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Le marché gris n’est plus. Vive le marché de l’occasion certifiée (Certified Pre-Owned en Anglais) !

Le mot est sur toutes les lèvres depuis plusieurs années : Certified Pre-owned (Occasions certifiées en Français).

Par Benjamin Teisseire
Contributeur

Le principe s’attaque à des problématiques de fond du marché horloger : le second marché, l’écoulement des excès de stocks. L’explosion de la vente en ligne a créé un Far-west devenu dangereux dans lequel les marques se doivent de remettre un peu d’ordre. Décryptage.

Des produits pérennes, un attrait croissant

Georges Kern, CEO de Breitling, insiste sur cette évidence : « L’horlogerie mécanique a la chance inestimable de créer des produits pérennes. Une montre ne devient pas obsolète comme un vulgaire téléphone portable. »

 

Bien entretenue, elle peut même durer toute une vie, voire être transmise de génération en génération. C’est aussi ce qui fait son attrait. De plus, le niveau de vie général augmentant, de nouveaux clients potentiels, avides d’afficher leur bon goût, arrivent de tous les horizons.
 

C’est une bénédiction pour toutes les marques. Le prix de vente public initial - ou les remontrances répétées du conjoint - reste souvent le frein ultime pour empêcher de craquer pour en acquérir une énième neuve. Certains font alors de la place pour une nouvelle acquisition. C’est donc naturellement qu’un second marché se crée.

Avec l’avènement d’internet les possibilités de vendre et d’acheter se multiplient. Et les plateformes aussi. Mais quand l’offre dépasse la demande, les problèmes naissent.

Naissance du marché gris

Le rôle de la distribution est de mettre en relation l’offre et la demande. S’il y a déséquilibre, un marché parallèle se crée. Le dumping des invendus horlogers dans ce canal de distribution est un secret de Polichinelle. Le marché gris est né de l’engorgement des réseaux de distribution.
 

Pour François-Paul Journe qui fut le premier à se préoccuper de la revente de ses garde-temps en créant son Service Patrimoine en 2016, « le marché gris est né de la surproduction de la plupart des marques. Tant qu’elle subsistera, il existera. Avec notre production limitée (autour de 900 pièces par an) le problème ne se pose pas. »
 

En effet, ces dernières années, les marques horlogères se sont laissées aller dans une politique de production sans cesse renouvelée. Les stocks de montres disponibles sont donc pléthoriques. Jusqu’à présent, les surplus étaient discrètement écoulés par les détaillants, les distributeurs, voire les marques elles-mêmes, sur des circuits parallèles. Avec l’explosion du e-commerce, ce marché gris est devenu difficile à cacher et les discounts de plus en plus importants. Les volumes augmentant, l’impact sur l’image des marques commençait à se faire sentir. Le rachat d’invendus par Richemont pour près d’un milliard de CHF ces dernières années en est une preuve évidente. Le jeu devenait très dangereux tant en terme d’image que de valeur perçue par le consommateur final.

De l’ordre dans un marché gigantesque

Le second marché est aujourd’hui évalué autour de CHF 5 milliards selon les analystes de Kepler Cheuvreux à Zurich. Celui du neuf se situe autour de CHF 47 milliards en 2017 (chiffres FHS prix export multiplié par 2.5 pour avoir le prix public).
 


En tenant compte des volumes conséquents écoulés par les marques depuis l’explosion de l’engouement pour l’horlogerie mécanique il y a plus de 20 ans, on peut penser qu’il est largement sous-estimé. Si on se base sur les chiffres des exportations horlogères depuis 2000, on peut effectivement évaluer le marché global des montres suisses mécaniques disponibles à plus de CHF 400 milliards !
 

Pas étonnant que les projections voit le Certified Pre-owned dépasser le marché du neuf dans les 5 ans. On comprend que les marques s’en inquiètent enfin. Le rachat de Watchfinder, spécialiste de la montre d’occasion, par Richemont est révélateur de la volonté des ces dernières de mettre un peu d’ordre dans ce Far-West horloger devenu incontrôlable. Comme le souligne Georges Kern : « Il est urgent de structurer le marché secondaire, qui est aujourd'hui totalement dominé par le marché gris; un marché où le consommateur ne sait pas ce qu’il achète réellement. Les marques peuvent désormais créer un mode clair et transparent d’écouler les surplus de stock en toute sécurité. »
 

Patrick Hoffmann, vice-president exécutif en Suisse de WatchBox, spécialiste de la revente certifiée créé en 2017, précise : « Ce n’est pas un nouveau business, l’industrie automobile le fait depuis des décennies ! Le challenge pour l’industrie horlogère est de devenir transparente pour que le consommateur final réalise la valeur réelle des produits. » La logique derrière d’autres gros acteurs de l’occasion certifiée, tel que True Facet, est la même : les produits proposés sont certifiées par les marques elles-mêmes, en toute transparence.

