires dans le monde et l’ouverture de nouveaux marchés comme la Chine aient contribué à cette explosion de la spéculation...et donc à l’attrait de la valeur patrimoniale de l’investissement horloger.
Mais cela s’est-il fait au détriment de la « passion » motrice ?
Pas forcément. Il semble qu’aujourd’hui, le marché de l’horlogerie mécanique évolue un peu comme le marché de l’art. Il y a les « côtes » des artistes établis et de ceux qui montent. Mais il y a aussi tous les aficionados qui achètent ce qu’ils aiment sans réfléchir nécessairement à la valeur potentielle de revente. Et bien heureusement ! Nombreux sont donc ceux qui bénéficient de l’intérêt croissant pour l’horlogerie en général.
Les plus cyniques – ou avertis – parlent de manipulation des cours par les marques elles-mêmes qui, dès les années 90, renchérissaient sur leurs propres pièces dans les ventes aux enchères. D’autres préfèrent voir le fruit pur et simple d’une offre très faible par rapport à une demande sans cesse croissante. Dans les deux cas, la valeur patrimoniale a, de fait, augmenté, que l’intérêt soit dû à une augmentation de la demande passionnée ou à la spéculation...L’indicateur « valeur patrimoniale » n’a réellement augmenté qu’à ce moment-là.
Cela soulève un autre point du marché actuel : l’offre de seconde main étant de plus en plus pléthorique, vers quoi s’orientent les collectionneurs, neuf ou vintage ? Et dans cette nouvelle dichotomie où est le fameux curseur passion – valeur patrimoniale ?
Plutôt neuf ou vintage ?
L’avis général admet que le neuf soit le plus sûr et les garanties croissantes des marques contribuent toujours plus à rassurer l’acheteur final, simple amateur ou gros collectionneur. L’occasion et le vintage semblent, eux, inspirer beaucoup de défiance et de crainte, fruits de nombreuses années de marché gris sauvage, amplifié par l’avènement d’internet. Cependant, 50% des collectionneurs présents confirment acheter du vintage – surtout par passion pour un design, un détail – et en assumer les risques. Nous faisons tous nos « trial & error » pour trouver les sources sûres où la transparence est la règle. Sincérité et confiance sont les maîtres-mots sur le marché du « déjà portés » pour tous les collectionneurs. La multiplication, ces dernières années, des départements propres « d’occasions » des marques horlogères est la preuve flagrante que ce nouveau marché intéresse...et contribue à asseoir la « valeur patrimoniale » du vintage.
Nous décidons de faire un test grandeur nature pour comprendre où penche la balance une fois encore : passion ou valeur ? Avec le concours de la FHH et de Watchonista, Bucherer nous a préparé une sélection de modèles qui se présente devant notre parterre de connaisseurs. D’un côté, les dernières nouveautés : de la Chopard Alpine Eagle à la série limitée IWC Portugaise Bucherer Blue. De l’autre, quelques modèles « vintages », Rolex et Audemars Piguet, choisis dans le département Certified Pre Owned, récemment inauguré par Bucherer.
Les yeux se mettent à briller, les pouls augmentent sensiblement. Le débat devient passionnel. La raison parlait de l’attrait du neuf, de son côté rassurant...pourtant, ici, 60% des avis se tournent vers les 4 modèles vintages ! Il semble que la passion pousse aussi vers ces modèles iconiques quand le cadre est rassurant. Ou est-ce la raison qui reprend le dessus au vu de la valeur patrimoniale des pièces ? Difficile de trancher quand les deux camps se rejoignent.
La passion comme moteur commun
Comme c’est souvent le cas lorsque de vrais passionnés se retrouvent, c’est toujours l’émotion qui l’emporte. Le consensus finit donc par se dessiner sur la passion comme composante essentielle de l’acte d’achat. On pourrait penser qu’il serait plus normal de se laisser totalement aller à la raison lorsque l’on est soumis aux restrictions budgétaires. En analysant les retours des collectionneurs présents, cela n’apparait pas évident. Pour la vaste majorité, c’est la passion qui les guide, peu importe le degré d’affluence : même avec des moyens plus restreints, le collectionneur se laisse souvent aller à un achat purement passionnel.
Qu’ils choisissent un chemin classique au travers de grandes marques connues ou plus personnel, en se tournant vers les indépendants, c’est bien l’envie de posséder ces véritables bijoux mécaniques qui les motive. Le personnel de la maison Bucherer présent le confirme : que ce soit pour les indépendants ou pour l’achat de grandes marques, la vaste majorité des personnes qui achètent sont de réels passionnés.
Afin d’arriver à une conclusion irrévocable, nous procédons à une ultime évaluation de chacun : « Êtes-vous plus motivés par la passion ou la raison dans vos choix de collectionneurs aujourd’hui ? » Le résultat est sans appel : la moyenne des avis se situe à 82% vers la passion et 18% vers la valeur patrimoniale. Même si 3 sur 12 s’auto-évaluent à 50-50, la plupart des collectionneurs présents avouent joyeusement se laisser porter par le plaisir, la passion et acheter avant tout des montres qu’ils aiment et qu’ils porteront. Comme à leurs débuts ! Avec l’âge, la raison revêt toutefois son importance : on achète une nouvelle montre seulement après en avoir vendu une, par exemple. Mais au final, c’est toujours la passion qui dirige.
C’est l’enseignement majeur de la matinée ! Et c’est un très bon signe, salutaire pour toute l’horlogerie mécanique.
Au prochain épisode de ce rendez-vous horloger Bucherer Genève – Watchonista – FHH qui se tiendra le 19 novembre, nous aborderons le thème brûlant : « Quels sont les déterminants de la valeur réelle d’un garde-temps aujourd’hui ? ». Vaste sujet qui promet un nouveau débat passionné. Save-the-date and stay tuned !
(Photos par Pierre Vogel)