Win - Win - Win situation

S’atteler à ce marché va permettre aux marques de reprendre le contrôle sur les discounts pratiqués et donc sur la valeur résiduelle attribuée à leur nom. Cela va aussi rassurer l’amoureux de belles mécaniques qui sera prêt à payer plus pour obtenir une certification de révision et une double garantie d’origine et de fonctionnement. Cela va, in fine, rassurer les collectionneurs sur la moindre dépréciation de leur stock croissant de belles pièces. Tout le monde devrait y gagner.

Ne risque-t-on pas de cannibaliser la vente de neuf ?

Patrick Graf, chief commercial officer de la division montres de Bucherer, a une vision claire du problème : « Il y a diverses manières de regarder le CPO. Bien sûr il y toujours le risque de vendre une occasion plutôt qu’une neuve. Mais inversement il y a aussi la possibilité de vendre du neuf à quelqu’un venu initialement pour acheter une occasion. Avec l’acquisition de Tourneau - l’un des leaders du CPO - nous avons appris que les opportunités de vente sont largement supérieures aux menaces sur les ventes de neuf. »
 

Georges Kern abonde dans son sens : « Est-ce qu’une BMW avec 50.000 kms au compteur est en compétition avec une BMW neuve ? La réponse est dans la question. » En réalité, le marché de seconde main certifié va stabiliser la ‘cote’ des marques, augmentant ainsi la valeur perçue de l’acheteur de neuf et facilitant le travail des marques et des détaillants.

Et justement, quid de la concurrence avec la distribution ?

Pour la patron de Breitling : « Nous voulons poursuivre une stratégie omni-canal: cela signifie que nous travaillons avec des détaillants, créons notre propre site Web et collaborons avec des plateformes en ligne telles que M. Porter. Au final, le consommateur ne se soucie pas de savoir où il achète sa montre Breitling. Nous devons lui offrir une multitude d’accès à la marque. »
 

À la tête de Bucherer, l’un des plus grands détaillants horlogers au monde, M.Graf développe : « Cela dépend de qui opère le CPO. Pendant des années, les détaillants autorisés et même les marques ont ignoré ce secteur. Cela va changer dans un futur proche et la question de la compétition changera elle-aussi. »
 

En effet, les détaillants doivent se ré-inventer et le CPO, développé en collaboration avec les marques, offrent des opportunités en totale transparence. Un changement bienvenu là encore.
 

Le franc-parler légendaire de F.P. Journe diffère un peu : « Notre approche est plus celle de fournir un vrai service supplémentaire, à l’image de Jean Todt avec Ferrari et ses ‘classic cars’, refaites à neuf avec les pièces d’usine et certifiées par la marque en direct. Notre Service Patrimoine ne rachète que des modèles anciens qui ne figurent plus au catalogue. Nous sommes dans une démarche de ‘montres de collection’ donc nos détaillants ne sont pas réellement concernés. »

Conclusion

De solution de facilité à ses débuts, le marché gris est devenu un danger grandissant. Comme le dit Patrick Graf : « Le fait que les détaillants autorisés et les marques elle-mêmes investissent dans le CPO aura un impact énorme sur le marché gris. Cela ne l’éliminera probablement pas mais cela réduira certainement le nombre de garde-temps dans les réseaux non-autorisés. »
 

Une vraie opportunité se dessine. Cependant, pour que la valeur résiduelle d’un garde-temps se maintienne - voire augmente - il faut que la demande demeure supérieure à l’offre. Patek Philippe, Audemars Piguet, François-Paul Journe l’ont compris depuis longtemps. Et peu importe les quantités produites. Rolex et sa production proche d’un million par an en est la meilleure preuve puisque leurs prix à la revente sont souvent en ligne ou supérieurs au prix initial du neuf. Aux marques donc de s’assurer que la valeur perçue de leurs précieuses montres perdure : par leurs qualités intrinsèques, par leur rareté, par l’authenticité des pièces en circulation.
 

Réjouissons-nous donc de pouvoir de plus en plus acheter des montres neuves, jamais réellement portées, ou des occasions à des prix ajustés en fonction de la demande réelle, avec la garantie d’authenticité si nécessaire.

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